Aide sociale : réplique à Alain Dubuc

2017/09/27 | Par Tristan Ouimet-Savard

L’auteur est coordonnateur des dossiers politiques, Regroupement des Auberges du cœur du Québec

Dans la foulée des débats entourant l’instauration de mesures punitives aux premiers demandeurs d’aide sociale, M. Alain Dubuc signait jeudi dernier une chronique dans La Presse comportant plusieurs assertions qui traduisent une profonde méconnaissance de la réalité sur le terrain.

D’emblée, adopter une vision binaire des prestataires d’aide sociale opposant ceux qui accepteraient de se conformer au programme Objectif Emploi à ceux qui refuseraient, élude complètement la question de la capacité à y participer. Sortir de la pauvreté et de l’aide sociale n’est pas qu’une question de volonté, surtout lorsqu’une personne vit des difficultés qui ne sont pas reconnues par le Ministère comme des obstacles légitimes à l’emploi ou au retour aux études (toxicomanie, analphabétisme, itinérance, violence, etc.). Plusieurs personnes vivent des situations qui, au-delà de leur volonté, vont compromettre leur capacité à satisfaire les exigences du Ministère dans le cadre du programme. Cette nuance est d’une importance capitale et absente de la réforme en cours.

Dans le programme Objectif Emploi, autant les volets scolarité, emploi ou acquisition d’habilités sont soumis au principe de sanction : selon le projet de règlement, lorsqu’une personne ne respecte pas (ou n’est pas en mesure de respecter) les exigences de son plan d’intégration en emploi, elle se fait coller un manquement. Résultat : le bonus de participation (240$ ou 120$ par mois) est suspendu automatiquement et une coupure s’effectue directement sur le montant de base de 628$ par mois. À titre d'exemple, comme les pénalités sont cumulatives, une personne seule et sans enfant dans le volet formation qui en serait à un 3e manquement pourrait voir ses revenus passer de 868 $ à 404 $ en l’espace d’un mois.

Est-ce qu’une étude scientifique est vraiment nécessaire pour affirmer que cette réalité purement mathématique risque de provoquer l’insécurité alimentaire, l’endettement pour des services essentiels, la perte de logement et même l’itinérance ?

Maintes fois déconstruite au cours des débats qui font rage depuis plus d’un an, la posture de M. Dubuc quant au risque de « dépendance […] pour des jeunes tentés par l’aide sociale » est empreinte de préjugés qui, au-delà de l’anecdote, ne passent pas le test de la réalité, ni n’est appuyée par les recherches scientifiques s’étant penchée sur les facteurs d’entrée et de sortie à l’aide sociale.

M. Dubuc connait-il ces jeunes ? Les a-t-il rencontrés ? 

Depuis plus de trente ans, les Auberges du cœur ont hébergé et soutenu plus de 70 000 jeunes à risque ou en situation d’itinérance, dont 75 % de jeunes adultes qui sont sans revenu ou reçoivent de l’aide de dernier recours. En processus de désaffiliation, leurs trajectoires de vie sont marquées par un cumul de décrochages qui témoignent d’une rupture des liens sociaux. Ils et elles ont été « décrochés » de la famille, d’un logis stable, de l’école, du marché du travail, de l’espace social et politique.

À bout de souffle, ayant épuisé leurs maigres ressources matérielles et leur réseau de soutien, ils et elles se tournent vers l’État pour obtenir une aide de dernier recours. C’est d’ailleurs souvent la seule porte d’entrée qui s’offre à eux pour ne pas tomber dans l’indigence la plus complète et avoir accès aux programmes de formation ou d’employabilité qui y sont associés.

Mais ils et elles ne sont pas au bout de leurs peines tellement les ressources offertes, que ce soit en termes d’accompagnement, de diversité de programmes et de sécurité financière eu égard à leurs besoins (même avec un bonus de participation), ne sont pas au rendez-vous.

Ils sont là les véritables problèmes auxquels le programme Objectif Emploi ne répond pas.