L’âge des déchets nucléaires

2017/09/22 | Par Artistes pour la paix

Une lettre à M. Trudeau concernant les vives préoccupations de la population face à Chalk River et à la dangereuse gestion désormais confiée au privé du problème public des déchets nucléaires radioactifs a été co-signée par les Artistes pour la Paix. Nous remercions M. Gordon Edwards, avec qui nous avions travaillé et émis la déclaration condamnant la fission nucléaire lors du Forum Social Mondial en août 2016

Le très honorable Justin Trudeau
le 19 septembre 2017
Premier ministre du Canada
Monsieur le Premier ministre,

Le Canada est à l’aube d’une nouvelle ère : l’âge des déchets nucléaires. Pourtant, le Canada n’a aucune politique officielle de gestion à long terme des déchets radioactifs autres que le combustible irradié. Il nous faut de toute urgence une politique fédérale sur tous les autres déchets radioactifs.

En effet, l’absence de cette politique a donné le feu vert à trois projets insensés d’abandon de déchets radioactifs à proximité de plans d’eau importants. Ces déchets demeureront dangereux pendant des centaines de milliers d’années. L’un de ces projets, à Chalk River, créerait un gigantesque monticule d’une hauteur de plusieurs étages à la surface du sol, à un kilomètre de la rivière des Outaouais, et prétend confiner pour toujours un million de mètres cubes d’un mélange de déchets radioactifs.

Les deux autres projets abandonneraient sur place les restes radioactifs de deux réacteurs qui ont terminé leur vie utile : le réacteur NPD à Rolphton sur la rivière des Outaouais et le réacteur WR-1 à Pinawa sur la rivière Winnipeg. Ces trois projets menacent les générations futures et ils établissent un terrible précédent aux yeux des autres pays qui attendent du Canada des politiques et des pratiques acceptables pour l’environnement et pour la société.

Les déchets radioactifs impliqués dans ces trois projets sont tous sous la responsabilité exclusive du gouvernement du Canada. Pourtant, ces projets ont été confiés à un consortium privé de compagnies multinationales choisi par le précédent gouvernement fédéral dans le cadre d’un contrat de durée limitée. Le gouvernement précédent s’était également assuré que le processus d’approbation des trois projets soit entièrement régi par la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN). Celle-ci n’a jamais refusé d’octroyer une licence à une installation nucléaire majeure et son indépendance a souvent été mise en doute.

Monsieur le Premier ministre, nous vous exhortons à suspendre les évaluations environnementales de ces trois projets et à mettre en place une politique fédérale sur la gestion à long terme des déchets radioactifs autres que le combustible irradié. Nous suggérons que cette politique soit élaborée en consultation avec les Premières Nations et avec les autres Canadiens comme on l’avait fait lors de l’adoption de la Loi sur les déchets de combustible nucléaire. La proposition ci-jointe (Annexe 1) suggère un tel plan d’action. Plus tôt cette année, la Nation Anishinabek et le Caucus Iroquois ont adopté une déclaration commune sur les déchets radioactifs basée sur cinq principes (Annexe 2). Nous recommandons que le gouvernement considère ces principes dans toute politique qu’il adopterait.

Votre obligé,

Gordon Edwards, PhD., ccnr@web.ca , (514) 489 5118

Président, Regroupement pour la surveillance du nucléaire et conseiller scientifique, Médecins pour la survie mondiale en solidarité avec les autres cosignataires de cette lettre

Copies conformes : voir liste plus loin

Voici la liste des cosignataires de la lettre :

