Ce qui s’est passé en Catalogne doit servir d’avertissement au Québec

2017/08/30 | Par Djemila Benhabib

Chaque attentat islamiste nous offre malheureusement une triste occasion de faire le point sur la situation de notre monde absurde et cruel. On réalise, à chaque fois, que la piste sociologique, celle qui consiste à expliquer le geste terroriste exclusivement par le prisme social est caduque. Enfin, quelques capotés de la sociologie vont continuer de faire semblant d’y croire pour nous convaincre qu’ils ont tout compris. Il faut bien justifier les subventions de recherche qu’on reçoit d’ici et là pour sauver son laboratoire de recherche et, par la même occasion, sa discipline. Ainsi va le monde universitaire.

 

« Ils » tuent, vous êtes coupables !

Non, faire sauter des vies en raison des discriminations sociales et du racisme de la société d’accueil n’est pas le moteur de l’action islamiste. Il faut plus pour écraser des enfants sous le poids d’un camion. Il faut plus pour revêtir avec enthousiasme autour de sa taille une ceinture d’explosifs pour semer la mort à tout vent. Et pourtant, c’est cette fable sociologique, que répète ad nauseam jour après jour une frange de l’intelligentsia d’une certaine gauche qui - cela dit en passant - n’a plus rien de la gauche et tout d’un mouvement réactionnaire qui divise l’humanité en fonction de l’origine, des croyances et de la « race » qu’elle a ressuscitée avec ferveur. « Ils tuent, vous êtes coupables ! », insinue cette gauche compassionnelle. Enfin, j’avoue que c’est un peu plus subtil que ça. Attendez, je reformule. « Ils » (surtout, continuez à ne pas les nommer) tuent. Certes. On va vous expliquer pourquoi. C’est-à-dire vous suggérer quels sont les « paramètres », en fait les « déviances » dont souffre notre société qui font que ces braves gens, en l’occurrence ces assassins, sont devenus des assassins. Alors, récapitulons. « Ils » tuent, guérissons notre société!

Laissons de côté ces intellectuels patentés et revenons à la réalité.

 

La force de l’idéologie islamiste

L’angle mort : les convictions idéologiques et politiques. Ceux qui ignorent la force des convictions ne peuvent comprendre le sens des gestes posés par les djihadistes. Il faut être «crinqués au bout » (très très motivés) pour refermer un jour, un jour de soleil ou de pluie, peu importe, la porte de chez soi avec le sourire en souhaitant la mort d’autrui avec rage. Il faut être un détraqué (solide) du slip pour s’imaginer être dorloté, là-bas je ne sais où, après le carnage, par 72 vierges. Des convictions idéologiques et politiques nourries par la détestation et la diabolisation de l’autre, entretenues par le discours victimaire et soutenues par la complicité tacite de l’entourage et des familles comme nous l’ont montré les attentats de Paris du 13 novembre 2015 et la cavale du djihadiste Salah Abdeslam. L’homme de 26 ans le plus recherché des polices européennes était devenu soudainement « invisible » de Paris à Bruxelles. Il fut arrêté à Molenbeek dans son quartier après une cavale de 127 jours. Salah Abdeslam un assassin? Vous rigolez, c’est un bon gars tout comme les gars de Ripoll. Une chose est sûre, dans un cas comme dans l’autre la filière marocaine du djihadisme est active.

 

Salud Barcelona !

Ah Barcelone, que n’ai-je pas marché dans tes rues, l’hiver dernier! Toi, l’hospitalière qui accueille des gens venus des quatre coins du monde, y compris des immigrants illégaux (oui, ça existe) vendant leurs babioles à la sauvette sous le regard des flics. Normal, me disait-on, à l’époque. Ici, la municipalité est de gauche, une coalition de partis autour de Podemos. Barcelone est comme une ville sanctuaire. Ça vous rappelle probablement quelque chose. N’est-ce pas les Montréalais? Il y a quelques mois, la mairie de Barcelone lançait un plan « pionnier » pour combattre l’ « islamophobie ». Dans les normes du vivre ensemble, la municipalité affichait sa volonté de combattre la haine. Parfait! Sauf que ce plan ne visait aucunement la haine propagée dans les mosquées; cette haine du juif, du mécréant, de la femme, de l’homosexuel et j’en passe qui tourne en boucle dans les mosquées salafistes de Barcelone. Lorsque l’on connait la progression fulgurante du salafisme en Catalogne et que l’on sait que plusieurs mosquées notoires sont contaminées par la doctrine wahhabite, on ne peut que questionner le choix de la municipalité.

