Négociations entre Québec solidaire et Option nationale

2017/09/05 | Par Jonathan Durand Folco et Paul Cliche

Jonathan Durand Folco est  professeur à l’École d’innovation sociale de l’Université Saint-Paul et ancien responsable de la Commission politique de Québec solidaire.

Paul Cliche est membre fondateur du Rassemblement pour une alternative politique (RAP) en 1998, de l’Union des forces progressistes (UFP) en 2002 et de Québec solidaire en 2006.

Pour dépasser le blocage politique du Québec, plusieurs mettaient de l’avant, il y a quelques mois, l’idée d’une convergence entre le Parti québécois et Québec solidaire, projet que ce dernier a rejeté en congrès. Malgré l’échec apparent d’une alliance des forces progressistes et indépendantistes, Québec solidaire (QS) a entamé des discussions avec un autre parti indépendantiste, Option nationale (ON), en vue d’une fusion. On devrait connaître les résultats de ces pourparlers dans quelques semaines. La pierre d’achoppement de ces négociations se situe d’ores et déjà sur les modalités de l’Assemblée constituante (AC) qui est devenue la stratégie d’accession à l’indépendance commune à l’ensemble du mouvement souverainiste.

En fait, il y a eu jusqu’ici divergence entre les deux formations quant au mandat exact que l’Assemblée nationale devrait confier à l’Assemblée constituante: Doit-elle obligatoirement rédiger la constitution d’un Québec indépendant, ou doit-elle ne pas présumer de l’issue des débats concernant le statut politique du Québec en laissant la porte ouverte à différents scénarios ? Cette question, apparemment technique rappelant les débats sur la «mécanique référendaire», peut sembler éloignée des préoccupations concrètes de la population. Néanmoins, la «question nationale» représente toujours un enjeu actuel et fondamental. Comment permettre au peuple québécois d’exercer son droit à l’autodétermination, soit de décider de son avenir politique et de définir ses propres institutions ?

La conclusion ou non d’une alliance entre les deux partis dépend donc de la réponse apportée à cette question. Résumons les grandes lignes du débat. Tandis que le programme d’ON précise qu’une « Assemblée constituante démocratique citoyenne, indépendante et non partisane, sera convoquée afin d’écrire une constitution du Québec indépendant ». QS préconise le même type d’Assemblée constituante et la même démarche menant à la tenue d’un référendum qui marquerait la fin du processus, mais il laisse la porte ouverte à diverses options. Cette position de QS n’est pas le fruit d’un oubli ou d’un hasard ; c’est le résultat d’un débat politique qui a animé les membres du parti lors de son congrès de 2016. À cette époque, deux camps cherchaient à faire valoir leurs points de vue. L’un affirmait, tout comme ON, la nécessité de préciser que l’objectif de l’AC était de rédiger la constitution d’un pays, alors que l’autre soutenait le besoin de maintenir la position adoptée par QS lors de son congrès de 2009 ; c’est-à-dire de garder le débat ouvert pour rallier les personnes non convaincues au projet d’indépendance. C’est la deuxième position qui l’a emporté avec une majorité d’environ 55%. Or, la réussite (ou l’échec) d’une fusion entre QS et ON semble dépendre de la volonté des membres de QS à revenir sur la position adoptée en 2016, ce qui pourrait créer des tensions à l’interne. Plusieurs sont en effet persuadés qu’en confiant à l’AC le mandat de préparer une constitution pour un Québec indépendant on se priverait automatiquement de l’appui de la tranche de 15% à 20% de votes nécessaire pour assurer une victoire du Oui lors d’un troisième référendum comme l’ont démontré les  résultats des référendums de 1980 et 1995. Or, ce sont des fédéralistes de bonne foi ou des  indécis qu’on doit convertir à l’indépendance. Il serait difficile de convaincre ces derniers de participer à la consultation publique organisée par la Constituante car un bon nombre, ayant l’impression que les dés sont pipés à cause du mandat du mandat confié à l’Assemblée constituante de préparer la constitution d’un Québec indépendant, pourraient plutôt écouter l’appel au boycott qui sera certes lancé par les leaders fédéralistes dans ce moment crucial.

