Réfugiés haïtiens : Pourquoi Ottawa doit payer !

2017/09/07 | Par Pierre Dubuc

En janvier 2003, au terme d’un sommet, intitulé « l’Initiative d’Ottawa pour Haïti », réunissant des diplomates américains, français et canadiens au Lac Meech, le diplomate canadien Denis Paradis déclarait : « La communauté internationale ne peut attendre la fin du mandat de cinq ans du Président Aristide en 2005. Aristide doit partir et la communauté internationale doit se préparer à une nouvelle ronde d’aide humanitaire et d’occupation militaire étant donné sa responsabilité démocratique de protéger les habitants vulnérables de cet État en faillite ».

Un an plus tard, le 29 février 2004, des forces d’intervention de ces trois pays investissaient le Palais présidentiel à Port-au-Prince, s’emparaient du Président Aristide, le forçaient à signer une lettre de démission et l’embarquaient dans un avion avec pour destination la République Centre-africaine. 

Pourtant, Jean-Bertrand Aristide avait été porté au pouvoir en décembre 1990 en remportant 67 % du vote populaire, lors de la première élection libre tenue en Haïti. Au scrutin de mai 2000, il a été réélu avec 92 % des suffrages et son parti politique, Fanmi Lavalas, obtenait la majorité des sièges à la Chambre des députés, au Sénat et aux élections municipales.

Aristide était arrivé au pouvoir alors que près de 70 % du budget d’opération et 90 % du budget des grands projets reposaient sur l’aide et les prêts internationaux. Une aide qui n’était pas sans condition. L’exemple du riz est éloquent. En 1995, le gouvernement américain, qui subventionne son industrie rizicole à hauteur de 40 % du prix de détail, oblige le gouvernement haïtien à réduire à 3 % les tarifs sur les importations de riz. Du jour au lendemain, Haïti est inondé de riz américain, qui se vend à 70 % de la valeur du riz haïtien. La production locale est presque complètement détruite, puis s’ensuit une spectaculaire hausse du prix des denrées alimentaires.

Dès son arrivée au pouvoir, Aristide lance une série de réformes progressistes (campagne d’alphabétisation, réforme agraire, hausse du salaire minimum, etc.), mais il doit composer avec la présence de plus de 10 000 organisations non-gouvernementales (ONG), selon une évaluation de la Banque mondiale. Ces ONG fournissaient plus de 80 % des services et certaines d’entre elles avaient – et ont toujours – des budgets plus importants que les ministères oeuvrant dans le même champ de compétence. 

Pourtant, au départ, Haïti était riche. À la veille de la Révolution américaine, elle générait plus de revenus que l’ensemble des treize colonies américaines. Elle était le principal producteur de café et de 75 % de la production mondiale de sucre. Une productivité exceptionnelle qui était le fruit d’une exploitation esclavagiste tout aussi exceptionnelle. 

La Révolution haïtienne et l’accession d’Haïti à l’indépendance en 1804 a mis fin à cette situation. La Révolution a eu le mérite d’être la plus conséquente des trois grandes révolutions de son époque – avec les Révolutions américaine et française – par l’affirmation inconditionnelle des droits naturels et inaliénables de TOUS les êtres humains.

Elle mettait en lumière l’hypocrisie des pays européens toujours engagés dans la traite des Noirs, constituait une menace pour les esclavagistes américains, et une inspiration pour les mouvements de libération d’Afrique et d’Amérique latine. Les grandes puissances allaient le lui faire payer cher. 


En 1825, la France consent à rétablir ses relations diplomatiques et commerciales lorsque son ancienne colonie accepte, sous la menace d’une intervention de la flotte française, de verser une « compensation » de 150 millions de francs pour la perte de ses esclaves, soit un montant égal au budget annuel de la France. Haïti doit contracter des emprunts auprès des banques françaises et les remboursements représentaient à la fin du XIXe siècle 80 % du budget haïtien. Les paiements ne prirent fin qu’en 1947.

L’implication de la France dans le coup d’État n’est pas étrangère à la demande d’Aristide, formulée à l’occasion du bicentenaire de l’Indépendance en 2004, que Paris rembourse cette « compensation ». Calculée à un taux d’intérêt minimal de 5 %, la réclamation haïtienne s’élevait à 21 milliards $ ! 

