Une entreprise des Desmarais a financé l’État islamique

2017/09/20 | Par Pierre Dubuc

Dans son édition, datée du 21 septembre, le journal Le Monde publie un long dossier sur les sommes d’argent importantes (20 000 $ US par mois) versées par le cimentier Lafarge Cement Syria, une filiale de Lafarge-Holcim, à l’État islamique pour assurer la protection de son usine de Jalabiya, à 87 kilomètres de Rakka.

Le conglomérat Power Corporation de la famille Desmarais est un actionnaire indirect important du géant Lafarge-Holcim par le biais de sa filiale Pargesa et le Groupe Bruxelles-Lambert, contrôlé indirectement par les familles Frère de Belgique et Desmarais de Montréal. Paul Desmarais Jr., cochef de la direction de Power Corp, siège d’ailleurs au conseil d’administration de Lafarge depuis 2008.

Suite aux premières révélations du journal Le Monde, une enquête préliminaire a été ouverte par le tribunal de Paris, en juin 2016, sur les « relations financières illicites entre la France et la Syrie ».  Aujourd’hui, le journal publie des extraits des auditions de cette enquête.

Le cimentier Lafarge – qui a fusionné en 2015 avec le groupe suisse Holcim – aurait investi 680 millions de dollars pour la construction de cette usine, la plus importante du Moyen-Orient, entrée en fonction en 2010.

Avec la complicité des autorités françaises, l’entreprise aurait « arrosé » de milliers d’euros les différents groupes terroristes, qui se sont succédé aux abords de l’usine, pour acheter la paix et maintenir les opérations. Ce fut d’abord le Front Al-Nosra, qui a ensuite prêté allégeance à Al-Qaida, puis l’État islamique (EI).

Les ressortissants français ont été exfiltrés du pays et les employés chrétiens et alaouites invités à ne plus se présenter au travail. Le directeur de la sûreté de Lafarge, M. Veillard, raconte : « Ces employés alaouites avaient été écartés de l’usine pour leur sécurité confessionnelle. Ils étaient au chômage technique, à Tartous, dans l’Ouest de la Syrie. Ils étaient payés jusqu’au jour où le Directeur des Ressources humaines leur a demandé de venir percevoir leur salaire à l’usine. Les 9 employés sont venus en bus, via Rakka, et se sont fait enlever par les Kurdes, puis revendus à des milices locales. Lafarge a payé 200 00 euros, en livres syriennes, pour les faire libérer ».

Seuls les employés sunnites et kurdes étaient autorisés à continuer à travailler sur le site. Pour leur sécurité, ils ont même été invités à emménager directement dans la cimenterie. Par contre, le directeur de l’usine a jugé plus prudent de déménager ses pénates au Caire, en Égypte, et diriger les opérations à distance.

À la fin du mois de juillet 2014, la dégradation de la situation militaire dans les environs de l’usine a contraint à sa fermeture. Mais les opérations – et les versements à l’État islamique – reprenaient cinq semaines plus tard, malgré une résolution de l’ONU, datée du 15 août 2014, qui interdisait toute relation financière avec les groupes terroristes présents en Syrie.

Selon un document versé au dossier, un laissez-passer a été émis pour les clients et transporteurs de Lafarge, daté du 1er  septembre 2014 et tamponné par le gouverneur de l'État islamique à Alep. Son contenu laisse entendre que l'usine a passé un «  accord » avec l'EI : «  Au nom d'Allah le miséricordieux, les moudjahidine sont priés de laisser passer aux barrages ce véhicule transportant du ciment de l'usine Lafarge, après accord avec l'entreprise pour le commerce de cette matière ».

L’usine a finalement été attaquée le 18 septembre 2014 par l’EI. Le plan d'évacuation a été défaillant. Une trentaine d'employés bloqués sur place ont dû s'enfuir par leurs propres moyens, entassés dans deux véhicules abandonnés sur le site. Quatre employés de Lafarge sont arrêtés par l'EI pendant l'évacuation, et retenus en otage une dizaine de jours. Parmi eux, deux chrétiens arrêtés dans un des bus affrétés par Lafarge sont contraints de se convertir à l'islam avant d'être relâchés.

Selon un compte rendu d’un entretien entre le directeur de l’usine et l’ambassadeur de France en Jordanie, Lafarge voulait à tout prix se maintenir en Syrie pour « préserver ses actifs et ses activités futures ».

À la vue de l’ampleur des destructions de bâtiments en Syrie, on comprend qu’il y a un avenir pour des « activités futures »… et l’enrichissement de la famille Desmarais.