Congrès du PQ : Le Kool-Aid linguistique

2017/09/13 | Par Frédéric Lacroix

Au sortir de son premier congrès national comme chef du PQ, M. Lisée peut se féliciter non seulement de son bon score obtenu lors de son vote de confiance, mais aussi d’avoir réussi à écarter à peu près toutes les propositions structurantes sur la langue qui auraient pu lui lier les mains comme chef de parti ou premier ministre. Une victoire tactique importante pour lui.

Si par ailleurs, la mesure structurante phare qu’est la loi 101 au cégep a été astucieusement torpillée, M. Lisée a lourdement insisté, avant, pendant, et après le congrès, sur le fait qu’élu chef du gouvernement, il allait : « transformer le cégep francophone pour que les gens aient la certitude qu’ils puissent bien [y] apprendre l’anglais ».

Non content d’en rester là, il a rajouté qu’il allait: « favoris[er] l’apprentissage intensif de l’anglais langue seconde ou du français langue seconde au moment le plus efficace à la fin du primaire ou du secondaire ».

Comme le fait d’imposer de l’anglais intensif (obligatoire?) au primaire et au secondaire n’est peut-être pas suffisant, il a rempilé en exigeant une session d’études en anglais au cégep francophone : « Pour diminuer l'attrait du réseau anglais exercé sur les jeunes francophones, le PQ prône aussi de favoriser l'apprentissage de l'anglais intensif, au primaire ou au secondaire, dans le réseau scolaire francophone. On permettrait aussi aux étudiants francophones de suivre « un parcours en anglais enrichi » au cégep francophone, ce qui inclurait une pleine session dans un cégep anglophone.

Je suis ressorti de cette semaine de congrès complètement éberlué. Il ressort clairement que M. Lisée a bien un projet structurant en tête pour les cégeps francophones. Ce projet n’est pas d’appliquer la loi 101 au cégep. Ce projet est de transformer les cégeps francophones en cégeps bilingues. C’est un projet qu’il caresse d’ailleurs depuis de nombreuses années et dont il a déjà parlé, à l’époque, sur son blogue. L’idée initiale était de fusionner les cégeps anglophones et francophones en un seul réseau bilingue. M. Lisée a cependant compris depuis que les cégeps anglophones ne se laisseraient pas avaler et a modéré ses ambitions. Il semble cibler maintenant seulement les cégeps français.

En pensant gagner des votes chez les « jeunes » en nourrissant l’insécurité culturelle grandissante des Québécois, il commet la même erreur stratégique qu’avait jadis commise Gérald Larose qui prêchait pour l’implantation de l’anglais intensif au primaire suite à la Commission qui porte son nom (les autres mesures étant restées lettre morte, of course). Mme Marois était allée plus loin – avant de se rétracter dans la confusion – en disant que l’histoire et les maths allaient s’enseigner en anglais au primaire. Jean Charest a pris le PQ au piège de ses contradictions en annonçant l’anglais intensif obligatoire en sixième année en 2011. Le bilan? L’enseignement de l’anglais occupe aujourd’hui une place énorme dans les écoles françaises et exerce une pression pour l’anglicisation du secondaire. Les écoles anglaises, de leur côté, sont libres d’enseigner le français comme elles le veulent. Comme quoi la prédominance, c’est seulement bon pour les dominés.

La « bonification de l’enseignement de la langue seconde » dans les Cégeps, une bonne idée? Il n’est pas interdit de s’instruire de l’expérience des autres. Que s’est-il passé depuis la bilinguisation de l’université d’Ottawa? Les cours en français sont maintenant menacés d’extinction. Que se passe-t-il à HEC qui a introduit des parcours d’études « bilingues », il y a quelques années? Le nombre de cours en anglais augmente sans cesse (le français devient donc de moins en moins prédominant, excusez-moi d’insister), les professeurs qui refusent d’enseigner en anglais subissent des pressions, et si la tendance se maintient, le baccalauréat en bilingue sera plus populaire que le baccalauréat en français dès cette année. Autre exemple, comment se fait-il que les Franco-Ontariens réclament à cors et à cris depuis des décennies la création d’une université française en Ontario? Parce que les universités bilingues sont de puissantes machines à assimiler.

