Qu’avons-nous fait du français?

2017/08/09 | Par Fatima Houda-Pepin

L’auteur a été députée de La Pinière (de 1994 à 2014)

Le français perd du terrain à l’échelle du Canada et du Québec, à la fois comme langue maternelle et comme langue d’usage. Ce constat à lui seul doit nous préoccuper. Les données du recensement de 2016, diffusées par Statistique Canada, le 2 août dernier, sont très parlantes et ne font que confirmer un constat palpable sur le terrain.

La classe politique du Québec doit en prendre acte et faire un geste fort pour redresser la barre. Oui, il s’agit d’une question délicate. Non, tout ne va pas bien. La tendance qui se dessine est inexorable, comme en témoigne la courbe démographique du Québec qui ne cesse de fléchir en comparaison du reste du Canada (36,5 % en 1851, 30,7 % en 1901, 28,8 % en 1961, 23 % en 2015).

 

Un bilan inquiétant

Ainsi, sur cinq ans, de 2011 à 2016, la population de langue maternelle française au Québec a chuté de 79,7 % à 78,4 %. À l’échelle du Canada, cette proportion est passée de 22 % à 21,3 %. Cette chute touche aussi le français langue d’usage, qui enregistre, au Canada, une baisse de 23,8 % à 23,3 % durant la même période. Au Québec, elle est encore plus prononcée (de 72,8 % à 70,5 %). L’anglais, par contre, a connu une hausse au Québec, comme langue maternelle (de 9 % à 9,6 %) et comme langue d’usage (de 6,3 % à 6,6 %).

En réaction à ce sombre portrait, les partis politiques n’ont pas intérêt à s’invectiver, comme d’habitude, pour savoir qui défend le mieux la langue française, surtout que le débat peut vite devenir assez acrimonieux à l’approche de l’élection de 2018. Cela n’arrêtera pas, hélas, l’érosion du français.

 

Un chantier national

La situation qui est devant nous est assez critique. Elle commande un leadership fort, crédible et consensuel, comme l’Assemblée nationale sait le faire lorsque les intérêts supérieurs du Québec sont placés au-dessus de toute partisanerie politique.

J’ai à l’esprit le discours du premier ministre Robert Bourassa à l’Assemblée nationale ce 22 juin 1990, après Meech, quand il avait déclaré que, « quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, le Québec est, aujourd’hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d’assumer son destin et son développement » et que Jacques Parizeau, alors chef de l’opposition officielle, lui avait tendu la main en l’appelant « mon premier ministre ».

Le déclin du français est de cet ordre-là. Robert Bourassa, aussi fédéraliste fût-il, en était pleinement conscient et en faisait l’une de ses priorités. Il le rappelait constamment et comprenait que le poids politique du Québec au sein du Canada était tributaire de son poids démographique et de la vitalité de sa langue et de sa culture.

Une idée qui mériterait d’être considérée et bonifiée est celle d’ouvrir un chantier de la langue française, présidé par deux personnalités québécoises de haut niveau, auquel prendraient part des acteurs reconnus pour leur expertise et concernés par cet enjeu, notamment les chefs de tous les partis politiques au Québec, les représentants des municipalités, du milieu de l’éducation, du milieu universitaire, des gens d’affaires, des entreprises de communication et des technologies de l’information, des syndicats, du milieu des arts et de la culture, des associations de jeunes, des groupes de femmes, des communautés culturelles, des anglophones.

Ce chantier pourrait mobiliser les forces vives du Québec pour d’abord faire un état des lieux. Où en sommes-nous en matière de dérive linguistique au Québec ? Au-delà du statut du français comme langue officielle et de son importance pour l’identité québécoise, comment envisageons-nous l’avenir collectivement ?

 

Questions

Quels sont les défis auxquels fait face le français comme langue minoritaire au confluent des grandes tendances démographiques, économiques, politiques et technologiques qui façonnent l’Amérique du Nord à l’ère de la mondialisation ? Quelles sont les meilleures pratiques existantes au Québec et ailleurs et comment les adapter aux différentes institutions publiques et privées pour en maximiser la portée et les impacts ?

Quelle efficacité pour les programmes gouvernementaux existants qui drainent des fonds publics importants sans que l’on soit capable d’en mesurer les résultats, notamment en matière d’enseignement du français et de francisation des immigrants ? Il serait important d’associer les organismes des communautés cultuelles à cette démarche et de profiter de leur expertise dans ce domaine.

Quelles sont les politiques et les programmes à mettre en avant pour valoriser et promouvoir le français en milieu de travail, tant dans le secteur public que dans le privé, notamment dans le milieu scolaire postsecondaire (cégeps et universités) ?

Autant de questions qui pourraient être discutées sereinement, au plus haut niveau de l’État, dans un forum non partisan, pour dégager des avenues de solutions qui susciteraient l’adhésion de la population au lieu de la diviser.

Car, quel que soit le parti au pouvoir, le français sera toujours en position de vulnérabilité au Québec, à cause de son caractère unique, celui d’une langue minoritaire dans un océan anglophone.

Le déclin du français au Québec n’est pas un problème conjoncturel. C’est une tendance lourde dont les voyants sont allumés depuis longtemps. Elle ne peut être renversée que par une action vigoureuse du gouvernement, dont c’est la première responsabilité.