Inégalités scolaires : Entre la polyvalente et l’école privée

2017/09/15 | Par Richard Lahaie

En cette rentrée scolaire 2017, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) a publié une enquête sur les inégalités scolaires au Québec. Cette note socioéconomique, des chercheurs Philippe Hurteau et Anne-Marie Duclos, présente les effets de la concurrence scolaire et les inégalités au sein de l’école. L’aut’journal a demandé à Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE) et Alain Marois, vice-président à la vie politique de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) de commenter cette enquête.

L’enquête révèle « qu’aujourd’hui, selon un rapport du Conseil supérieur de l’éducation, c’est au Québec que le système éducatif serait le plus inégalitaire au Canada, ce qui peut s’expliquer par une contamination du secteur public par la logique de marché. L’influence des politiques néolibérales, comme idéologie visant l’implantation des normes marchandes dans l’ensemble des sphères de la vie, a introduit au sein du réseau scolaire des éléments caractéristiques de la logique du secteur privé, tels que le libre choix, l’individualisme et la concurrence ».

Alain Marois rappelle que « notre système d’enseignement est un système à trois vitesses composé des écoles privées, des écoles publiques à projet particulier et des écoles publiques écrémées ».

 

Un système d’enseignement privé discriminatoire

Le processus de sélection ayant pour conséquence que des élèves provenant de milieux socioéconomiques favorisés se trouvent surreprésentés au sein des écoles privées et des écoles à projet particulier, diminuant du coup la mixité sociale de ces écoles, tout comme celles des écoles publiques.

Josée Scalabrini, explique que « l’on ne peut pas reprocher, socialement, aux parents de vouloir un petit plus pour leur enfant. Le problème, c’est la concurrence et ce système d’éducation à trois vitesses qui est arrivé en même temps que les grandes coupures en éducation. On a éliminé la mixité scolaire et créé par la même occasion la ségrégation scolaire en regroupant ensemble les élèves ayant le plus de difficulté ou étant les plus défavorisés. On a sorti les élèves ayant le plus de facilité en les dirigeant vers des projets particuliers sélectifs ou carrément vers le privé ».

Les injustices se perpétuent non seulement par la présence de deux réseaux d’enseignement, mais aussi par les dynamiques de concurrence qui, à l’intérieur même des murs de l’école publique, ont pour résultat d’étendre et de reproduire les inégalités plutôt que de les réduire. La mixité au sein des classes est le facteur le plus déterminant dans la réussite scolaire, puisqu’elle maximise les progrès des plus faibles tout en n’ayant peu ou pas d’effets sur ceux des plus forts, en plus de réduire les inégalités sociales et de favoriser les comportements de vivre-ensemble. Ainsi, la mixité sociale est un avantage pour tous les élèves sans exception, quelles que soient leurs caractéristiques académiques ou socioéconomiques, de préciser l’enquête de l’IRIS.

« Les chercheurs expliquent que cette façon de gérer n’a jamais été un plus pour une société. Mettre seuls ensemble les plus performants, n’amène pas de meilleurs résultats. Par contre, en sortant les élèves ayant plus de facilité de ces classes nuit aux élèves qui avaient des difficultés », de poursuivre Josée Scalabrini.

L’enquête de l’IRIS précise que « le phénomène de sélection/exclusion basé sur les rendements académiques et l’origine socioéconomique contribue à une ségrégation scolaire conduisant aux résultats observés dans les palmarès. L’école privée n’est pas supérieure à l’école publique. Elle obtient de bons résultats en raison des élèves qu’elle accepte et non parce qu’elle offrirait des particularités bénéfiques ».

La FSE a publié une étude, en 2016, qui va dans le même sens que l’enquête de l’IRIS.

De plus, les subventions de l’État québécois au réseau d’enseignement privé sont les plus élevées au Canada. Comme le réseau privé n’a pas l’obligation de former tous les jeunes, son effectif ne comprenait que 5% d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage, contre 21,3% pour le réseau public.

« En abolissant le financement des écoles privées, étape par étape, le réseau public pourrait absorber le retour d’une majorité des élèves. Il faut savoir que, malgré tout, il y aura toujours des parents qui paieraient pour garder leur enfant dans le privé, malgré une augmentation des coûts », d’expliquer Mme Scalabrini.

 

Les projets particuliers

« La présence importante d’écoles privées au Québec, avec son effet d’écrémage, participe à une ségrégation qui, au final, renforce les inégalités scolaires plutôt que de les atténuer. Or, à ce mécanisme d’écrémage vient s’en ajouter un second. Avec la mise en concurrence des établissements instaurée par le privé s’institue une pression sur les écoles publiques pour que celles-ci créent ce qu’on appelle des « programmes particuliers », soit des adaptations de programme officiel ou l’adoption de systèmes pédagogiques particuliers dans certaines écoles », de souligner les auteurs de l’IRIS.

« On a créé différents types de projets particuliers à travers les années. Le plus connu est ce que l’on a appelé « l’anglais intensif », qui consiste à réduire de 50% le temps des matières de base (français, mathématiques, etc) et le reste du curriculum se fait en anglais. Mais il était interdit d’enseigner des matières de base dans cette portion car, au Québec, l’immersion est interdite. C’est la même chose pour les « sports-études », « arts-études » et « l’école internationale », d’expliquer Josée Scalabrini.

Alain Marois raconte « que la FAE est d’accord avec les conclusions de l’enquête de l’IRIS. Dans le secteur public, pour mettre en œuvre des projets particuliers, il y a différentes règles qui ne sont pas nécessaires dans le secteur privé. Au public, il doit y avoir au préalable une autorisation du ministre. Les projets particuliers qui ne s’adressent qu’à une partie des élèves d’une école ont des encadrements légaux différents de ceux qui s’adressent à une école entière. Si le projet particulier s’adresse à tous les élèves de l’école, on parle alors d’école dédiée à ce seul projet. Si une polyvalente décidait de devenir entièrement un projet d’école internationale, les élèves du quartier autour de cette polyvalente n’y auraient plus tous accès. Ça obligerait aux élèves d’aller dans une école plus loin. C’est pourquoi il doit y avoir des permissions qui doivent être demandées au ministre ».
 

Les inégalités d’autrefois

L’enquête menée par les chercheurs de l’IRIS rappelle « qu’ à l’aube des années 1960, seulement 13% de celles et ceux que l’on désignait à l’époque comme les Canadiens français terminaient leur 11e année, contre 36% des élèves anglophones. Il en était de même pour la fréquentation universitaire, où 3% des jeunes francophones (dont une très faible proportion de femmes) accédaient à l’université tandis que 11% des jeunes anglophones jouissaient du même privilège ».

« À la suite du Rapport Parent, des percées majeures ont été accomplies quant à l’accessibilité à l’éducation. Ces avancées ont permis de démocratiser l’éducation en favorisant une plus grande mixité sociale au sein du système scolaire. Avec l’essor du néolibéralisme dans les années 1980, cette tendance à la démocratisation a lentement cédé le pas à une nouvelle dynamique : la marchandisation et la mise en concurrence des établissements, au nom de l’efficience prétendue des solutions inspirées des mécanismes de marché », de poursuivre les auteurs.