Recul historique du français au cégep de Ste-Foy

2017/09/11 | Par Frédéric Lacroix

C’est donc officiel.

Un court texte paru le 21 août sur le site web du Syndicat des professeur(e)s du Cégep de Sainte-Foy annonce que la direction du Cégep de Sainte-Foy a modifié, en juin dernier, la Politique sur l’emploi et la valorisation de la langue française. Spécifiquement, l’article 3.1 qui faisait du français la « langue d’enseignement » au collège a été abrogé et remplacé par un article qui fait du français la « langue prépondérante d’enseignement ».

Il est difficile d’exagérer l’importance de ce changement mineur en apparence. Pour la première fois, un cégep public (le plus gros à Québec) abandonne – en partie pour le moment mais le meilleur est sans doute à venir – le français comme langue d’enseignement à l’intérieur de ses murs. C’est un recul qu’il n’est pas exagéré de qualifier d’historique. On s’interroge à savoir si la direction actuelle du Cégep mesure bien la gravité du geste qu’elle vient de poser.

Bien sûr, celle-ci se défendra en minimisant l’importance du changement en cours: « Il s’agit de quelques cours seulement, etc. », mais soyons clairs, il s’agit bien de remplacer des cours donnés actuellement en français par des cours donnés en anglais. Il s’agit d’une anglicisation nette, donc, de cette institution.

Cette anglicisation de l’enseignement découle de la curieuse idée que les cours d’anglais sont quasi inutiles pour apprendre… l’anglais. Pour apprendre l’anglais, il faut étudier en anglais! Cette idée ridicule est colportée allègrement par notre classe politique : Philippe Couillard lui-même l’affirmait d’ailleurs la semaine passée. M. Couillard a-t-il oublié que son rôle est d’incarner et de défendre le seul État de langue française en Amérique, pas de se comporter en lobbyiste pour la SPEAQ (« Société pour le perfectionnement de l’enseignement de l’anglais, langue seconde, au Québec »)?

Si les cours d’anglais dispensés au primaire et au secondaire étaient si catastrophiques, comment se fait-il, par exemple, que M. Philippe Couillard, premier ministre du Québec, scolarisé entièrement dans des écoles françaises jusqu’au doctorat, soit tellement « fluent » en anglais qu’il en vienne à utiliser l’anglais spontanément quand il va à l’étranger?

Si des cours en anglais étaient absolument nécessaires pour devenir bilingue, on peine à comprendre comment 62,4% des jeunes de 15-24 ans habitant la ville de Québec en sont venus à être bilingues anglais-français selon les données du recensement de 2016. Le taux de bilinguisme dans cette ville notoirement fermée sur le monde qu’est Québec a plus que doublé en 50 ans! Avec la loi 101! Et on ne mesure même pas encore les effets de l’introduction de l’anglais en première année, de l’anglais exclusif en sixième année, du délire des cours d’anglais langue maternelle au secondaire, et de la mutation numérique qui fait qu’une grande partie des foyers ont délaissé le Temps d’une paix pour Game of Thrones. Ainsi, de nombreux enfants à Québec sont maintenant en immersion quasi-constante dans la culture américaine. On peut prédire sans trop de risques de se tromper que le taux de bilinguisme devrait continuer à augmenter rapidement dans les prochaines années. Sans rien faire de plus!

Avec un taux de bilinguisme de 62,4% les jeunes francophones de Québec sont non seulement DEUX fois plus bilingues que les jeunes anglophones d’Ottawa, capitale d’un pays soi-disant bilingue, ils se classent parmi les champions mondiaux du bilinguisme!  Une vérité que l’on n’entend pas souvent…

Mais, me direz-vous, 62,4% ce n’est pas encore assez pour répondre aux besoins des entreprises. Tenez en haute technologie, par exemple, c’est insuffisant! Ça tombe bien, j’ai justement sous la main une étude du Conseil supérieur de la langue française réalisée en 2016 qui avait étudié précisément cette question. Il en ressortait qu’à Québec, seulement 37% des travailleurs en haute technologie utilisaient l’anglais et le français au travail alors que 55% utilisaient le français uniquement. Même les gestionnaires dans ces entreprises ne sont que 44% à utiliser l’anglais et le français alors que 47% utilisent le français seulement. Que doit-on en conclure? Que l’offre de locuteurs bilingues à Québec dépasse déjà largement la demande dans le domaine industriel le plus anglophile qui soit. Que ceux qui utilisent seulement le français au travail sont plus nombreux que ceux qui utilisent l’anglais et le français, même chez les cadres!

Trois conclusions donc : De un, il faut dégonfler l’idée risible que les cours d’anglais ne servent à rien alors qu’ils ont conduit les jeunes francophones de Québec à un taux de bilinguisme parmi les plus élevés au monde. De deux, le nombre de locuteurs bilingues dépasse déjà largement la demande à Québec, même dans le secteur industriel le plus anglicisé et pour les postes les plus élevés. De trois, le taux de bilinguisme va continuer à augmenter rapidement.

L’anglicisation de la langue d’enseignement au Cégep de Sainte-Foy résulte donc non pas d’une politique réaliste répondant à un besoin réel, mais d’une logique de clientélisme soutenue par une insécurité culturelle quasi maladive. Il est tragique de penser que cette insécurité est entretenue par le Premier ministre lui-même.

Tous les partis politiques au Québec combattent depuis des décennies l’idée d’imposer la loi 101 au Cégep. Dommage.

Ou tragique peut-être. Car pendant ce temps, ce qui est en train d’advenir, c’est l’anglicisation des Cégeps francophones sous le couvert de la « prédominance » du français.