Bill Morneau doit dévoiler l’ensemble de ses avoirs

2017/11/03 | Par Gabriel Ste-Marie

Le gouvernement de Justin Trudeau entretient des liens incestueux avec le milieu d’affaires torontois. Pensons à la création de la Banque de privatisation des infrastructures, à sa complaisance face aux paradis fiscaux ou encore à sa tentative de soustraire le secteur bancaire à la loi québécoise de la protection du consommateur. Les récentes révélations concernant les avoirs du ministre des Finances Bill Morneau illustrent à la perfection cette communauté d’intérêts avec les financiers de Bay Street.

Jusqu’à son élection, William Francis Morneau était le PDG de l’entreprise Morneau Shepell, la plus grande entreprise de ressources humaines au Canada, aussi spécialisée dans la gestion de fonds de retraite. L’entreprise, fondée par son père en 1966, a pignon sur Bay Street et emploie 4 000 personnes.  Jusqu’à tout récemment, la valeur des actions de Bill Morneau dans cette entreprise familiale dépassait les 40 millions $. Il touchait plus de 165 000 $ en dividendes par mois. Lors de son élection, la valeur des actions a bondi de 34 % !

Active dans plusieurs champs d’activité, Morneau Shepell obtient d’importants contrats du gouvernement, de même que des entreprises aidées par Ottawa ou qui bénéficient de lois adoptées par le Parlement fédéral. Donc, les décisions prises  par le ministre des Finances et les législations qui en découlent donnent l’apparence de favoriser les intérêts, non seulement de ses amis de Bay Street, mais aussi ses propres entreprises. Prenons un exemple. Le gouvernement fédéral a déposé un projet de loi sur les régimes de retraite, la loi C-27, qui correspondait aux intérêts de l’entreprise du ministre des Finances.  La présentation de ce projet de loi a coïncidé avec une augmentation de la valeur des actions de Morneau Shepell de 5 %, rapportant plus de deux millions $ au ministre.

Morneau Shepell se spécialise aussi dans l’évitement fiscal. En 2016, l’entreprise a déménagé sa filiale des Bahamas vers la Barbade. Elle se targue de conseiller les gouvernements de la Barbade, des Bermudes et des Îles Caïmans pour qu’ils favorisent l’accès de ses entreprises-clientes à ces paradis fiscaux et y accueillent des fonds de retraite canadiens. Morneau Shepell conseille également les Bahamas pour y attirer davantage de compagnies d’assurances canadiennes.

Pas étonnant que le gouvernement fédéral ait rejeté ma motion visant à mettre fin à l’évitement fiscal dans les paradis fiscaux et se refuse à toute action en ce sens, l’entreprise du ministre des Finances a fait de l’évitement fiscal une de ses spécialités ! Fait cocasse, c’est Bill Morneau, en tant que ministre des Finances du Canada, qui parle au nom de la plupart des paradis fiscaux au FMI. On a l’impression de nager en plein conflit éthique. Le ministre des Finances fait adopter des lois qui ont l’apparence d’avantager son entreprise.

Au lendemain de son élection, le ministre n’a pas jugé bon  de vendre ses actions ou encore de placer ses actifs dans une fiducie sans droit de regard, ce qui aurait été dans l’ordre des choses. Il aura fallu attendre deux ans, et un tir nourri de l’opposition, pour que Bill Morneau annonce finalement sa décision de se départir de ses actions dans Morneau Shepell. Ses autres actifs devraient finalement être placés dans une fiducie sans droit de regard.

Même si les règles de la Commissaire à l’éthique à Ottawa sont assez molles, il est impératif que le ministre dévoile l’ensemble de ses avoirs. Par exemple, avec sa conjointe Nancy McCain, de la famille milliardaire néobrunswickoise, il détient dans de nombreux pays plusieurs compagnies à numéro, dont on ignore toujours les activités et les intérêts. Ainsi, il a omis de déclarer sa villa en Provence, détenue par une de ses compagnies, une incorporation qui viserait, notamment, à payer moins d’impôt.

Il est difficile de trouver un exemple plus frappant d’apparence de connivence entre le gouvernement fédéral et les milieux financiers que le cas de Bill Morneau. Justin Trudeau, avec l’aide de ses experts en communication, se donne une image cool. Mais c’est toujours le même vieux Parti libéral, au service des milieux financiers, qui gouverne à Ottawa.

Au moment de rédiger ce texte, les médias révèlent qu’en plus du ministre des Finances, au moins trois autres ministres n’auraient pas déclaré tous leurs intérêts financiers à la Commissaire à l’éthique, ce qui soulève une possibilité d’apparence de conflits d’intérêts. Il s’agit de Dominic LeBlanc, aux Pêcheries; Jody Wilson-Raybould, à la Justice; et Amarjeet Sohi, aux Infrastructures.

Le gouvernement de Justin Trudeau a beau répéter l’expression « classe moyenne » sans arrêt, ça reste au niveau des paroles. Par exemple, dans son mini-budget d’octobre, l’expression « classe moyenne » revient pas moins de 61 fois, même si on n’y trouve à peu près rien pour la classe moyenne.

Tout cela rappelle le cas de Paul Martin, qui avait enregistré son entreprise, Canada Steamship Lines, à la Barbade. Il venait tout juste, en tant que ministre des Finances, de faire adopter en cachette un règlement permettant l’évitement fiscal dans cette île des Caraïbes.

Lorsqu’ils sont au pouvoir, les Conservateurs s’adonnent aussi à ce genre de manœuvres. Stephen Harper a légalisé l’évitement fiscal dans dix-neuf paradis fiscaux, encore une fois par le biais d’un obscur règlement, jamais présenté en Chambre. Au printemps dernier, Bill Morneau a ajouté un paradis fiscal supplémentaire, les Îles Cook.

Les liens incestueux entre Ottawa et les milieux financiers torontois constituent un pilier de la politique canadienne, peu importent les visages ou le parti au pouvoir. Plus que jamais, le gouvernement Trudeau fait adopter des lois avantageuses pour sa communauté d’intérêts, une communauté qui nous est étrangère. Ces liens entre le fédéral et la haute finance anglo-saxonne sont omniprésents dans toute l’histoire de la Confédération. Et nous subissons ces lois sans qu’elles servent nos intérêts.