Qui veut tuer l’émergence des véhicules électriques au Québec ?

2017/10/18 | Par IREC

Dans cette note d’intervention, nous allons tenter de cerner ce déni actif de l’industrie pétrolière en prenant l’exemple de la campagne contre l’électrification des transports. Un peu plus d’une décennie après l’excellent documentaire de Chris Paine, Who Killed the Electric Car?, il y a quelque chose de surréaliste à voir encore aujourd’hui de nouvelles tentatives pour revenir en arrière en prônant l’abolition des mesures de soutien financier aux véhicules électriques (VE), malgré la documentation pertinente en leur faveur. Mais les grands lobbys ont justement cette capacité, que ne possèdent pas les autres parties prenantes, de dépenser sans aucune retenue pour influencer de toutes sortes de manières des politiciens, des leaders médiatiques, voire des scientifiques, et ainsi promouvoir leurs intérêts au mépris des faits.

 

Le contexte : l’offensive des lobbys pétroliers aux États-Unis

Comme l’ont fait pendant longtemps les entreprises du tabac à propos des méfaits de cette substance sur la santé, les pétrolières persistent aujourd’hui à nier ou à minimiser l’impact des énergies fossiles sur le climat, malgré qu’elles aient en main des preuves scientifiques de ces impacts[1]. Par exemple, l’American Petrolium Institute a joué un rôle clé pour promouvoir les positions climatosceptiques en finançant des organisations et des chercheurs qui soutiennent leurs thèses dans le débat public[2].

À un autre niveau d’intervention, les moyens financiers colossaux des grands producteurs d’énergies fossiles leur donnent une capacité de produire des études de référence que peu de groupes ont les moyens de contester ou de réfuter. Par exemple, jusqu’à récemment, l’Organisation des pays exportateurs de pétroles (OPEP) dévoilait de vastes études qui prévoyaient que le marché des véhicules électriques n’aurait qu’un rôle négligeable dans la consommation de pétrole pour les décennies à venir. Or, depuis qu’une institution comme Bloomberg New Energy Finance contribue à mettre à jour les données concernant les énergies propres, l’OPEP a finalement dû réviser ses prévisions en multipliant par cinq les ventes prévues de VE en 2040 (de 46 millions à 266 millions)[3]. Et ce n’est que le début du changement de perspective.

Mais cela resterait dans le périmètre limité des pratiques habituelles des oligopoles s’il n’y avait pas, depuis quelques mois, un nouveau contexte particulièrement inquiétant qui va changer la donne de façon radicale : l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Contre toute attente, malgré une campagne marquée par les insultes et le mépris, c’est l’équipe des milliardaires et des climatosceptiques qui dirigera la plus grande puissance de la planète pendant les quatre années du présent mandat présidentiel. Donald Trump a rapidement utilisé ses pouvoirs pour amorcer la déconstruction systématique des politiques environnementales mises en place au cours des dernières décennies aux États-Unis[4]. Le 28 mars, il a signé le décret sur « l’indépendance énergétique des États-Unis » qui implique le réexamen du Clean Power Plan par l’Agence étasunienne de protection de l’environnement (EPA), maintenant dirigée par Scott Pruitt, l’un des plus farouches détracteurs de cette agence. Une EPA dont il a immédiatement réduit le budget de plus de 30%. Une demi-douzaine de décisions de Barack Obama seront aussi supprimées ou « réexaminées », dont l’interdiction de nouvelles exploitations de charbon sur des terres fédérales, les règles imposant une réduction des émissions de méthane par les producteurs d’hydrocarbures ainsi que les plus récentes normes CAFE (Corporate Average Fuel Economy), qui imposent aux fabricants automobiles des moyennes de consommation par mile parcouru plus faibles.

Il faut dire que le lobby de l’automobile avait rapidement réagi à l’élection de Trump en lui envoyant une lettre qui demandait de suspendre cette plus récente décision de l’EPA, fixant la norme de la moyenne de consommation à 54,5 milles au gallon (4,3 litres/100 km) d’ici 2025, jugeant qu’elle pourrait constituer une menace pour l’emploi et avoir un impact sur le prix des automobiles. Pourtant, les facteurs qui menacent les trois grands de l’auto aux États-Unis ne sont pas les prix (eux qui mettent sur le marché toujours plus d’utilitaires sport dispendieux, avec des marges de profit très généreuses); ce qui plombe leurs ventes serait plutôt leurs sous-investissements dans les véhicules électriques[5]. Or, au lieu de s’engager fermement dans la transition vers un transport plus durable, les lobbys pétroliers et automobiles appuient sans retenue une campagne visant à abolir les subventions aux VE[6]. En une seule année, le nombre d’États (aux États-Unis) qui offraient de tels incitatifs est tombé de 25 à 16 dans la foulée de cette campagne.

