Il faut plus qu’« Un bond en avant »

2017/11/20 | Par Pierre Dubuc

Dans la foulée de l’élection de Donald Trump, Naomi Klein a senti l’urgence de publier « Dire Non ne suffit plus. Contre la stratégie de choc de Trump » (Lux). Elle applique à la situation états-unienne les enseignements de ses précédents ouvrages. Ainsi, invoquant son livre « No Logo. La tyrannie des marques », elle montre que Trump a construit sa carrière et mené sa campagne électorale sur le modèle du marketing d’une « marque », d’un « logo ». Dans son cas, le modèle, le plus pertinent, est celui de la lutte, de la World Wrestling Entertainment, avec les surnoms injurieux, les slogans insultants, etc.

Sa victoire est aussi celle du suprémaciste blanc, qui n’a jamais accepté la présence d’un président Noir à la Maison Blanche, écrit-elle en rappelant qu’« en Amérique du Nord, l’économie capitaliste moderne a été ‘‘subventionnée’’ par deux hold-up majeures : on a volé la terre aux peuples autochtones et on a volé le peuple africain à sa terre ».

Reprenant les thèses de son livre « Tout peut changer. Capitalisme et changement climatique », Naomi Klein constate le recul que représente l’élection de Trump, « alors que le changement climatique est parvenu à point de non-retour ». Bien que la situation « exige que nous investissions dans la sphère publique, dans de nouvelles sources d’énergie, performantes, dans les transports publics, les véhicules de transit légers, et cela à une échelle inédite depuis la Seconde Guerre mondiale », elle ne voit « d’autre solution que d’augmenter les impôts des riches, ceux-là mêmes que Trump est déterminé à gratifier de généreuses exemptions fiscales, dérégulations et autres exceptions ».

Mais, plus que tout, Naomi Klein s’inquiète des mesures que pourrait prendre l’administration Trump dans l’éventualité d’une catastrophe climatique ou d’une guerre, elle qui a si bien documenté le fonctionnement de la politique de choc dans son livre « La Stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre ».

Trump pourrait profiter d’une crise, qu’il pourrait lui-même provoquer, craint-elle, en décrétant « une sorte d’état d’exception, suspendre en partie ou en totalité les règles démocratiques, puis satisfaire au plus tôt ‘‘la liste de souhaits’’ des grandes corporations ».

Cependant, l’essentiel de son nouvel ouvrage porte sur la riposte devant être apportée à Trump, sachant que « Dire Non ne suffit plus ».  Il faut, selon elle, produire un autre récit qui doit « nous permettre de dépasser ensemble les barrières raciales, ethniques, religieuses et de genre, plutôt que de continuer à nous entredéchirer ».

Au cours de la campagne électorale, Naomi Klein, qui a la double citoyenneté – états-unienne et canadienne – n’a pas appuyé Hillary Clinton, à cause de ses liens avec l’élite financière. Auparavant, elle a apporté son soutien à Bernie Sanders « parce qu’il parlait sans détour de la triple crise – néolibéralisme, inégalités économiques et changement climatique », mais elle reconnaît que « les gens de couleur et les femmes avaient quelques motifs légitimes de ne pas en faire autant ».

Elle reproche à Sanders de ne pas s’être montré favorable à l’octroi aux Noirs de réparations pour l’esclavage, une revendication mise de l’avant par le mouvement Black Lives Matter et des intellectuels noirs. Le plus illustre d’entre eux, Ta-Nehisi Coates a critiqué Sanders pour ne pas avoir fait preuve d’autant d’audace sur la question de l’égalité raciale que sur les autres enjeux.

Naomi Klein ne croit pas que le changement puisse s’effectuer « par le haut ». Elle rappelle que, lors de la crise financière de 2008, un « ensemble de facteurs semblaient alignés favorablement pour que s’amorce un changement profond et pas seulement conjoncturel ». Cependant, la gauche n’était pas prête, « ni en théorie ni en pratique », si bien que c’est le Tea Party qui a pris son envol.

Que faire, alors? Au-delà de la nécessaire union des différentes luttes autour d’un programme commun. Il faut, plaide-t-elle, appeler à la rescousse l’utopie! Cette utopie qu’elle décèle chez les grévistes états-uniens de la Gilded Age de la fin du XIXe siècle, qui s’inspiraient de la Commune de Paris, ou de ceux du New Deal, qui connaissaient Marx et W.E.B. Dubois (en bonne anarchiste, elle n’ose pas écrire que leur principale source d’inspiration était la Révolution d’Octobre), ou encore du Mouvement civique des années 1960.

Quelle pourrait être aujourd’hui cette utopie? Elle cite, pour les États-Unis, la plateforme politique du Movement for Black Lives, mais aussi, pour le Canada et plus largement, le Manifeste « Un bond vers l’avant », reproduit à la fin de son livre.

Ce Manifeste, adoptée par le NPD, est essentiellement axé sur l’écologie, avec quelques revendications comme le revenu universel de base. Il accorde une place importante aux revendications autochtones, mais est muet sur la question nationale québécoise. Pourtant, si on reconnaît que les États-Unis se sont construits sur le vol des terres autochtones et l’exploitation des Noirs, il est tout aussi essentiel de reconnaître que le Canada s’est édifié sur l’exploitation et l’oppression de la nation québécoise.

Naomie Klein souligne avec raison l’importance fondamentale de la question écologique et son lien avec la structure économique du capitalisme, mais une stratégie politique conséquente ne peut se contenter de reposer sur les luttes en cours, malgré l’importance de celles-ci.

Toute stratégie politique digne de ce nom doit découler d’une analyse des relations entre les différentes classes et nations d’un pays et de la place de ce pays sur l’échiquier mondial. Dire non ne suffit plus, mais il faut plus qu’un « bond en avant ».