 

Une troisième voie pour concilier les deux positions

Les deux co-auteurs de cette lettre, Jonathan Durand Folco et Paul Cliche, faisaient partie des deux camps opposés lors du débat de 2016 à QS. Heureusement, nous sommes aujourd’hui arrivés à la conclusion qu’une troisième voie pourrait réconcilier ces deux positions. En voici les principaux éléments : Considérant que la mise sur pied d’une Assemblée constituante par l’Assemblée nationale constituerait une rupture de facto d’avec l’ordre fédéral canadien, cette dernière se verrait confier le mandat de rédiger la constitution de l’État indépendant du Québec. À la fin du processus, elle ferait entériner ses travaux par un référendum à deux questions : 1) voulez-vous que l’État du Québec adopte cette constitution ; 2) voulez-vous que l’État du Québec soit indépendant ? Les avantages d’une double question sont multiples. Premièrement, cela permettrait de bien distinguer deux choses différentes : d’un côté, l’adoption d’une loi fondamentale servant à définir les principes, valeurs et institutions de base d’une communauté politique, puis la relation de cet État avec la constitution canadienne d’autre part. Deuxièmement, cette formulation implique que l’AC ne débouchera pas simplement sur la constitution d’une province, mais que l’option de l’indépendance sera présente lors du référendum afin que le peuple québécois puisse décider de son avenir politique. Troisièmement, cette stratégie pourrait rallier plusieurs personnes indécises, car la rédaction collective d’un projet de constitution interpelle toutes les franges de la population, et la possibilité de voter séparément sur l’indépendance lors du référendum permettrait d’éviter un boycott de l’assemblée constituante par les non-indépendantistes.

Certains objecteront peut-être que mener à terme un processus constituant est déjà une opération complexe  en soi et que le fait de poser deux questions lors d’un référendum pourrait semer la confusion. Au contraire, si nous prenons l’exemple du vote sur l’avenir politique de la Catalogne du 9 novembre 2014, cette consultation avait bien deux questions très faciles à comprendre. Si nous regardons maintenant l’assemblée constituante islandaise et son référendum non contraignant du 20 octobre 2012, les citoyens et citoyennes étaient appelés à voter sur six questions : la première portait sur le projet de constitution comme tel, puis les cinq autres sur des articles distincts ne faisant pas l’unanimité (propriété publique des ressources naturelles, Église nationale, etc.). Comme nous pouvons anticiper dès maintenant que la totalité de la population ne sera pas d’accord sur le statut politique du Québec à ce moment là, la manière la plus simple de résoudre cette question consiste à laisser les gens voter directement sur cet enjeu de toute première importance, sans pour autant miner l’ensemble du processus constituant.

Enfin, l’Assemblée constituante est la meilleure façon de relancer une large conversation nationale sur notre avenir collectif, tout en permettant de dépasser les débats parfois acrimonieux sur des questions partielles (laïcité, immigration, liberté d’expression, etc.) en les replaçant à l’intérieur d’une réflexion plus large orientée vers la construction d’un nouveau cadre politique. Par un large processus de mobilisation populaire, d’éducation civique et de délibération publique, l’AC pourra faire des tournées approfondies dans toutes les régions du Québec pour discuter d’enjeux sociaux, de valeurs, de décentralisation et de démocratie, en donnant ainsi une plus grande légitimité à un processus de refondation de la société québécoise. L’essence de l’indépendance, au fond, réside dans l’exercice de la souveraineté populaire, c’est-à-dire de la participation citoyenne en marche. Ce processus d’émancipation collective réside dans la capacité des citoyens et citoyennes à redéfinir ensemble leurs institutions publiques. C’est la possibilité pour un peuple de décider de son avenir politique, en créant ses institutions à son image dans le but de s’auto-gouverner.

L’indépendance sans souveraineté populaire, et donc sans Assemblée constituante, n’est qu’un idéal abstrait ; pour lui donner vie, il faut réactiver l’imaginaire collectif en déployant un large processus inclusif et participatif, visant ni plus ni moins la refondation de la démocratie elle-même. L’AC, comme moteur de libération, démarche de mobilisation, de délibération et d’action politique élargie, c’est l’étincelle qui remettra le Québec en marche, par l’activité concrète des gens réunis pour discuter ensemble du monde dans lequel ils veulent vivre.