Grand Chef Patrick Madahbee, pour la Nation Anishinabek, a/s Nipissing FN ON
Grand Chef Joe Norton, pour le Caucus Iroquois, a/s Kahnawake FN, Qué.
Martine Ouellet, députée à l’Assemblée nationale du Québec et Chef du Bloc Québécois
Pierre Jasmin, vice-président Artistes pour la Paix, Montréal, Qué.
Ginette Charbonneau, physicienne, Lucie Massé et Gilles Provost, journaliste scientifique, le Ralliement contre la pollution radioactive, Montréal et Oka, Qué.
Michel Bélanger, président, Nature Québec, Québec.
Eric Notebaert, M.D., Association canadienne des médecins pour l’environnement, Montréal, Qué.
Martine Chatelain, porte-parole, Coalition Eau Secours!, Montréal, Qué.
Sandra Cohen Rose, Présidente, National Council of Women of Canada, Montreal Qué.
François Lapierre, Association pour la protection de l’environnement des Hautes-Laurentides, Mont-Laurier,  Qué.
Gaétan Ruest, Ing., maire, Ville d’Amqui, Amqui, Qué.
Marc Fafard, Sept-Îles sans uranium, Sept-Îles, Qué.
Claude Lussier, président, Minganie sans uranium, Longue-Pointe-de-Mingan, Qué.
Georges Hébert, président, STOP, Montréal, Qué.
Candace Neveau, pour les Bawating Water Protectors, Sault-Ste Marie ON
Johanna Echlin, Association des propriétaires de chalets d’Old Fort William, Sheenboro, Qué.
Ole Hendrickson, Ph.D., Citoyens concernés du comté et de la région de Renfrew, ON
Theresa McClenaghan, Directrice exécutive, Canadian Environmental Law Association, Toronto
Edeltraud Neal, présidente, Provincial Council of Women of Ontario, Ottawa
Beatrice Olivastri, CEO, Les Ami(e)s de la Terre, Ottawa
Meredith Brown, pour Ottawa Riverkeeper / Sentinelle Outaouais, Ottawa
Kirk Groover, Petawawa Point Cottagers Association, Petawawa 
Marilee DeLombard, Pontiac Environment Protection, Shawville, Québec
Robb Barnes, directeur exécutif délégué, Écologie Ottawa, Ottawa
Paul Johanis, Alliance des espaces verts , Ottawa-Gatineau ON/Qué.
Vinay Jindal, M.D., président, pour les Médecins pour la survie mondiale, Toronto ON
David Taylor, Concerned Citizens Committee of Manitoba, Winnipeg MB
Peter Denton, Green Action Centre, Winnipeg MB
Siegfried (Ziggy) Kleinau, Bruce Peninsula Environment Group, Bruce County, ON
Janet McNeill, coordonnatrice, Durham Nuclear Awareness, Whitby ON   
Chandler Davis, PhD, pour Science for Peace, Toronto ON
Angela Bischoff, pour Ontario Clean Air Alliance, Toronto ON
Faye More, coordonatrice, Port Hope Community Health Concerns Committee, Port Hope ON
Samuel Arnold, Sustainable Energy Group, Woodstock NB
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ANNEXE 1

PROPOSITION en faveur d’une politique de gestion des déchets radioactifs autres que le combustible irradié qui soit acceptable pour l’environnement et pour la société.

ATTENDU QU'un consortium de cinq compagnies multinationales, régi par un contrat conclu avec le gouvernement fédéral précédent, propose d’entreposer de façon permanente jusqu'à un million de mètres cubes de déchets radioactifs autres que le combustible irradié dans un monticule haut de plusieurs étages à un kilomètre de la rivière des Outaouais, et d’abandonner pour toujours les restes radioactifs de longue durée de deux réacteurs juste à côté de la rivière des Outaouais et de la rivière Winnipeg;

ATTENDU QUE ces déchets radioactifs sont la responsabilité exclusive du gouvernement du Canada et qu'une bonne partie demeurera dangereuse pendant des centaines de milliers d'années;

ATTENDU QUE le gouvernement du Canada n'a pas encore établi de politique qui établirait des principes et des directives claires sur la gestion à très long terme des déchets radioactifs autres que le combustible irradié ;

ATTENDU QUE le gouvernement du Canada n'a tenu aucune consultation valable auprès des Premières Nations, ou des autres membres de la population canadienne pour formuler une politique de gestion à long terme des déchets radioactifs (autres que le combustible irradié) qui serait acceptable pour l’environnement et pour la société ;

ATTENDU QUE le gouvernement précédent a confié le pouvoir d'approuver ou de refuser ces trois projets d’entreposage permanent des déchets radioactifs à la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN), une agence dont l'objectivité et l'indépendance ont été contestées par plusieurs organismes.

PAR CONSÉQUENT QU'IL SOIT RÉSOLU

  1. Que le gouvernement du Canada suspende les trois procédures d'évaluation environnementale de stockage permanent de déchets radioactifs à côté de la rivière des Outaouais et de la rivière Winnipeg;
  2. Que le gouvernement du Canada entreprenne une large consultation des Premières Nations et de la population canadienne pour formuler une politique socialement acceptable et respectueuse de l’environnement qui établirait clairement les principes et les directives sur la gestion à long terme des déchets radioactifs autres que le combustible irradié, et qu'une telle consultation soit supervisée et administrée par le ministère de l'Environnement et des Changements climatiques;
  3. Qu’à l’issue de ce processus de consultation et après avoir formulé sa nouvelle politique, le gouvernement du Canada demande de nouvelles propositions de projets pour la gestion à long terme de ces déchets radioactifs dont il est responsable, et que ces nouvelles propositions soient conformes à la nouvelle politique gouvernementale et assujetties au futur processus d'évaluation environnementale en cours  d'élaboration.

ANNEXE 2

EXTRAIT DE LA DÉCLARATION CONJOINTE DE LA NATION ANISHINABEK ET DU CAUCUS IROQUOIS SUR LE TRANSPORT ET L’ABANDON DES DÉCHETS RADIOACTIFS - 2 MAI 2017

Pour la gestion à long terme des déchets radioactifs, il y a eu un commun accord sur les cinq principes que voici :

