Manif réussie contre la haine et le racisme

2017/11/17 | Par Pierre Jasmin

On reconnaît l’auteur de l’article au centre droit, tenant la bannière du 12 novembre

 

L’auteur est co-président d’honneur du Mouvement Québécois pour la Paix, Artiste pour la Paix

Une manif réussie​

Les actions de paix semblent toujours infiniment plus compliquées à organiser que les actions de guerre, ce qui explique pourquoi une grande manif, dont ont rendu compte avec sympathie la majorité des médias, n’a pas été annoncée par l’aut’journal inquiet de la présence d’éléments extrémistes dans l’organisation anti-fasciste. Évoquée par l’article du socio-anthropologue Yves Claudé[1], elle s’est avérée infondée le 12 novembre, grâce à un service d’ordre qui a solidement écarté les éléments cagoulés et violents du Black Bloc. Trois mille Québécois (selon The Gazette et le Devoir, tous deux en page A4) ont donc pu se rassembler pacifiquement, convoqués par 170 groupes parmi lesquels Québec Solidaire, Black lives matter, la CSN, Voix Juives Indépendantes, les Artistes pour la Paix, le Mouvement Québécois pour la Paix, Femmes de Diverses Origines, la FFQ et son ex-présidente Alexa Conradi, Projet Montréal et son élue Sue Montgomery, Milton/Co-op avec Dimitri Roussopoulos et Nathan McDonnell, plus des dizaines de groupes étudiants des plus importants Cégeps et universités. Tout ce beau monde a exercé leur réelle solidarité, « remplie de bonté et de chaleur humaine », selon l’expérience relatée[2] par la militante d’origine juive, Nancy Brown.

Un climat toxique ambiant

Si certains ont décrié après coup une manif « uniquement opposée à la Loi 62 » ou ont monté en épingle les actes de vandalisme sur la sculpture de John A. MacDonald aspergée de rouge pendant la nuit et sur le cénotaphe du parc Beaudet à Ville St-Laurent orné de graffiti disant FUCK l’Armée - ce qui est se tromper de cible -, la manif avait pour but principal de dénoncer un climat toxique ambiant, comme elle l’avait annoncé par ce texte :

Depuis plusieurs années, nous assistons à la montée d’un discours raciste et haineux dans l’espace public québécois. Certaines surenchères nationaleuses de membres du Parti Québécois et de la CAQ quant à la « charte des valeurs » (2013), la montée des partis populistes et xénophobes en Europe et surtout l’élection de    Donald Trump aux États-Unis ont galvanisé une extrême-droite bien de chez nous. Celle-ci se dévoile au grand jour et multiplie les coups d’éclats et polémiques   racistes. Loin de la refroidir, l’attentat à la mosquée de Québec semble avoir propulsé son discours haineux, de plus en plus banalisé, dans l’espace public. Les groupuscules xénophobes et racistes ont depuis multiplié les manifestations, organisé une campagne victorieuse contre un cimetière musulman à Saint-Apollinaire, diffusé un discours xénophobe à l’endroit des demandeuses et demandeurs d’asile Haïtien.ne.s, et ont même réussi à normaliser la peur et l’intolérance dans l’espace public et à légitimer leurs organisations pourtant fondées sur la haine. Les politicien.ne.s et chroniqueurs-poubelles ne sont pas en reste dans le développement de cette ambiance morose. Ils jouent par opportunisme au pyromane en alimentant les flammes de l’intolérance, tout en ignorant la violence grandissante de l’extrême-droite québécoise.

Sans le vouloir, les articles publiés le 10 novembre par l’Aut’Journal - celui mentionné et celui de Nassira Belloula[3] - ont hélas alimenté ce climat toxique. Même avec des constats justes à 90%, suite aux témoignages de femmes blessées par des expériences traumatisantes vécues aux mains d’islamistes en leurs pays natals Égypte et Algérie (pensons aux valeureuses Nadia Alexan et Djemila Benhabib), ces articles arrivent, selon mon interprétation, à des conclusions de droite intolérante. Car tout en se méfiant des symboles vestimentaires imposés, peut-on laisser les musulmanes québécoises trancher elles-mêmes, sans influence des imams, cette question vestimentaire (burka, niqab et voile sont-ils des instruments d’asservissement, le rouge à lèvres, de libération de la femme??)? Libertaire-idéaliste post-1968, je préfère toujours refuser d’interdire, toute loi rigide ayant pour effets contreproductifs de polariser le débat sur des enjeux futiles (dérives de la loi 62?), de marginaliser et de fanatiser les adeptes religieux visés donc vexés[4], de fomenter le rejet de certaines immigrantes par les Québécois et par-dessus le marché d’accorder des munitions aux fédéralistes communautaristes, trop heureux de faire du Québec-bashing.