 

La cellule de Ripoll et la filière marocaine du djihadisme

Que nous apprend la désormais célèbre cellule de Ripoll sur le phénomène islamiste ? Que des mosquées sont devenues des « foyers de la radicalisation » et des imams des agents de cette dernière. Les médias espagnols rapportent que les assassins, de jeunes Marocains, apparemment sans histoire, y menaient une vie normale - enfin presque -, n’était-ce leur militance salafiste autour de l’imam Abdelbaki Es Satty qui excellait autant dans le discours djihadiste que dans le maniement des explosifs. Cet ancien taulard marocain, qui a purgé quatre ans de prison pour trafic de haschisch, se consacrait au recrutement de futurs djihadistes qu’il aurait envoyés au suicide en Syrie, en Irak ou en Afghanistan. Cette localité catalane offrait à ces jeunes gens et à leurs familles mille fois plus d’opportunités que ne pouvait le faire leur pays d’origine, le Maroc, véritable machine d’exclusion sociale. Et pourtant, la bienveillance catalane à leur endroit qu’on peut résumer avec la citation emblématique de Jordi Pujol (“Est Catalan celui qui vit en Catalogne”), l’ancien président nationaliste de la Catalogne, ne les a pas empêchés de commettre l’irréparable. Plus encore, la politique d'intégration très volontariste en Catalogne a fait de celle-ci la première région du pays en la matière, accueillant le plus de Marocains, la communauté la plus nombreuse d’immigrants en Espagne.

 

À Québec, une fusillade et des questions

En lisant nombre de reportages sur les deux attentats survenus en Catalogne, je n’ai pu m’empêcher de penser à la fusillade de Québec du 29 janvier dernier. En Espagne, les suspects ont été immédiatement identifiés, leurs profils relayés dans les médias, leurs familles et leurs voisins interrogés, trois des suspects ont comparu devant la justice et ont dévoilé leurs intentions à commettre un attentat beaucoup plus spectaculaire que ceux commis le 17 août. Les réseaux islamistes sont démantelés. La justice poursuit son travail. Les policiers communiquent avec les médias. Les médias enquêtent, fouillent, nous renseignent sur les assaillants, leurs stratégies et leurs idéologies. Bref, c’est peu dire que tout le monde a du pain sur la planche. C’est véritablement le branle-bas de combat!

Dans le cas de Québec par contre, c’est silence radio. Le black out total sur l’information. Nous ne savons rien sur Alexandre Bisonnette. Rien sur ses motivations. Abandonnés a notre sort, nous vivons de spéculations, de ouï-dire et de rumeurs. Comment se fait-il qu’on ne soit pas tenus informés de l’un des drames les plus horrifiants ayant frappé le Québec? Comment expliquer que cette fusillade contre le Centre islamique de Québec qui a fait six morts ait été qualifiée dès le soir même d’attentat terroriste alors qu’aucun acte d’accusation pour terrorisme n’a été formulé à l’endroit du principal suspect. Nos services de sécurité sont-ils incompétents? J’en doute. Je crains, par ailleurs, que le « politique » agisse comme une forme d’étouffoir sur la police, la justice et les médias.

C’est terriblement inquiétant que l’on maintienne les Québécois dans une telle ignorance. Pire encore, que des politiciens instrumentalisent honteusement cette tragédie pour les rendre coupables collectivement d’un acte ignoble qui sert à justifier la tenue d’une commission d’enquête sur le « racisme systémique » dont les conclusions sont connues d’avance. Guérir les Québécois? Mais de quoi au juste? Non, les Québécois ne sont pas plus racistes que les Catalans. Par ailleurs, il existe au Québec des foyers d’islamisation. Il est temps que nos décideurs les prennent au sérieux. Ce qui vient de survenir en Catalogne doit nous servir d’avertissement.

Le maire de Québec, Régis Labeaume, a imputé à l’inaction de notre classe politique québécoise la dégradation de notre climat social. Il a tout à fait raison. La lâcheté, le clientélisme et le manque de vision ont fait le lit des extrêmes. Vous le savez pertinemment monsieur Couillard. Arrêtez de vous cacher derrière votre petit doigt! Agissez en premier ministre responsable.