En 1915, les troupes américaines débarquèrent dans l’île et l’occupation dura vingt ans. Washington abolira l’article de la Constitution qui empêchait des étrangers de détenir des propriétés en Haïti, s’emparera de la Banque nationale, réorganisera l’économie pour l’orienter vers le remboursement des dettes, expropriera des terres pour créer de grandes plantations et créera une armée pour faire face à un seul ennemi : le peuple haïtien. Après le départ des Marines, l’armée, renforcée par les Tontons Macoutes sous Duvalier, deviendra la force dominante du pays.

À son arrivée au pouvoir, Aristide abolit l’armée pour la remplacer par une force policière rurale. Quand le général Cédras le renverse, moins d’un an plus tard, sa première décision est de rétablir l’armée. De retour au pouvoir en 2000, Aristide démantèle à nouveau l’armée. Le peuple exprimera sa compréhension de cet affrontement crucial dans un slogan : Titid ou Lame. Aristide ou l’armée.

Les puissances tutélaires n’allaient pas permettre à Aristide de mettre en vigueur son programme. Dès qu’il remet en question les privatisations, les États-Unis et leurs partenaires suspendent l’aide et les prêts. En une nuit, la monnaie nationale perd 20 % de sa valeur et les prix des aliments de base d’augmenter d’autant. 

Le Canada participe activement à cette campagne anti-Aristide. Dans son livre Damming the Flood : Haïti, Aristide, and the Politics of Containment, Peter Hallward raconte que le ministre des Affaires étrangères Pierre Pettigrew frayait avec les leaders de l’opposition avant le coup d’État et que l’ACDI a accordé à leurs organisations une aide financière significative. D’autres groupes, comme Développement et Paix, Droits et démocratie, participeront à la campagne de diabolisation et de déstabilisation. 

La compagnie canadienne Gildan, active parmi les forces qui renverseront Aristide, deviendra, en 2009, le plus important employeur privé du pays, avec près de 8 000 emplois directs et indirects dans le domaine de la confection à Port-au-Prince. Les banques canadiennes font aujourd’hui partie du tout petit nombre d’opérateurs étrangers de Port-au-Prince et le secteur minier est presque entièrement contrôlé par des compagnies canadiennes.

Au lendemain du coup d’État, pour « pacifier » le pays, on dépêche en Haïti 9 000 soldats et 6 000 policiers internationaux, ainsi que plus de 10 000 gardes d’agences de sécurité privées. 500 soldats canadiens sont intégrés à la mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH). Au départ, les soldats de la MINUSTAH et leur commandant général, le Brésilien Augusto Heleno Ribeiro, résistèrent « aux pressions extrêmes exercées par les États-Unis, la France et le Canada à utiliser la violence ». Quelques mois plus tard, Ribeiro sera remplacé par un militaire au cœur moins tendre.

En plus de cette répression politique, la négligence de l’ONU pour la vie des Haïtiens a causé une importante épidémie de choléra, qui a emporté au moins 8 000 Haïtiens et en a rendu malades 750 000 d’entre eux.

Pour faire « oublier » cette campagne de terreur contre les populations pauvres d’Haïti, le premier ministre Paul Martin nommera Michaëlle Jean, une Canadienne d’origine haïtienne, au poste de Gouverneur général du Canada.

En janvier 2010, Haïti est frappé par un tremblement de terre qui fera 300 000 morts, 300 000 blessés et un million de sans-abris. Quelle fut la réaction du gouvernement canadien ?

Plutôt que d’envoyer la demi-douzaine d'équipes de « Recherche et sauvetage en milieu urbain à l'aide d'équipements lourds » (RSMUEL), prêtes à intervenir pour secourir la population, le gouvernement canadien dépêcha 2 000 soldats aux côtés de 10 000 militaires des États-Unis, parce que, selon des documents officiels rendus publics, le gouvernement canadien craignait « un soulèvement populaire » et le retour au pouvoir de l'ex-président Jean-Bertrand Aristide, en exil en Afrique du Sud.

Le gouvernement fédéral, dont était membre Denis Coderre, porte une lourde part de responsabilité dans la situation économique désastreuse d’Haïti qui a provoqué l’exode massif des Haïtiens et il doit donc assumer le coût intégral de la présence des réfugiés haïtiens.