Marijuana : aux gouvernements provinciaux le fardeau

2017/10/03 | Par Malcolm G. Bird

Le gouvernement Trudeau vise la légalisation de la marijuana dès l’été prochain. Et pendant que les libéraux tirent un avantage politique de l’image progressiste qu’ils donnent sur cette question, tous les problèmes associés à la légalisation du cannabis et à la logistique incombent aux gouvernements provinciaux.

Il existe de fortes corrélations entre la façon dont une substance toxique ou une permission particulière, comme le jeu, est mise à la disposition du public et la propension des personnes à la consommer, les résultats négatifs pour la santé et les problèmes sociaux associés à son utilisation.

En d’autres termes, il est important de prévoir la manière de légaliser la marijuana, pas seulement de la légaliser.

Les gouvernements provinciaux canadiens pourraient vouloir tirer des leçons de la dernière légalisation d’une substance toxique prohibée à la fin des années 1920, soit l’alcool, et s’inspirer des efforts actuels de la santé publique pour éliminer l’usage du tabac.

En premier lieu, il pourrait être logique de rendre l’achat de la marijuana récréative raisonnablement coûteux et passablement difficile.

Tous les gouvernements provinciaux (à l’exception de l’Alberta qui a éliminé la régie des alcools) devraient envisager de vendre de la marijuana récréative uniquement dans les magasins d’alcools provinciaux, car ils disposent d’une infrastructure sécurisée pour traiter une substance ayant des propriétés narcotiques. Ils ont également un personnel bien formé et professionnel et des installations logistiques sécurisées pour assurer une distribution socialement responsable. Cela éliminerait un énorme problème politique potentiel lié à l’octroi de licences et au choix de dispensaires autorisés et du moment. Cela éliminerait également la possibilité que des éléments criminels organisés établissent et utilisent des dispensaires.

Plus important encore, le gouvernement devrait non seulement contrôler la vente au détail de la marijuana, mais également la vente en gros. La marijuana récréative devrait être vendue sous une « marque maison », dans un emballage simple, et seulement quelques sortes devraient être offertes. Les fabricants n’auraient pas la possibilité de concevoir et de promouvoir des marques de cannabis particulières par le biais de campagnes publicitaires.

Aussi, les « marques maison » sont plus rentables pour les détaillants, principalement parce qu’il y a davantage de contrôle sur la fabrication et les fournisseurs intermédiaires sont éliminés. Comme unique grossiste dans une province, la société des alcools pourrait mener de bonnes affaires avec les fabricants.

On doit également prévoir l’imposition d’importantes taxes sur la marijuana, et même à cela, elles ne généreront pas de revenus importants, car les gouvernements devront couvrir les coûts associés à sa consommation.

Les recettes publiques provenant de la vente de cannabis seront aussi limitées par la baisse des prix des 25 dernières années : un gramme de cannabis dans les années 1990 coûtait 15 $ alors qu’il en coûte aujourd’hui moins de 10 $ sur le marché illégal.

Contrairement à la croyance populaire, la légalisation de la marijuana nécessitera une augmentation des forces policières et des efforts des tribunaux pour éradiquer le marché noir. Lorsque les sociétés gouvernementales des alcools ont pris en charge la distribution d’alcool, les contrebandiers ont dû être éliminés pour les empêcher de contrecarrer le monopole de l’État en réduisant les prix et de miner sa capacité à contrôler la façon dont elle était vendue et consommée.

Il faudra aussi élaborer des politiques pour permettre à la police de déterminer si le cannabis a été légalement acquis ou non. Et parce que la législation fédérale permettra aux Canadiens de cultiver leurs propres plants à la maison, la vérification de l’achat légal sera fort laborieuse.

Les provinces devraient également être prudentes à l’égard de la vente de cannabis comestible. L’ingestion de marijuana augmente considérablement sa puissance et elle est souvent vendue sous forme de produits attrayants pour les enfants tels que carrés au chocolat, ours en gélatine et autres, ce qui augmente considérablement le potentiel de consommation accidentelle. Si les provinces décident de la vendre sous forme d’aliments comestibles, elles devraient s’assurer que les doses par produit sont cohérentes entre les différents produits et présentées d’une manière facile à comprendre par les consommateurs.

Les autorités provinciales devront créer un système de permis et de suivi des achats. Une telle pratique permettra de déterminer les acheteurs de marijuana, et un suivi de la vente de produits depuis leur achat initial aiderait à prévenir que la marijuana se retrouve entre les mains de mineurs. Les contrevenants récidivistes qui revendent la marijuana à des mineurs, par exemple, pourraient voir leur permis révoqué.

Les gouvernements devraient aussi restreindre l’âge de l’achat à 21 ans, comme le recommandent de nombreux médecins, et pour limiter la consommation et normaliser son utilisation, il ne devrait y avoir aucune publicité ni promotion.

J’émets ces suggestions pour que les gouvernements provinciaux puissent tirer le meilleur parti d’une situation pour le moins préoccupante. La consommation de marijuana augmentera vraisemblablement au pays, de même que les coûts pour traiter ses effets sur les personnes. À l’instar de nombreux problèmes du fédéralisme canadien, il est fréquent de voir à quel point le gouvernement fédéral est détaché de la réalité quant à la mise en application de la politique et aux coûts réels associés.

 

Malcolm G. Bird enseigne la science politique à l’Université de Winnipeg et est conseiller expert auprès d’EvidenceNetwork.ca.