Camillien Houde, la voix des dépossédés

2017/08/29 | Par Julien Beauregard

Au mois de février dernier, devant la crainte de voir disparaitre la circonscription électorale de Sainte-Marie-Saint-Jacques au profit d’une fusion avec celle de Westmount-Saint-Louis, les citoyens du quartier Centre-Sud de Montréal se sont mobilisés pour faire reculer la Commission de la représentation électorale.

Des personnalités publiques, parmi lesquelles la députée concernée Manon Massé mais également son prédécesseur Daniel Breton, ont tenu à mettre en évidence l’absurdité de cette décision.

Comment a-t-on pu concevoir que les intérêts complexes des héritiers du “faubourg à m’lasse” aient pu se fondre dans ceux de Westmount, qui, dans l’imaginaire populaire, a été et est toujours le repaire de la haute bourgeoisie?

Une telle dichotomie était impensable. Heureusement, la décision a été renversée. Toutefois, tout cela a permis de jeter un éclairage sur l'esprit de communauté qui habite toujours ce milieu aux origines miséreuses, dont Camillien Houde à été le plus illustre ambassadeur.

 

Le quartier Sainte-Marie en fête

L’Espace libre se veut un théâtre de quartier offrant différents privilèges aux résidents du quartier où il a élu résidence en 1977 dans une caserne de pompier, ce qui lui confère ce cachet tout particulier qui fait sa marque.

Alexis Martin a tiré profit des célébrations du 375e anniversaire de Montréal pour présenter un projet qu’il avait d’abord prévu faire pour le petit écran, soit celui entourant la vie de Camillien Houde.

Raconter le prédécesseur de Jean Drapeau, c’est aussi parcourir l’histoire du quartier Sainte-Marie, mais également celle d’une époque allant du Krach de 1929 jusqu’à l’aube de la Révolution tranquille. Pour ce faire, une partie du spectacle se fait hors de l’enceinte du théâtre.

Tout commence au parc Joseph-Venne. Pris en charge par l’Écomusée du fier monde, on déambule en se faisant raconter le contexte historique dans lequel est né Houde jusqu’à l’Espace libre où sera joué la pièce.

Le rideau ne tombe pas à la fin. Les comédiens s’écartent et les grandes portes cochères de l’Espace libre à l’arrière-scène s’ouvrent pour laisser entrer des musiciens et des saltimbanques. Ceux-ci invitent les spectateurs à les suivre pour assister à la dernière partie de la célébration au Parc des Faubourgs.

Là, les spectateurs participent à un banquet digne de ceux qu’a déjà tenus Camillien Houde. On y mange un repas tout à fait décent préparé par le restaurant au Petit Extra, au son d’un jazz interprété par les Royal pickles.

 

«Monsieur Montréal»

Tel que nous a habitués le Nouveau théâtre expérimental, la pièce est pleine d’humour et de ruptures du quatrième mur. De plus, les comédiens sont assistés par une vingtaine de figurants tous issus du quartier Centre-Sud, ce qui ajoute au dynamisme de la pièce.

On n’aurait pas pu trouver mieux que Pierre Lebeau pour incarner Houde. Sa prestance et sa grandiloquence donnent toute la mesure de l’homme qu’on surnomma «Monsieur Montréal».

La vie de Camillien Houde est racontée depuis sa tendre enfance (que Lebeau joue en prenant un air enfantin) jusqu’à son retrait de la vie publique. Bien entendu, certaines libertés ont été prises par souci d’économie.

Seul survivant d’une fratrie de dix enfants, tous décédés avant l’âge de deux ans, il a même perdu son père assez jeune, emporté par la tuberculose.

Houde a dû porter sur ses épaules tous les espoirs de sa mère. Au collège, il est introduit aux arts de la scène grâce à Conrad Kirouac, le frère Marie-Victorin (incarné par un solide Didier Lucien).

Par une réplique clé qui fait partie des libertés prises par Alexis Martin, le frère Marie-Victorin encourage Houde à embrasser la vie publique dans laquelle la théâtralité lui servira. Cependant, il le met en garde de cacher son savoir, qui fait peur aux petits comme aux grands, car le savoir fait craindre les périls de la subversivité.

En ce sens, Camillien Houde ressemble à Maurice Duplessis. Il est dommage de ne pas avoir évoqué l’opposition entre les deux hommes durant l’ensemble de leur carrière ou même leurs alliances spontanées.

L’attention est surtout mise sur son opposition au gouvernement libéral de Louis-Alexandre Tachereau où on voit Houde, à titre de député à l’Assemblée nationale (oui, le cumul de fonctions se pratiquait), revêtir le manteau du défenseur des malpris.

Puis, l’homme de principe a dénoncé le gouvernement libéral fédéral de Mackenzie King pour avoir renié sa promesse de ne pas opter pour la conscription.

On avait oublié trop vite que la Crise d’Octobre avait connu un précédent, car Houde fut arrêté en pleine nuit, sans mandat, et confiné dans un camp de concentration à l’extérieur de la province.

Son pire ennemi a toutefois été la misère qui lui rappelait ses origines humbles. Toutes ses décisions politiques semblaient tenir compte de cette lutte contre la faim, la maladie et le chômage. Ses prises de bec contre les banquiers de Montréal n’ont fait qu’amplifier sa réputation de défenseur des pauvres.

L’angoisse de la défaite électorale, qui mettait en péril son gagne-pain, l’a cependant conduit à fermer les yeux sur certaines pratiques électorales, par exemple en sollicitant le soutien de caisses occultes.

Le populisme de Houde suscitant l’engouement les masses, certains ont tenté d’inciter le populaire maire à imiter Mussolini et à marcher sur Québec comme le Duce a marché sur Rome. Mais c’était sans compter sur sa nature non-violente.

En entrevue au Devoir, Alexis Martin considérait Houde comme le témoin d’une certaine conception du Canada français. Chose certaine, le pacifisme n’est pas mort avec lui. Du moins, en ces temps troubles, le souvenir de cet homme qui disait ne pas connaitre la haine mérite d’être célébré.

 

Camillien Houde - le petit gars de Sainte-Marie

Une coproduction du Nouveau théâtre expérimental avec la participation des Voies culturelles des faubourgs dans le cadre de la programmation officielle du 375e anniversaire de Montréal présenté à l’Espace libre

Le spectacle est gratuit. Bien qu’il affiche complet, il est possible de s’inscrire sur une liste d’attente pour remplacer les réservations qui n’ont pas été réclamées.​

Texte - Alexis Martin
Mise en scène - Daniel Brière et Geoffrey Gaquère
Interprétation - Josée Deschènes, Johanne Haberlin, Pierre Lebeau, Jacques L'Heureux, Didier Lucien, Evelyne Rompré et 22 citoyens du quartier Centre-Sud

 

Photo : Gabrielle Desmarchais