 

La remise en cause des subventions au Québec

C’est dans ce contexte particulier que nous devons appréhender les propositions récentes qui sont faites, à droite et à gauche, contre les politiques d’aide à l’électrification des transports au Canada, et en particulier celle du Québec. Commençons par l’Institut économique de Montréal (IEDM) qui a récemment produit une courte étude, prétendant faire une analyse sérieuse de l’efficience des politiques québécoise et ontarienne de soutien aux acheteurs de VE[7]. Sans tenir compte du fait qu’il s’agit de mesures temporaires, les auteurs (Germain Belzile et Mark Milke) ont étiré les calculs pour établir que les dépenses en subventions pourraient atteindre plus de 8 milliards $ d’ici 2030 pour le Québec et plus de 9 milliards $ pour l’Ontario, en présumant que le soutien serait le même pour toute la période. Ce résultat bancal a ainsi pris les allures d’une fausse nouvelle : l’article de la Presse canadienne ayant pour sous-titre « Une étude de l’Institut économique de Montréal (IEDM) conclut que les subventions aux achats de véhicules électriques offertes par les gouvernements du Québec et de l’Ontario leur auront coûté 17 milliards jusqu’en 2030 et n’auront fait réduire les émissions annuelles de gaz à effets de serre (GES) que de près de 4 % »[8] a été affiché pendant des semaines sur la page d’accueil du site Internet de La Presse.

Parmi les autres études produites par un chercheur associé à l’IEDM, l’analyse réalisée par Ian Irvine[9], professeur à l’Université Concordia, cherche quant à elle à montrer que subventionner l’achat de VE dans le contexte nord-américain de la réglementation CAFE n’aurait pas pour effet de faire baisser les émissions de GES, mais que cela pourrait au contraire les faire augmenter, aux frais des contribuables évidemment. Or, il a été montré ailleurs — et de façon beaucoup plus rigoureuse — que les objectifs de réduction de 5% par année des émissions des voitures par la réglementation CAFE ne pouvaient tout simplement pas être atteints sans une contribution significative de la vente de VE par les manufacturiers participants[10]. Malgré cela et devant le succès de plus en plus prévisible des ventes de VE dans la foulée du lancement de la Bold de GM et du modèle 3 de Tesla, il faudra probablement bonifier la législation sur les véhicules zéro émission pour suivre le marché, ce qui permettra d’accélérer la réduction des émissions globales à coût nul pour l’État, et par le fait même pour les contribuables[11].

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Disponible en ligne : http://www.irec.net/upload/File/note_intervention_60_octobre_2017_vf.pdf

 

[1]. Des procureurs de la Californie (représentant deux comtés et la ville de San-Francisco) ont lancé une poursuite contre les pétrolières pour ne pas avoir pris de mesures pour contrer les impacts de leurs produits alors qu’elles savaient depuis les années 1970 que ceux-ci avaient un impact sur le climat et le niveau des océans, menaçant ainsi leurs communautés. Selon les spécialistes, ces premières poursuites sur les enjeux climatiques sont beaucoup plus avancées à ce stade du litige que pouvaient l’être celles contre les méfaits du tabac dans les années 1990.

Voir [https://insideclimatenews.org/news/18072017/oil-gas-coal-companies-exxon....

[3]. Big Oil just woke up to threat of rising electric car demand, [http://reneweconomy.com.au/big-oil-just-woke-threat-rising-electric-car-....

[4]. Voir Décret anti-environnement de Trump : la résistance s’organise, [http://www.novethic.fr/lapres-petrole/energies-fossiles/isr-rse/decret-a....

 

[6]. Behind the Quiet State-by-State Fight Over Electric Vehicles, [https://www.nytimes.com/2017/03/11/business/energy-environment/electric-....

[7]. Germain Belzile, Mark Milke, Les subventions aux voitures électriques sont-elles efficientes?, IEDM, juin 2017.

[9]. Ian Irvine, Electric Vehicle Subsidies in the Era of Attribute-Based Regulations, CPP.

[10]. “We think they can and should meet these standards that will clean up the air, reduce climate change pollutants and dependence on foreign oil. These standards also created a market for electric and fuel cell cars and other cleaner alternative vehicles.” Propos de la sénatrice californienne Fran Pavley, co-auteure de la loi AB32 et auteure de la loi SB32 qui imposent une consommation moyenne d’essence de 54.5 mpg en 2025. Voir [https://www.drivingthenation.com/donald-trump-cafe-epa-waivers-sb32/]. Mark Nantais, président de l’Association canadienne des constructeurs de véhicules (ACCV), disait essentiellement la même chose récemment : « La seule manière d’en venir au respect des normes (CAFE) passe par une plus grande électrification », [http://auto.lapresse.ca/auto-ecolo/201707/27/01-5119930-le-canada-pourra....

[11]. Natural Resources Defense Council, Manufacturer Sales Under the Zero Emission Vehicle Regulation, 2012 Expectations and Governors’ Commitments, July 2016. À ce propos, voir aussi le billet suivant sur le blogue de l’Union of Concerned Scientists, [http://blog.ucsusa.org/dave-reichmuth/electric-cars-are-critical-to-a-cl....