« Infanticides » en série sur 50 ans !

2017/11/21 | Par Gilles Verrier

1- L'indépendance et la réforme du fédéralisme renvoyés dos à dos

Lorsque René Lévesque procéda à l'abandon officiel de la souveraineté en 1984, pour épouser ce qu'il qualifia lui-même de « beau risque », le parti éclata ! Un clash semblable se produisit lors du départ de Jean-Martin Aussant, en 2011. Un autre mélodrame !

Mais à quoi riment donc depuis 50 ans ces crises devenues si prévisibles entre « indépendantistes déterminés » et « souverainistes associatifs » plus conciliants ? Une explication courante voudrait que la prépondérance d'un camp sur l'autre nous ferait avancer ou pas, que l'on s'approche du but ou qu'on s'en éloigne. Est-ce bien le cas ? Il est permis d'en douter.

Par un aveu surprenant, René Lévesque va nous aider à réfuter cet antagonisme apparent. En 1967, dans une sorte d'éclair de lucidité, il écrit : « le minimum vital pour le Québec est un « maximum ahurissant et tout à fait inacceptable » pour le Canada anglais ». Il ne pouvait mieux dire ! La conséquence immédiate de cette réalité mise à nue ne serait-elle pas de renvoyer dos à dos les deux camps autonomistes et leur réthorique concurrente ? Les renvoyer dos à dos tant les deux camps sont unis comme cul et chemise par leur refus de croire que tout ce qu'ils peuvent formuler constitue « un maximum ahurissant et tout à fait inacceptable ». Devant un tel mur d'intransigeance dénoncé par Lévesque, le comportement avisé ne serait-il pas d'adopter la position d'une résistance obstinée ? De se préparer à une lutte qui ne connaît pas de trêve ?  Ne serait-ce pas chez les nôtres de s'armer d'une volonté à toute épreuve pour arracher quelques gains autour d'un « minimum vital » ? Que nenni. Des quatre passes d'armes d'importance contre Ottawa en cinquante ans, aucune d'entre elles ne satisfait aux exigences minimales de la rigueur et de la détermination qu'aurait dû inspirer le jugement tranchant de René Lévesque sur le Canada.

 

Le Canada maître absolu du jeu politique

Le Canada anglais a toujours été le maître absolu du jeu politique. En cinquante ans, le Québec a eu beau s'escrimer à formuler ses revendications minimales, ou maximales, il n'en fera aboutir aucune. Qu'on revendique un ajustement de statut ou l'indépendance c'est pareil. Le fédéral n'a jamais consenti à rien car rien ne l'obligea à infléchir son intransigeance. Rien ne l'obligea à réfléchir autrement qu'en ses propres termes sur l'avenir du Canada. La contestation du Québec, si elle a inquiété par moments, ne réussira jamais à s'imposer dans les équations du fédéral.

Vu sous cet angle, quelle différence y a-t-il en effet entre l'indépendance et un statut particulier pour le Québec ? En pratique, il n'y en a aucune car toutes les ambitions autonomistes se soldent par des échecs. Et les succès seront indéfiniment ajournées tant qu'une classe politique colonisée continuera de défendre avec si peu de sérieux les intérêts fondamentaux du Québec. 

 

Sortir du coma politique

Pour repartir au combat les Québécois devront sortir du « coma politique » dans lequel ils sont entrés au lendemain du référendum de mai 1980. Comprendre que la « Confédération n'a jamais été un pacte librement consenti avec un partenaire de bonne foi, mais une condamnation irrévocable, suivie d'un enfermement perpétuel », comme l'explique Me Christian Néron, constitutionnaliste, consulté pour cet article.

Les graves carences de leadership ont commencé dès le début avec Lévesque qui a vite oublié sa propre lucidité. Au lieu d'accorder ses actes avec sa lumineuse précaution, il a gravement sous-estimé l'entêtement  ‑ prévisible ‑ du Canada à conserver le statu quo et ne s'est jamais préparé à mener un combat opiniâtre et de longue haleine. Faisant volte-face, il a cru (ou fait croire ?) que le changement de statut du Québec pouvait se décider dans la courte parenthèse d'un référendum. Une parenthèse ouverte pour aussitôt se refermer.