 

L’amour est plus fort que la haine

La grande manif appelait les personnes s’opposant au racisme et à la haine à descendre dans la rue pour ce qui avait comme avantage de ne pas être une contremanifestation. Car on se souvient des débordements de violence d’un Jaggi Singh s’opposant à l’extrême-droite en août à Québec, jetant un discrédit à sa cause et provoquant l’ire du maire Labeaume[5]. Au contraire, au Centre Pierre-Péladeau, la conférence de presse du 1er novembre annonçant la manif fut animée en français par quatre jeunes fort articulés reprenant sans le dire le slogan du regretté Jack Layton : l’amour est plus fort que la haine!

  1. Jaouad Laaroussa, étudiant et principal organisateur de cette marche, a rappelé que partout en Occident, l’extrême-droite s’attaque aux racisés (immigrants, Noirs et autochtones, au Canada). Il a dénoncé le régime d’austérité du parti Libéral du Québec, qui réagit en outre à sa lourde défaite aux mains de la CAQ dans une élection partielle, en annulant la Commission sur le racisme systémique.
  2. Safa Chebbi, militante anti-coloniale membre de l’exécutif d’Alternatives, a ensuite  identifié les discriminations dont souffrent les femmes autochtones, trois fois plus victimes de violences sexuelles, et les autres personnes racisées dont le salaire plafonne encore à 30% de la moyenne nationale, sans compter les difficultés rencontrées par les Noirs et les femmes voilées à trouver emploi, logement et même parfois soins de santé équitables. Elle a conclu en lançant : « Non au racisme, oui à l’égalité! »
  3. Marlihan Lopez, afro-féministe et co-vice-présidente de la Fédération des Femmes du Québec, a dénoncé les dérives de la loi 62 qui sous un prétexte fallacieux de sécurité (caricature de la mitraillette sous la burka), impose des interdictions vestimentaires aux femmes, uniquement. Elle a aussi dénoncé une certaine dérive de certains mouvements féministes à cet égard.
  4. Anas Bouslikhane, membre de Solidarité sans Frontières et du Collectif de résistance antiraciste de Montréal, a aussi dénoncé le parti Libéral « qui fait pire que le PQ », ainsi que les propos racistes des radios-poubelles. Les médias dépeignent, par exemple, les Haïtiens comme envahissant nos frontières illégalement, alors qu’ils sont pourtant acceptés à 52% dès leur arrivée au Canada et que les autres se soumettent de plein gré à des enquêtes qui concluent le plus souvent à la légitimité de leurs demandes d’immigration.

Le militarisme

Les actions de paix sont toujours plus compliquées à organiser que les actions de guerre, écrivais-je en début d’article, et on le constate avec le tollé que provoque l’annonce confuse par Justin Trudeau de la participation canadienne aux missions de paix de l’ONU. Quel contraste avec le peu de critiques envers ses actions de guerre et son militarisme que j’ai dénoncés lors de la conférence de presse du 1er novembre, parce qu’elles participent au développement du climat toxique haineux et raciste dans le monde, dans notre société et dans les groupes d’extrême-droite[6] :

«  Je voudrais, ai-je dit au micro, rappeler la part de haine raciste militariste dans l’invasion de l’Irak par les Bush et Blair, alors qu’au Québec, les Artistes pour la Paix co-organisaient   des manifestations d’un quart de million de personnes, persuadant ainsi Jean Chrétien de refuser le soutien du Canada à cette attaque vengeresse, alors que l’ONU (Hans Blix) avait disculpé le gouvernement irakien de Saddam Hussein de possession d’armes de destruction massive.

Quelle est la part de haine raciste militariste dans les bombardements de l’OTAN[7], dénoncés par le MQP descendu dans la rue le 14 octobre dernier[8]? Celui de l’hôpital Kunduz tenu par les Médecins sans Frontières présidés par l’urgentologue montréalaise Joanne Liu en Afghanistan le 3 octobre 2015[9]? Et celui de la Libye sous les ordres d’un général canadien en 2011? Depuis cette date, on rapporte des centaines, voire des milliers de morts CHAQUE MOIS, tant chez les réfugiés qui tentent de franchir la Méditerranée, que chez les victimes des terroristes armés par les armes de Kadhafi tombées en Afrique entre les mains des factions islamistes Al-Chabbab, Al-Qaeda, Boko Haram et Armée islamique.

