Réflexion sur la TPS et la politique culturelle canadienne

2017/10/11 | Par Jean-François Thibaud

La ministre du Patrimoine canadien Mélany Joly, vient d’annoncer une série de mesures dont la plus spectaculaire est sans contredit, le congé fiscal de TPS/TVQ offert à la multinationale Netflix. La question de la spécificité culturelle québécoise, plane à l’arrière-plan de cette indignation générale soulevée au Québec par une évidente iniquité fiscale monstrueuse qui défavorise les acteurs locaux. De le part du parti Libéral héritier de Pierre Trudeau, c’est un scandale  sans nom.

Tout ceci m’amène à une réflexion plus générale sur l’air du temps à partir de ma modeste expérience comme « acteur » culturel.

Je suis chanteur et musicien. Depuis plus de vingt ans, pour gagner mon  pain, entre autres activités, je chante dans les CHSLD. Dans les dernières années, avec l’austérité, on le sait, des transformations profondes affectent le réseau de la santé. Les conditions de plus en plus difficiles dans le réseau public favorisent une explosion de la construction de résidences privées pour les ainés ayant des retraites confortables.

Le plus souvent ce sont des tours  toutes neuves, avec des stationnements sous-terrain remplis d’automobiles récentes. Mon travail se déplace  inexorablement vers ce réseau privé au détriment du public. Il y’a un  parallèle (relatif) à faire avec le système d’éducation public qui subit ce genre de pression. En soi, le pour ou le contre de cette transformation se discute, mais il faut en prendre acte. Sur ce sujet, ma grande interrogation personnelle est la suivante. Qu’arrivera-t-il à toutes ces grandes bâtisses luxueuses lorsque la cohorte qui les habite quittera la scène ? Mon intuition est que les générations suivantes n’auront pas les moyens de les habiter.

À travers les années, j’ai développé, un  rapport personnalisé avec les récréologues qui m’engageaient. À mes débuts, souvent, c’étaient des Baby-boomers, avec souvent peu de formation, des protections salariales qui leur assuraient une longévité de carrière certaine et une grande autonomie dans leur département. Il m’a toujours semblé que c’était très bien ainsi puisque généralement, les gens qui faisaient ce travail semblaient presque toujours dévoués, appréciés par les résidents, et heureux dans leur travail.

Graduellement, les postes permanents ont été abolis. Les jeunes, mieux formés, plein de bonne volonté, peinent à se trouver un travail à temps plein. Le roulement de personnel est rapide. La relation personnalisée que j’ai avec ces jeunes récréologues, s’établit plus difficilement, mais je finis par les suivre dans leur déplacement inter-institutions. 

Autre contrainte : le vieillissement de la population, combiné au transfert des clientèles vers le privé, amène plus de cas « lourds » dans les CHSLD. Les compressions incessantes démobilisent les infirmières et les préposés aux bénéficiaires qui n’ont pas le temps ou encore refusent de fournir un effort additionnel pour préparer les résidents à l’activité musicale.

Dans ce contexte, l’apport des bénévoles devient de plus en plus critique. Mais, bien que la cohorte des baby-boomers avec de bonne retraites soit la plus impliquée dans le bénévolat, on voit déjà que les signes du vieillissement de cette cohorte ont de grandes conséquences : les générations suivantes n’auront ni les moyens, ni le temps de s’impliquer.

Autre difficulté : le stationnement. Souvent, un musicien doit trainer avec lui, un équipement sonore adéquat, ce qui veut dire qu’il doit se déplacer en automobile et se stationner. Les administrations, surtout en milieu urbain, pour des raisons de contraintes budgétaires, et sous le prétexte d’une pression populaire favorable au transport collectif, exigent le paiement du stationnement par leurs employés et les familles visiteures.

Il faut même parfois faire payer les bénévoles. Pour le musicien, dans ce contexte, faire valoir qu’il est un fournisseur, au même titre que le boulanger ou le plombier est peine perdue. Un récréologue, en fin de carrière, peut parfois peser de tout son poids pour obtenir un stationnement gratuit, ou même tricher en allouant un permis de bénévole, mais pour un jeune sans aucune protection, il n’en est souvent pas même question. Ça ne représente que 2 $ à 10$, mais pour  moi, dans ce réseau où les payes sont modestes, ça représente une baisse de salaire nette pas uniquement symbolique.

Autre difficulté. La prise de décision de fermer ou non, une unité de soin pour des raisons d’éclosion de grippe. Cette tendance est allée en augmentant suite à la  pression exercée par certains médias. Cette pression est parfois justifiée et parfois montée en épingle, mais on a vécu un paroxysme dans l’hystérie collective lors de l’épisode du vaccin douteux contre le H1N 1. Il faut comprendre qu’un musicien qui bloque une date pour un dîner de Noël, généralement, n’obtient aucune compensation financière pour la perte de revenu de 100% qu’il subit lors d’un tel événement.