 

Un navire amiral sans pilote

À chaque fois que des occasions de marquer des points à notre avantage se sont évanouies, les plus déterminés ont mis la faute de l'échec sur le compte d'un pilotage par les « réformateurs du fédéralisme ». Cette explication ne tient pas la route car elle refuse de voir que nos échecs successifs ne viennent pas des erreurs du pilote mais de l'absence totale de pilotage. C'est ahurissant, mais il est temps que les passagers comprennent qu'il n'y a jamais eu de pilote à bord du navire amiral ! La peur maladive de s'emparer du gouvernail a toujours été le comportement typique de l'état-major national canadien français depuis Georges-Étienne Cartier, dès 1864. Une faiblesse morbide qui a continué sa belle carrière tout au cours de l'ère péquiste. Bye bye libération !

 

De la Révolution tranquille à colonisés tranquilles

Les prétentions si souvent répétées que la fameuse « Révolution tranquille » nous aurait libérée de notre mentalité de colonisés ne seraient, finalement, que des prétentions, c'est-à-dire de belles illusions. En fait, le Canadien français se complaît dans son statut de colonisé, un conditionnement dont René Lévesque nous a fourni l'exemple le plus patent et le plus dramatique.

 

En réalité, et c'est là toute l'affaire, que ce soient les « indépendantistes » ou les « provincialistes » qui montent au créneau, nous restons essentiellement dans la distraction coloniale des vœux pieux et des programmes enluminés. On a toujours cru aux vertus d'un combat policé et « positif », préféré les démonstrations de viabilité d'un Québec indépendant, choisi la «pédagogie» au détriment d'une lutte politique qui pourrait mettre sur la défensive le fédéralisme destructeur. Le fond du problème reste le déni de l'éléphant dans la pièce. La problématique que pointait Lévesque et que tout le monde a oublié, lui le premier.

 

Le Canada remporte la bataille des mentalités

La conséquence se devine aisément, en refusant de faire son procès, on a donné le champ libre au Canada qui a gagné la bataille des mentalités, une victoire qu'il savoure depuis le référendum de 1995. À tel point que beaucoup de ceux qui voteront Parti québécois aux élections de 2018 sont persuadés de son bon droit, de sa bonne foi et de sa supériorité morale. Dans une futile quête de modernisme électoral, qui ne valorise que les messages positifs et réprouve toute référence aux rapports de domination, le PQ a renoncé à transmettre l'esprit de résistance canadien français, jugé méprisable et révolu.

 

2- Les quatre tentatives pour modifier le statut du Québec depuis la création du Parti québécois (50 ans)

Pour le René Lévesque de tous les jours et en fin de compte toute la tradition péquiste, la promotion de « la cause » ne s'est jamais séparée de ses ambivalences à l'endroit du Canada. On ne s'est jamais affranchi d'une auto censure qui, bien que ponctuée d'occasionnels coups de gueules, s'est toujours interdit d'instruire la fourberie du fédéralisme et de ses méfaits. C'est dans ce contexte de psychologie politique que se sont déroulées quatre tentatives de changer le statut politique du Québec.

 

La première

Quand René Lévesque nous lance le soir de la défaite référendaire son « À la prochaine! », c'est qu'il renonce à poursuivre le combat par tous les autres moyens légitimes qui sont à sa disposition. Il venait de s'écraser sous la peur et nous conseille d'en faire tout autant.

Pour Guy Laforest, « Toute analyse sérieuse des documents de l'époque révèle l'ampleur du désarroi de René Lévesque et de son gouvernement au lendemain de l'échec du référendum sur la souveraineté-association de mai 1980. Rien ne fut fait pour préparer stratégiquement les lendemains d'une possible défaite ».

 

La deuxième

Quand, en 1981, revenu bredouille et trahi d'Ottawa, une performance marquée par l'impéritie de la délégation du Québec, il soufflera de nouveau sur les braises de l'indignation nationale, ce sera pour s'employer à les éteindre quelques mois plus tard. Il renverra aux douches ceux qui, le prenant encore pour un chef, étaient montés  - pour une deuxième fois - aux barricades à son appel.