Quelle est la part de haine raciste militariste dans la vente par le complexe militaro-industriel nord-américain d’avions-chasseurs-bombardiers qui coûteront au Canada des dizaines de milliards de $ et qui n’ont rien à voir avec la  défense de notre pays, ainsi que dans l’exportation de mines anti-personnel, bombes à fragmentation, bombes à uranium appauvri, armes chimiques, par exemple à phosphore, et drones armés s’attaquant notamment au Pakistan, à la Syrie, à l’Afghanistan et au Soudan? Rappelons la complicité des Premiers ministres Harper et Trudeau dans la vente de 12 ou 15 milliards de $ de blindés    canadiens au pays qu’on considère notre allié, l’Arabie Saoudite[10], même s’il promeut le salafisme radical misogyne et s’attaque sans merci au Yémen et au Soudan, y causant des centaines de milliers de victimes?

            La haine raciste militariste n’est-elle pas en grande partie responsable de l’accroissement exponentiel des réfugiés que le Haut-Commissariat des Réfugiés de l’ONU[11] chiffre maintenant à soixante-six millions, que ce soient les Rohingyas expulsés de Birmanie vers le Bengladesh ou les populations migrant de Syrie, d’Afghanistan, de Somalie, de Palestine, de Libye ou d’Égypte, suite aux guerres ou coups d’états souvent fomentés par la CIA?

            Enfin, n’est-ce pas une haine suprémaciste qui pousse trois des neuf pays possédant armes de destruction massive à intimider les pays membres de l’OTAN - dont le     Canada -, en les forçant à boycotter le Traité d’interdiction des armes nucléaires?     Honni par le complexe militaro-industriel qui tient à sa centaine de milliards de $ de revenus annuels, ce traité fut négocié par l’ambassadrice du Costa Rica (pays sans armée) Elayne Whyte Gomez que le Réseau canadien pour l’abolition des armes nucléaires a invitée à Ottawa le 25 septembre dernier[12], mais     que nos médias ont ignorée. Le Traité est pourtant appuyé par les deux tiers des pays membres de l’ONU, par son Secrétaire général Antonio Guterres et par le  directeur du comité international de la Croix Rouge (Croissant Rouge)!

            Enfin, quel racisme haineux a justifié en 1945 l’odieux bombardement de Nagasaki trois jours après celui de Hiroshima dont avait été victime Setsuko Thurlow? Japonaise naturalisée canadienne, madame Thurlow, collègue à Pugwash Canada, a été choisie par la Coalition internationale pour l’Abolition de l’Arme Nucléaire (ICANW.org) pour recevoir le 10 décembre à Oslo le prix Nobel de la Paix 2017[13]. Quel courage pacifiste face aux lâches actions guerrières du Canada! »

En espérant que l’aut’journal aura le courage et l’intégrité de publier cet article, continuant ainsi à faire preuve de l’ouverture qui caractérise son cheminement plus démocratique que celui aux dérives nationaleuses de Vigile.net et du Journal de Montréal cette semaine (avec les articles de Bock-Côté et Martineau attaquant la grande manifestation du 12 novembre).


Pierre Jasmin, 14 novembre 2017
Co-président d’honneur du Mouvement Québécois pour la Paix,
Artiste pour la Paix,
membre de l’exécutif de Pugwash Canada
et membre du comité de direction du Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire

 


[4] À connaître les conséquences des guerres romaines contre la religion chrétienne et à lire les 923 pages de la saga historique une colonne de feu du Britannique Ken Follett faisant état des guerres de religions entre protestants et catholiques au 16e siècle, la persécution et la chasse aux sorcières (voilées) constituent une stratégie hautement contre-productive, comme l’histoire nous l’a enseigné. Pour combattre les religions misogynes et doctrinaires (ne le sont-elles pas toutes, à des degrés divers?), le credo pacifiste indique la marche à suivre : les ridiculiser par écrit, par contre, les laisser vivre, sans les victimiser.

[6] Le militarisme inspire les manifs de la Meute, des Soldats d’Odin, de la Fédération des Québécois de souche, de l’Atalante, d’Horizon Québec Actuel (reconnu par Marine Le Pen), etc. Et le militarisme d’extrême-droite, encouragé par la ministre Christya Freeland, gagne maintenant des gouvernements des pays de l’Europe de l’Est telles l’Ukraine, la Hongrie, l’Autriche et la Tchéquie, après avoir contribué à installer au pouvoir les Donald Trump à Washington, général el-Sissi au Caire, Erdogan à Ankara et Netanyahu à Tel-Aviv.

[10] Ce texte fut écrit pendant les actions du prince héritier Mohammed ben Salman dont il ne faut pas attendre d’effets positifs, vu ses antécédents guerriers.

[11] Le directeur du UNHCR, M. Filippo Grandi, en visite à Montréal le 3 novembre 2017, a rendu publique la statistique honteuse que les pays riches occidentaux ont accueilli moins de 1% des réfugiés et que la fermeture des frontières américaines par le président Donald J. Trump aggravera probablement ces statistiques.