Quand Justin Trudeau embrasse le salut fasciste Slava Ukraini

2017/09/20 | Par Robin Philpot

L’auteur est éditeur de Baraka Books

L’extrême-droite, où qu’elle soit, sera toujours source d’inquiétude. Mais voir apparaître sur le site du premier ministre du Canada un salut fasciste pronazi donne des frissons. 

Le 24 août dernier, en soulignant le jour de l’Indépendance de l’Ukraine, Justin Trudeau termine sa déclaration avec le salut fasciste Slava Ukraini. [1]

Dans la foulée de la Seconde guerre mondiale et de l’Holocauste, guerre froide oblige, de grands efforts ont été déployés pour laver la réputation d’individus et d’organisations qui ont collaboré avec les Nazis et partagé leur idéologie, leurs pratiques et leurs symboles, notamment en Europe de l’Est. C’est le cas du salut fasciste ukrainien Slava Ukraini. Or, un tel révisionnisme historique ne résiste pas aux faits.

Cette réhabilitation de mouvements et de personnalités politiques pronazis, qui en fait de simples « patriotes » se battant à la fois contre les supposés deux maux, Hitler et Staline, a incité des chercheurs à retourner aux sources et à rétablir les faits.  Parmi eux, Grzegorz Rossolinski-Liebe, dont la récente biographie du « Führer ukrainien » (providnyk en ukrainien),  Stepan Bandera, fait autorité.[2] Notons que cela ne se fait pas sans remous : invité à prononcer six conférences universitaires en Ukraine en 2012, l’auteur en a vu cinq annulées à la dernière minute. 

Cet ouvrage ne laisse aucun doute sur la nature fasciste et pronazie du salut que M. Trudeau choisit d’afficher sur le site du Gouvernement du Canada. Le salut Slava Ukraini est inventé dans les années 1930 par la Ligue fasciste ukrainienne, organisation émule des Nazis et des Fascistes italiens, qui s’est jointe à l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN), dirigée par Stepan Bandera. L’OUN adopte le salut lors du Grand congrès d’avril 1941, à Cracovie, ville occupée par l’armée nazie. Salut verbal Slava Ukraini, (Gloire à l’Ukraine), mais aussi avec bras droit levé, légèrement vers la droite et légèrement au-dessus de la tête. (Tous deux sont revenus à la mode en Ukraine.)

Au même congrès d’avril 1941, l’OUN adopte un programme fasciste et antisémite, à partir duquel on rédige un important document intitulé : « Luttes et activités de l’OUN en temps de guerre ». Ce document appelle à l’extermination des Juifs, des Moscovites et des Polonais. Il explique même comment faire. Les nouveaux adhérents doivent prêter serment à la gloire du chef Bandera. Le salut Slava Ukraini est de rigueur. Stepan Bandera, aujourd’hui réhabilité par le gouvernement ukrainien, figure parmi les rédacteurs de ce document.

 

Slava Ukraini pour accueillir les Nazis

Le 22 juin 1941, l’Allemagne nazie envahit l’Union soviétique. Lorsque les soldats nazis arrivent dans les villes et villages de l’Ukraine occidentale, les milices et membres de l’OUN les accueillent avec le salut Slava Ukraini.  Sur des arches de triomphe érigées à l’entrée des villes et villages pour accueillir les troupes nazies, on affiche Slava Ukraini à côté de Heil Hitler.

Pire encore, ces mêmes fascistes, sous la surveillance de l’armée allemande, procèdent en juillet et août 1941 à des pogroms, surtout contre les Juifs. En juillet 1941, on tue environ 39 000 Juifs dans l’Ouest de l’Ukraine seulement. Le salut Slava Ukraini est partout. Des témoins racontent qu’avant de torturer et de tuer des Juifs, on les faisait faire ce salut pour les humilier davantage. (En tout, on estime que les Nazis avec leurs complices ukrainiens ont exterminé 1,6 millions de Juifs ukrainiens pendant la guerre).

 

Au Waffen-SS Galizien aussi

En 1943, Himmler ordonne l’établissement de la division Waffen-SS Galizien composé de soldats ukrainiens. Selon Rossolinski-Liebe, ces soldats ukrainiens saluaient les autres soldats du Waffen-SS avec le traditionnel Slava Ukraini pendant qu’ils procédaient aux tueries de Juifs, de Polonais et de Russes.

Si l’histoire sordide de ce salut est inconnue de Justin Trudeau, elle ne l’est point pour les survivants de l’Holocauste et leurs familles. Elle ne l’est pas inconnue non plus de membres de son gouvernement. Dont en premier lieu, la ministre des Affaires étrangères Mme Chrystia Freeland, architecte de la politique étrangère du Canada. Là, ça se corse.

 

Qu’en dit Chrystia Freeland?

En mars 2017, on révèle que le grand-père de Mme Freeland, Michaël Chomiak, a été un collaborateur nazi, rédacteur en chef du journal Krakivs’ki Visti, publication qui applaudissait notamment à l’extermination des Juifs, mais aussi à la victoire allemande à Dieppe. Que Mme Freeland n’ait pas à répondre des actions de son père, soit. Mais le moins qu’on puisse espérer, c’est qu’elle le désavoue. Niet.  Son admiration pour le « combat pour la liberté et la démocratie» de son grand-père, elle l’a exprimée sur son compte Twitter le 24 août 2016, un an avant que Slava Ukraini ne paraisse sur le site du Gouvernement du Canada, signé Justin Trudeau.

La question suivante s’impose à Justin Trudeau.

La politique étrangère canadienne consiste-t-elle à embrasser les symboles, les saluts et l’histoire de fascistes et de collaborateurs nazis d’hier – et d’aujourd’hui – lorsque cela fait notre affaire ? Le cas échéant, qu’il le dise ouvertement. Sinon, qu’il enlève les Slava Ukraini du site du gouvernement du Canada et demande à Chrystia Freeland de désavouer les actions de son grand-père.

 


[2] Stepan Bandera, The Life and Afterlife of a Ukrainian Nationalist, Fascism, Genocide and Cult Rosolinski-Liebe, ibidem, 2014.