S’excuser d’exister

2017/11/23 | Par Michel Rioux

On prête aux Belges l’aphorisme suivant : pluie en novembre, Noël en décembre. Les entreprises de culpabilisation des Québécois sont tellement récurrentes, tellement prévisibles, les charges, les accusations gratuites, les sous-entendus, les regards en coin, les insinuations de toutes espèces font tellement partie de notre quotidien qu’on finit par les trouver quelque peu normaux.

Mais il arrive ceci, qui est inquiétant. À force de se faire traiter de racistes, d'antisémites, de fascistes, de xénophobes et d’islamophobes, surtout par des gens et des groupes qui n'auraient pas de leçons à nous donner, on dirait que, collectivement, nous en arrivons à intérioriser ces accusations sans fondement, certains allant jusqu'à donner raison, presque, à ces contempteurs permanents.

Fort peu de peuples auraient laissé passer, sans au moins s'élever contre son ineptie, cette remarque du réputé grand philosophe Charles Taylor formulée il y a quelques années à l'émission Second regard, à Radio-Canada : « Le Québec est moins tolérant que la Turquie ! » On a fait le dos rond et on a encaissé. Depuis juillet 2016, des milliers d’universitaires, de journalistes et d’auteurs opposés au régime ont fait l’objet d’intimidation, de harcèlement et d’emprisonnement. Il faudrait peut-être aussi demander aux chrétiens et aux Kurdes ce qu'ils en pensent. En attendant que Taylor demande l’asile politique au pays d’Erdogan, on sait depuis longtemps que le grand philosophe perd les pédales dès lors qu'il est question du statut politique du Québec. Or, s'il fallait que nous traitions les Anglais, les juifs et les musulmans de la sorte, le Mordecai sortirait de son tombeau à la vitesse d'un Scud de Saddam Hussein !

Le dimanche 12 novembre se tenait à Montréal une manifestation organisée paraît-il par 170 groupes « contre la haine et le racisme », comme on l’a pompeusement qualifiée. Depuis quand combattre la haine et le racisme serait-il devenu le monopole de groupes particuliers, alors qu’il s’agit là d’une responsabilité collective ? Une recherche dans Internet permet de découvrir, à travers les pancartes tenues à bout de bras, à quelles fontaines on s’abreuvait lors de cette manifestation.

Make racists afraid again !

Decolonize !

Fuera racistas de nuestras viedas !

End white supremacy !

Trump, droite, Europe, Charte !

Moins de Guy Nantel et plus d’Omar Kadhr !

Fascists and nazis are not welcome here !

Ottawa against fascism !

Feminists unite against racism and islamophobia !

Quebecois identity white supremacy !

Non à 62 racist law !

Nazis scum off our streets !

Coudon ! On croirait vraiment se trouver en Allemagne à la veille de la Kristallnacht !

Michel Marsolais, le journaliste de Radio-Canada, annonçait dans son reportage en direct que des centaines de personnes manifestaient. Le site de Radio-Canada publiait pourtant un article en titrant : Des milliers de manifestants contre la haine et le racisme… Emportée par son enthousiasme, la journaliste de TVA, Cassandra Forcier-Martin, annonçait 5000 manifestants pendant que Le Devoir et La Presse les évaluaient plutôt à plusieurs centaines le nombre de participants. À moins d’avoir la vue embrouillée par la substance que Justin entend légaliser le 1er juillet, il suffit de jeter un œil sur les photos et les reportages télévisés pour évaluer le nombre de manifestants à quelque 500 personnes.

Et comment réagit-on collectivement quand nous on nous calomnie de la sorte, comme dans cette manifestation ? On se livre à notre sport national, qui est de se déguiser en courant d'air ! On manœuvre pour se glisser discrètement entre la peinture et le mur ! On tend l'autre joue, car c’est à peu près tout ce que nous avons retenu de l’Évangile… La chose est révélatrice de ce qui meut dans le plus profond de son inconscient ce peuple qui, après avoir passé la semaine à se péter les bretelles, à bomber le torse et à faire le matamore n'en finit plus, le dimanche, de s'excuser d'exister.

On nous conseille fortement de nous taire, d’enseigner à nos enfants une histoire aseptisée, de faire l'apologie du Canada multiculturel. Et il faudrait, en plus, vanter la noblesse du conquérant anglais et taire les pillages, viols, incendies et massacres perpétrés par les soldats de Sa Gracieuse Majesté lors de la Conquête et de la Rébellion des Patriotes.

Oui. Gardons-nous de parler à nos enfants de nos rêves de liberté. On nous accusera de xénophobie, d'antisémitisme, d’islamophobie, de racisme et de fermeture à l’Autre. Il y a plusieurs années, ayant tout cela en tête, j’avais commis un alexandrin qui pourrait remplacer avantageusement la devise Je m’en souviens.

Tâchons d’être discrets lorsque nous respirons…

 


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