Il vaut la peine de citer de nouveau Guy Laforest qui donne un compte rendu absolument dévastateur du comportement de la fine équipe Lévesque-Morin :

« Sur le terrain de l'alliance avec les provinces récalcitrantes aux initiatives unilatérales de M. Trudeau [père], et notamment dans la guérilla diplomatique menée à Londres, le gouvernement Lévesque (…)  est constamment resté sur la défensive, paraissant souvent incohérent et désorganisé.

« Le 16 avril 1981, trois jours après la victoire électorale de René Lévesque et du Parti québécois contre les libéraux dirigés par Claude Ryan, le gouvernement du Québec a accepté, dans un document qui consolidait un front commun de provinces opposées aux projets de M. Trudeau, une formule d'amendement qui substituait le principe d'un retrait avec compensation financière au droit de veto du Québec. Cette décision fut entièrement improvisée. (…) Le Québec aurait pu beaucoup mieux gérer l'enjeu du droit de veto, n'acceptant d'y renoncer qu'au lendemain d'un accord global auquel il aurait pu souscrire.
 

«...Entre 1978 et 1982, Claude Ryan a incarné au Québec une vision du renouvellement du fédéralisme canadien en harmonie avec les intérêts du Québec comme société nationale et distincte. Pour protéger le Québec, le gouvernement Lévesque aurait pu faire un bien meilleur usage des lumières et de la bonne volonté de M. Ryan. Certes, la politique est affaire de combat; (...) Toutefois, Lévesque a choisi de ne jamais intégrer Ryan dans un dessein stratégique visant à contrer les projets de M. Trudeau. (...) Lors de la fatidique semaine des négociations constitutionnelles de novembre 1981, M. Ryan a essayé d'entrer en communication avec M. Lévesque et son équipe. Ses appels n'ont jamais eu de réponse.

«Véritable cafouillis. Sur le front judiciaire, le Québec et ses procureurs sont allés à quatre reprises devant les tribunaux en 1981 et 1982. Leur performance fut peu impressionnante. Pourquoi remplacer l'équipe en place par l'ex-juge de la Cour suprême, Yves Pratte? Pourquoi attendre de très longues semaines avant de décider de soumettre la question du droit de veto du Québec en renvoi à la Cour d'appel du Québec après novembre 1981? Pourquoi ne jamais avoir plaidé, sur la base de l'article 94 de la Loi constitutionnelle de 1867, la nécessité du consentement de l'Assemblée nationale du Québec pour toute réforme touchant la juridiction des provinces sur la propriété et les droits civils, invasion reconnue par le gouvernement fédéral lui-même et par les décisions antérieures des tribunaux? 
«Si l'oeuvre d'ensemble paraît peu cohérente et souvent improvisée, cela s'est révélé sous son jour le plus cru lors de la conférence constitutionnelle de novembre 1981: climat anarchique et peu professionnel dans l'entourage de proximité de M. Lévesque, équipe ministérielle d'appui de second ordre, cafouillis total de René Lévesque lui-même et de son équipe à la suite de l'offre référendaire de M. Trudeau le matin du 4 novembre, absence de vigilance lors de la dernière nuit de la conférence. »

 

La troisième

Quand le Canada a renié sa parole – une autre fois – et que l'Accord du lac Meech a

fait long feu, Robert Bourassa, premier ministre à l'époque, se retrouve avec des atouts qui lui permettent de rebondir. Mais il laisse passer le temps pour faire oublier son renoncement à faire suivre par des actes les paroles de son discours prometteur du 22 juin 1990, il s'écrase.

 

La quatrième

Dans la foulée du refus de procéder de Bourassa, Parizeau profite de l'indignation de l'échec de Meech, qui demeure encore vivace, pour repartir au front. Il se lance non sans témérité dans une ré-édition de l'échec de Lévesque, une aventure référendaire bis, dans laquelle il placera toutes ses billes. Il démissionne  le soir du référendum de 1995, un geste prématuré qu'il regrettera plus tard. Trop tard. Il avait renoncé sur le champ à contester des résultats contestables. Il s'écrase à son tour.