De plus, une question morale se pose pour les résidents en fin de vie qui se voient empêcher un événement important dans leurs derniers jours. Les décisions, semblent motivées entièrement par l’objectivité médicale : tant de grippe sur tel étage entraine la fermeture dudit étage. Mais, en ces matières, les décisions ultimes prennent autant en compte le facteur humain que purement médical. Peut-on quantifier médicalement le bienfait d’une prestation d’un musicien au dîner de Noël ? Pour le moment, on a certainement pas des « outils intégrés de gestion » pour le mesurer  et j’espère bien ne jamais les voir apparaître. Bien que les acteurs du réseau ont généralement à cœur le bien commun et que tout ceci demeure relativement marginal pour le moment, une inquiétude me tenaille dans ce dossier.

Sous le nouveau régime libéral, la réforme Barrette a force de loi. Mon métier est directement affecté par une très grande centralisation des services. Le SIUS  regroupe les CHSLD et des directives sont émises venant du plus haut échelon pour plafonner les salaires. Dans mon cas, ce plafonnement représente le minimum que j’acceptais il y’a vingt ans quand j’ai commencé. Et dans les faits, avec ces seuls salaires comme revenus, cela représenterait l’indigence la plus complète. Pour le moment, la réalité sur le terrain contourne ces contraintes, car la complexité de mon métier est telle que, souvent, l’amateurisme du bénévolat est un tel gage de désastre, que tout un chacun se refuse à le subir dans les événements importants.

Pour ce qui est de la centralisation à outrance, et bien avant la réforme Barrette, j’ai déjà constaté une situation ridicule en Montérégie. Des CHSLD avaient l’habitude de faire des levées de fonds modestes dans leur milieu pour financer des activités de loisirs. Des directives venues d’en haut ont imposés le transfert de tous ces maigres profits vers la structure administrative centrale. À partir de ce moment, bien entendu, je ne suis jamais retourné dans ces CHSLD.

Un mouvement de centralisation des ressources s’est amorcé pour fermer les petits CHSLD désuets au profit de mégas-complexes hospitalier. Je ne puis pas juger, avec ma seule expérience sur le terrain, de la pertinence de ce genre de décisions. Je suppose qu’au cas par cas, certaines sont justifiées, certaines le sont beaucoup moins. Dans la balance : la qualité de vie des résidents et la « capacité de payer » de l’État, la vétusté de certaines infrastructures, l’efficience du regroupement des ressources comparée au maintien des personnes âgées le plus près possible de leur communauté. Une chose est sûre, en région, plus un centre est gros, plus c’est loin pour les familles, plus le sentiment d’appartenance à un tissu social se défait, et moins il y’a de bénévoles.

En fait de centralisation, le cas de l’hôpital St Anne, l’hôpital des anciens combattants, est un cas particulièrement intéressant. Le gouvernement fédéral a graduellement abandonné, à toutes fins pratiques, l’idée de regrouper les ancien combattants dans des centres comme dans les années cinquante après la guerre de Corée. Maintenant, les services offerts aux ex-combattants canadiens revenus d’Afghanistan, pour le peu que j’en sais, concernent des visites de courtes durées lors d’épisodes de détresse psychologique. Le fédéral s’est donc départi de la propriété de ce mastodonte ultra-moderne qui surplombe l’Ouest de l’ile de Montréal. Le gouvernement du Québec vient de transférer sur différents étages les résidents de différents CHSLD vétustes situés soit à Lachine, soit dans l’est de Montréal, entre autres. Pour certaines familles, le choc provoqué par ce déplacement est difficile. Pour les employés de cet hôpital, le choc est majeur. Une perte de salaire pouvant tourner autour de 30%. Pour moi, après avoir joué régulièrement pendant quinze ans pour les anciens combattants, avec la politique SIRRUS, c’est aussi très radical. Je n’ai même plus de retour d’appel malgré que je connaisse les récréologues qui ont migré. Peu importe, ma petite histoire n’est pas grand-chose en regard des transformations profondes qu’on peut observer.

La cerise sur le gâteau pour moi par contre, fut de constater ceci. Depuis 2016, mes revenus ayant augmentés au-delà du seuil critique de 30 000 $ par année, je me dois de percevoir la TPS/TVQ pour offrir mes services. Bien que le coût de la vie a augmenté considérablement depuis l’entrée en vigueur de cette taxe en 1990, le seuil d’entrée, lui, n’a pas bougé. Comme les salaires baissent, et que les frais augmentent (transport, stationnement, équipement) la seule solution est de travailler plus et donc de faire plus de revenus. Voilà que lorsque j’arrive avec ma facture, la plupart du temps, les CHSLD refusent de payer cette TPS/TVQ. Autrement dit, je dois absorber un autre 15% de perte sèche sur mon revenu.

Heureusement que dans les autres sphères de mes activités, en général, je ne rencontre pas ce genre d’incongruité.

Cette année, le montant que je verserai au gouvernement pour avoir collecté pour lui la TPS représente donc 15% de mes revenus, dont une partie que j’ai absorbée moi-même. Si je suis la logique de Mélanie Joly avec Netflix, je voudrais bien faire la revendication suivante : je refuse de payer la TPS et j’investis vingt-cinq mille dollars sur cinq ans dans mon entreprise. Je me pars un band, j’engage des musiciens et j’investirai dans l’économie culturelle du Canada et du Québec. Et ensuite, je ne vous garantis pas quel type de répertoire je vais développer. Sera-ce du top 40 américain, du folklore québécois ou encore de la création originale en français ?