Bombardier et la bombe atomique des 220%

2017/10/06 | Par Gabriel Ste-Marie

Dans le cadre des renégociations de l’ALÉNA, les États-Unis ont choisi d’avoir recours à la bombe atomique contre notre économie. À la fin du mois de septembre, le département du Commerce annonçait des droits compensatoires de 220  % sur les avions de la Série C de Bombardier.

À titre d’exemple, avec ce tarif prohibitif, un avion CS-100 vendu 20 millions $ à la compagnie Delta coûtera 64 millions $ !!! Le message est clair : l’administration Trump s’est braquée contre le commerce Nord-Sud. À ces droits compensatoires s’ajoute un autre tarif, soit des droits antidumping, qui représentent environ un autre 100 % de plus (l’article a été rédigé avant l’annonce du 5 octobre).

Évidemment, aucune entreprise américaine ne paiera un avion trois ou quatre fois sa valeur. Heureusement, les droits annoncés ont peu de chance d’entrer en vigueur. Une autre évaluation états-unienne, de la part de l’International Trade Commission, établira le tarif définitif. L’analyse sera effectuée plus sérieusement et la décision sera rendue au mois de février. Elle tiendra compte des dommages réels subits par l’avionneur Boeing. Comme il n’en subit pas, n’ayant aucun appareil dans la catégorie occupée par le CS-100, un tarif assez faible est prévisible.

Malheureusement, l’objectif de la manœuvre est de toute autre nature. Avec l’annonce de tarifs démesurés, le département du Commerce vise à ébranler la confiance des compagnies aériennes états-uniennes dans la Série C. Avant de passer une commande, qui risque de leur coûter trois ou quatre fois plus cher, elles vont y penser deux fois plutôt qu’une. Le dommage est fait. En attendant, Bombardier peut vendre ses appareils dans les autres pays.

D’ici la décision finale sur le tarif, Bombardier, Ottawa et Québec doivent faire leur job pour démontrer qu’il s’agit d’une mesure protectionniste injustifiée. Jusqu’à maintenant, le gouvernement Trudeau défend correctement l’entreprise québécoise en retardant, par exemple, l’achat prévu des Super Hornets, des avions militaires fabriqués par Boeing.

Or, Québec, Bombardier et les syndicats de ses travailleurs doivent demeurer très vigilants, tout comme le Bloc Québécois. Rien ne garantit que le gouvernement Trudeau et sa ministre du Commerce international, Chrystia Freeland, ne braderont pas, dans le cadre des renégociations de l’ALÉNA , un pan important de l’économie québécoise pour sauver le secteur automobile ontarien ou d’autres secteurs stratégiques du Canada anglais.

Depuis que les administrateurs de Bombardier se sont octroyé des primes exorbitantes, le soutien gouvernemental à l’entreprise est sérieusement embarrassant. De toute évidence, Ottawa et Québec auraient dû interdire le versement de telles primes en échange de leur prise de participation dans l’entreprise. Hormis cette aberration, l’aide des deux niveaux de gouvernement, soit les investissements de 1,3 milliard $ de Québec et de 124 millions $ d’Ottawa, devraient être rentables à terme pour l’État. Par le passé, chaque dollar investi dans Bombardier par l’État lui a rapporté 1,60 $. Tout cela sans compter les 220 millions $ sur la masse salariale versés en impôts par l’industrie aéronautique québécoise.  Bombardier Aéronautique est un acteur central dans la grappe aéronautique québécoise, qui compte 60 000 emplois parmi les mieux rémunérés du secteur de la fabrication. C’est ce qu’il nous faut préserver. Le Grand Montréal est dans le « Top trois mondial » de l’aéronautique avec Seattle et Toulouse.

Contrairement à ce qui est parfois véhiculé, ni Québec ni Ottawa ne subventionnent directement l’entreprise. Il s’agit plutôt d’une participation dans l’actionnariat, avec une prise de risque compensée par la perspective d’un rendement lucratif à terme. Toutefois, les rivales américaines et européennes de Bombardier, elles, s’y connaissent en subventions. Dans le cas de Boeing, on parle de dizaines de milliards $ en subventions.

Avec le développement de sa Série C, Bombardier a choisi d’entrer dans la cour des grands. Bombardier a joué très gros. Le développement d’un nouveau modèle d’avion coûte une fortune et ne se rentabilise qu’après une décennie de ventes. L’entreprise s’est trouvée à court de liquidités et a sérieusement risqué la faillite. L’administration Trump est consciente de cette fragilité et sa décision extrême vise ni plus ni moins qu’à mener à la faillite l’avionneur québécois.

Québec est venu à la rescousse en accordant à Bombardier une partie des liquidités dont l’entreprise avait besoin. L’aide d’Ottawa est dix fois moindre que prévue. Pour tenir bon, l’entreprise a dû effectuer des coupes dans ses autres filiales, à commencer par Bombardier Transport. Le projet de partenariat avec la société d’État chinoise Comac est sans doute aussi une braderie de dernier recours pour éviter la faillite. Prise de court, avec un investissement fédéral dix fois moins important que prévu, l’entreprise doit sacrifier des actifs pour survivre. Si un partenariat avec une firme chinoise ouvre le marché de ce pays, il s’accompagne en contrepartie de transferts technologiques bien coûteux au partenaire chinois.

Les avions de la Série C ont une génération d’avance sur leurs rivaux. Ils sont moins énergivores et plus silencieux, un élément très prisé dans les aéroports urbains. Ces avantages sont reconnus par tous les experts. Pris de cours par cette avancée technologique, le département du Commerce états-unien invente des barrières pour nuire à l’entreprise.

Pour ce qui est de la haute technologie, le Québec est nettement en avance sur le Canada. Son secteur aéronautique y contribue directement. Les ingénieurs de Mirabel ont créé les meilleurs modèles d’avions au monde, ceux de la Série C. Nous avons de quoi être fiers.