  1. Pas d’abandon : Les déchets radioactifs sont dommageables pour les êtres vivants. Plusieurs demeurent dangereux pendant des dizaines de milliers d’années et même davantage. Ils doivent être isolés des aliments que nous mangeons, de l’eau que nous buvons, de l’air que nous respirons et de la Terre sur laquelle nous vivons, au bénéfice des nombreuses générations futures. Les forces de Notre Mère la Terre sont puissantes et imprévisibles et on ne peut se fier sur aucune structure faite de main d’homme qui pourrait leur résister éternellement. On ne doit pas abandonner et oublier des matières si dangereuses.
  2. Un entreposage contrôlé et récupérable : Il faut une surveillance continuelle des déchets radioactifs. Cela implique un contrôle à long terme et un entreposage récupérable. L’information et les ressources doivent être transmises d’une génération à l’autre pour que les petits-enfants de nos petits-enfants puissent détecter tout signe de fuite de déchets radioactifs et s’en protéger. Ils devront savoir comment remédier à ces fuites dès qu’elles se produiront.
  3. Un meilleur confinement et un emballage amélioré : Les coûts et les profits ne doivent jamais être le critère de base pour la gestion à long terme des déchets radioactifs. Le fait d’investir aujourd’hui dans un meilleur confinement pourrait nous éviter des frais plus élevés le jour où ce confinement fera défaut.  Une telle défaillance causerait des dommages irréparables à l’environnement, en plus des maladies attribuables aux rayonnements. Les emballages normalisés devraient être conçus de manière à faciliter le contrôle, la récupération et éventuellement le rempaquetage des déchets dont le confinement serait compromis.  Cela, pour les siècles à venir.
  4. Loin de tout plan d’eau d’importance : Les rivières et les lacs sont le sang et les poumons de Notre Mère la Terre. Quand nous contaminons l’eau, nous empoisonnons la vie elle-même. Voilà pourquoi on ne doit pas entreposer les déchets radioactifs à proximité des cours d’eau pour toujours. Pourtant, c’est précisément ce que l’on veut faire à cinq endroits au Canada : à Kincardine sur le lac Huron, à Port Hope près du lac Ontario, à Pinawa à côté de la rivière Winnipeg ainsi qu’à Chalk River et à Rolphton à côté de la rivière des Outaouais.
  5. Pas d’importation ni d’exportation : L’importation et l’exportation de déchets radioactifs sur les routes et les ponts publics devraient être interdites, sauf dans des cas vraiment exceptionnels et après une consultation sérieuse des personnes dont les terres et les eaux sont ainsi mises en péril. Tout particulièrement, les chargements planifiés de liquides hautement radioactifs de Chalk River vers la Caroline du Sud devraient être interdits puisqu’il est possible de réduire leur teneur en uranium enrichi et de les solidifier sur le site même de Chalk River. On devrait limiter strictement le transport des déchets radioactifs et en décider au cas par cas après une consultation sérieuse de tous ceux qui sont affectés.

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En résumé : une trentaine de personnalités canadiennes issues des Premières Nations, des groupes environnementaux ou politiques (dont la chef du Bloc Québécois, Martine Ouellet), des associations féministes ainsi que des scientifiques, médecins et artistes, ont fait parvenir une lettre collective au Premier Ministre Justin Trudeau pour lui demander de protéger la santé et la sécurité des Canadiens en mettant fin à trois projets qui proposent d’abandonner des déchets radioactifs de longue durée à proximité de cours d’eau majeurs comme la rivière des Outaouais et la rivière Winnipeg.

Plus fondamentalement, ces groupes dénoncent le fait que le Canada n’a jamais adopté aucune politique pour régir l’ensemble des déchets radioactifs qui ne sont pas du combustible nucléaire. Ce vide politique laisse à un consortium de sociétés nucléaires privées toute liberté de mettre en place des façons expéditives et dangereuses de gérer les déchets radioactifs, ce qui va inévitablement mettre en danger les générations futures.

Leur lettre collective demande donc que M. Trudeau mette fin aux plans insensés de ce consortium et qu’il entreprenne une large consultation auprès de la population canadienne et des Premières Nations pour mettre au point une politique fédérale sur ces déchets radioactifs autres que le combustible nucléaire lui-même. Dans les années ’80 et ’90, on avait tenu des audiences publiques dans cinq provinces afin de définir une politique sur la manipulation du combustible irradié issu de nos réacteurs nucléaires mais on avait mis de côté les autres déchets radioactifs qu’engendre la fission nucléaire. La politique future devrait viser à protéger la santé et la sécurité des citoyens et de l’environnement canadiens plutôt qu’à faire plaisir à l’industrie nucléaire.

La Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) prétend procéder à une évaluation environnementale de ces trois projets mais elle n’est pas assez indépendante de l’industrie qu’elle doit surveiller, disait en juin le rapport d’un comité d’experts fédéral. « Pendant ses 17 années d’existence, la CCSN n’a jamais refusé d’accorder une licence à une installation nucléaire majeure. Pas une seule fois ! », soutient Gordon Edwards, président du Regroupement pour la surveillance du nucléaire.

« La CCSN se préoccupe si peu de l’opinion publique qu’elle n’a organisé aucune consultation publique à Montréal, Laval ou Ottawa, souligne Gilles Provost, journaliste scientifique bien connu. Pourtant, ces agglomérations tirent toutes leur eau potable de l’Outaouais, en aval du dépotoir radioactif qu’on veut mettre en chantier dès l’an prochain. »