Que se passera-t-il avec les cégeps bilingues? Les mêmes causes produisent les mêmes effets.  Il se passera la même chose qu’à l’université d’Ottawa ou qu’à HEC. Le signal à l’effet que le français est déclassé sera reçu 5 sur 5 par les étudiants et la demande pour l’anglais sera énorme. Qui voudra faire ses études dans une langue qui ne représente pas l’avenir? Qui voudra d’un DEC en français seulement alors que les employeurs, pour deux candidats égaux, prendront soit celui qui a fait son cégep en anglais, soit en bilingue (dans cet ordre probablement). A Montréal, il est prévisible que les cégeps bilingues deviendront des machines à assimiler. Comme les institutions semblables ailleurs au Canada.


Lors du congrès, les militants semblent avoir accepté un étrange compromis à l’effet qu’ils laissaient tomber la loi 101 au cégep en échange d’une diminution graduelle des subventions aux cégeps anglophones. En acceptant d’avaler le Kool-Aid linguistique préparé par le chef lors du congrès, ceux qui s’inquiètent du sort du français au Québec se sont fait berner (pour dire les choses poliment).  Car M. Lisée a clairement affirmé que cette diminution graduelle des subventions serait causée non pas par une « fermeture du robinet », mais par un transfert volontaire graduel des étudiants des cégeps anglophones vers les cégeps bilingues : « Ouais, c’est une bonne idée d’aller apprendre l’anglais dans un cégep francophone parce qu’enfin ils répondent à mon besoin”, il va y avoir un transfert graduel de cette population [des cégeps anglophones] vers les cégeps francophones dans le respect du libre-choix. […] Graduellement les cégeps anglophones vont avoir moins d’étudiants. Pourquoi ? Bien, parce qu’on va enfin offrir dans les cégeps francophones un vrai parcours pour apprendre l’anglais correctement. C’est ça la méthode. Ce n’est pas d’essayer de fermer des robinets ou quoi que ce soit ».

On se demande : mais sur quelle planète vit M. Lisée? Cet argument fleurant bon la pensée magique rappelle la mesure qu’il proposait il n’y a pas longtemps encore pour « stopper » l’anglicisation de Montréal. Il n’y avait qu’à retenir les francophones sur l’ile, disait-il. M. Lisée a colporté cet argument complètement insensé pendant de nombreuses années. Une simple vérification lui aurait pourtant permis de constater que le poids relatif des francophones dans la couronne de Montréal était également en déclin et que son argument était aberrant. Cet argument de l’anglicisation qui va ramener les étudiants au cégep « bilingue » est de la même eau. Une invention. De la poudre aux yeux. Du délire.

Selon les données corrigées du recensement de 2016, sur l’île de Montréal, les francophones (langue maternelle) de 25 à 44 sont maintenant bilingues à 80,5%. Les anglophones le sont à 76,5%. Non seulement les francophones sont maintenant plus bilingues que les anglophones, mais la tendance à la baisse du bilinguisme des anglophones mise en évidence en 2011 s’est accélérée. Les francophones, pour leur part, ont continué leur lancée à la hausse. Que signifie ceci? Serait-ce que l’anglais a maintenant un prestige supérieur au français à Montréal?  Autre chose : Les francophones de Montréal sont parmi les champions du monde en bilinguisme. De véritables médaillés d’or! Il est faux, archi-faux, voire calomnieux d’affirmer comme le fait M. Lisée que la fréquentation d’institutions françaises empêche d’apprendre l’anglais correctement.

En plaidant comme il l’a fait pour l’anglicisation des cégeps français, M. Lisée commet une grave erreur stratégique. Non seulement il vient affaiblir le statut du français à un moment où celui-ci est vacillant, mais il ouvre la porte pour que M. Couillard saisisse l’occasion, comme Jean Charest l’avait fait, et propose des mesures pour venir « bonifier » l’apprentissage de l’anglais. « Bonification » qui viendrait faire chanceler encore plus le statut maintenant précaire du français au Québec. M. Lisée s’est fait depuis plusieurs années le porte-parole du concept de prédominance du français, un concept qui a été inventé par la Cour Suprême du Canada. Cette prédominance n’est rien d’autre que le bilinguisme à la sauce Trudeau. Placer ce concept au cœur de la politique linguistique Québécoise comme le fait M. Lisée revient à signer l’arrêt de mort du français langue commune qui charpente toute la législation linguistique Québécoise. On peut penser que si les anglophones ressentent de moins en moins la nécessité de maitriser le français à Montréal, est-ce le signe que l’anglais est en train de s’établir comme langue commune sur l’île et que la prédominance du français est en fait un attrape-nigaud?

Dans ses publicités post-congrès sur les réseaux sociaux, le PQ affirmait que les mesures proposées venaient « renforcer le français au niveau collégial ». Non M. Lisée, pour paraphraser George Orwell, « plus d’anglais ce n’est pas plus de français ».