Les ex-employés d’Aveos ont servi de monnaie d’échange pour vendre des CSeries

2017/09/22 | Par Richard Lahaie

Le 19 septembre dernier, Air Canada a annoncé la signature de deux ententes, évaluées à 500 millions de dollars, avec l’entreprise américaine AAR pour l’entretien de 125 avions à l’usine de Premier Aviation de Trois-Rivières. Une des ententes concerne l’entretien des avions Airbus A319, A320 et A321, pour une durée de 10 ans. L’autre entente, de cinq ans, vise les avions d’Embraer E190. Par la même occasion, AAR annonçait l’acquisition des installations de Premier Aviation, une entreprise trifluvienne, pour réaliser l’entretien des avions d’Air Canada.

En entrevue avec l’aut’journal, Jean Poirier, porte-parole de l’Association des anciens travailleurs des centres de révision d’Air Canada (AATCRAC) se réjouit du retour des emplois en entretien d’avion au Québec.

« Il faut malgré tout comprendre que l’entretien de la flotte d’Embraer se faisait déjà à Trois-Rivières. Donc, ce contrat n’est pas une nouveauté. En plus, AAR faisait déjà l’entretien de la flotte des Airbus aux États-Unis. En achetant Premier Aviation, ils ont ramené le travail au Québec ».

« L’autre côté de la médaille de cette nouvelle est que Premier Aviation était une entreprise québécoise qui avait son siège social au Québec, avec des actionnaires d’ici et que l’argent était géré au Québec. Maintenant, cet argent s’en va aux États-Unis », de déplorer Jean Poirier.

 

Air Canada contrevenait à sa loi constitutive

En 1988, lors de la privatisation d’Air Canada, l’objectif consistait à aller chercher du capital privé afin que notre transporteur national puisse se développer. Les parlementaires de l’époque ont donné cette possibilité à Air Canada, mais ils ont aussi obligé Air Canada à garder son siège social au pays, que les services soient obligatoirement offerts dans les deux langues et que les emplois au pays soient conservés et non sous-traités à l’extérieur du pays. D’où le maintien des centres de révision.

« En 2003, Air Canada s’est placé sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers. Par la suite, la compagnie ACE Aviation est devenue la société mère de l’entreprise Air Canada. Cette restructuration a créé différentes unités, soit Aéroplan, Jazz, la compagnie aérienne Air Canada et les Services techniques Air Canada. Puis, Ace Aviation s’est mis à vendre ces divisions. Jazz est vendu pour un milliard de dollars. Aéroplan est liquidé pour environ le même montant. Finalement, ils ont vendu Services techniques Air Canada pour 850 millions de dollars. Aveos, qui est un consortium, avait acheté cette division d’entretien des avions d’Air Canada », d’expliquer Jean Poirier.

« Les employés d’entretien sont tout de même restés des employés d’Air Canada jusqu’en 2011. En juillet 2011, c’est le début des transferts d’employés vers la nouvelle entité, qu’est Aveos. Les dirigeants d’Aveos étaient spécialisés en fermeture d’entreprise. Huit mois plus tard, la clé était dans la porte. Il y avait une loi qui protégeait ces emplois à Montréal, Winnipeg et Mississauga. Air Canada n’a pas respecté cette loi en ne conservant pas les emplois dans ces trois provinces », d’indiquer M. Poirier.

En 2012, le Syndicat des employés d’Aveos et le gouvernement du Québec déposent une poursuite contre Air Canada. C’est une victoire sur toute la ligne en Cour supérieur. Le jugement déclare que les avions d’Air Canada doivent être entretenus au Canada.

La cause a été portée en appel par la compagnie aérienne. Nouvelle victoire en Cour d’appel. Le jugement ajoute que le nombre d’emplois en 1988 est un niveau plancher. Air Canada va à nouveau en appel, cette fois-ci en Cour suprême.

« Nous étions sur le point d’avoir une nouvelle victoire lorsqu’il y a eu une entente entre Air Canada, le gouvernement du Québec et Bombardier. L’entente porte sur l’achat, par Air Canada, de 45 avions Cseries à Bombardier. Le gouvernement du Québec abandonne les procédures judiciaires en échange de cette entente », d’expliquer M. Poirier.

 

Le gouvernement Trudeau rend légal ce qui est illégal

« Le ministre Marc Garneau félicite la signature de cette entente et annonce qu’il y aura une modification à la loi pour qu’il n’y ait plus de litige dans le futur à ce propos. En juin 2016, le gouvernement Trudeau a fait adopter la Loi C-10, qui retire l’obligation à Air Canada de faire le travail d’entretien de ses appareils au Canada », de préciser Jean Poirier.

Toute cette saga a laissé un arrière-goût aux ex-employés d’Aveos. D’ailleurs, ils ont déposé un recours collectif contre Air Canada et les gouvernements du Canada et du Québec. Ils soutiennent que le transporteur a violé impunément sa loi constitutive en fermant ses centres d’entretien, et que Québec et Ottawa ont cautionné et toléré cette décision qui a eu des conséquences dramatiques pour les 2600 ex-employés concernés au pays.

Parmi les malheurs qu’ont subi les ex-travailleurs d’Aveos, il y a la demande de remboursement de l’assurance-emploi. « Après avoir perdu leurs emplois, les ex-travailleurs d’Aveos ont reçu des chèques d’assurance-emploi. Un an plus tard, Air Canada, qui n’était plus l’employeur, a donné 2 semaines par année de service aux ex-employés. Alors le gouvernement fédéral exige le remboursement d’un trop payé », de conclure Jean Poirier.