Éducation, mérite et inégalités : des liens à questionner ?

2017/12/01 | Par Pierre Avignon

L'auteur est conseiller politique, Fédération des enseignantes et des enseignants de cégep (FEC-CSQ)

Dans l’édition du mois de novembre de L’aut’journal était publié un article très intéressant intitulé : « L’éducation, responsable des inégalités ? ». En s’inspirant des analyses d’Emmanuel Todd et de Simon Langlois, l’auteur nous rappelait notamment que : « L’éducation supérieure entraîne une hiérarchie sociale peu contestée parce qu’elle est basée sur la méritocratie ». Or, si l’on souhaite s’attaquer aux inégalités sociales, il nous apparaît justement nécessaire de contester davantage cette hiérarchie sociale basée sur l’idée du mérite.

Le rapport sur l’état et les besoins de l’éducation, Remettre le cap sur l’équité, publié en 2016 par le Conseil supérieur de l’éducation (CSÉ), offre de nombreuses données et références pour explorer les liens entre système éducatif, mérite et inégalité. On y retrouve par exemple une citation de l’UNICEF selon laquelle : « Les inégalités sociales entre les adultes peuvent être justifiables si elles découlent d’une concurrence loyale et surviennent dans un contexte d’égalité des chances. En revanche, en ce qui concerne les enfants, les conditions économiques et sociales auxquelles ils sont confrontés ne sont pas de leur ressort ; les différences de mérite individuel ne peuvent donc pas raisonnablement être invoquées pour justifier des inégalités (p.12) ».

Le système de justice accepté par une majorité de la population selon lequel les inégalités sociales peuvent être justifiées par des différences de diplômes obtenus par le mérite, ne peut être défendu que si tel est bien le cas. Pour ce faire, il faudrait que tous les individus aient le même accès aux diplômes de leur choix indépendamment de leur genre, de leur origine sociale ou ethnique, de leur lieu d’habitation, de leur handicap, etc. Malheureusement, ce n’est pas le cas.

Encore aujourd’hui, seulement un tiers des jeunes d’une génération obtient un diplôme de baccalauréat et les enfants des familles les plus favorisées y sont encore surreprésentés. De plus, bien que l’accès au cégep demeure plus égalitaire, seulement 25 % des jeunes dont les parents n’ont pas fait d’études postsecondaires sont présents sur les bancs d’une université.

En amont, l’existence d’un système à trois vitesses (écoles publiques, projets particuliers au public et système privé fréquenté par les plus favorisés) influence les parcours des jeunes et mine l’idée (ou l’idéologie justificatrice des inégalités) selon laquelle notre système d’éducation carbure au mérite. L’inégal accès à l’enseignement collégial selon la fréquentation scolaire au secondaire démontre ce malheureux phénomène.

Alors que plus de 90 % des jeunes qui fréquentent un programme enrichi à l’école privée poursuivent leurs études postsecondaires, seulement 36 % de celles et ceux inscrits au régulier au secondaire public se retrouve au cégep .[1] Des constats similaires peuvent être faits concernant la diplomation au secondaire selon le milieu d’origine. L’école reproduit, voire accentue les inégalités sociales alors qu’elle devrait permettre de les réduire.    

 

Lutter contre la ségrégation scolaire et l’idéologie méritocratique pour réduire les inégalités

Au regard des parcours scolaires des jeunes Québécoises et Québécois, on ne peut que constater l’inégalité des chances d’accéder au diplôme. Cette inégalité scolaire est à la fois provoquée par le statut social des individus, mais également par l’organisation du système éducatif. Ce dernier, en plus de ne pas effacer les déterminants sociaux de la réussite, agit davantage comme une « machine à trier » les jeunes selon leurs origines plutôt que par leur mérite.

C’est bien à partir de ces constats que l’on devrait davantage critiquer la légitimité de la hiérarchie sociale actuelle créatrice d’inégalités de revenu, c’est-à-dire les inégalités sociales. Outre la réduction des écarts de revenu (et d’un retour sur terre du monde de la finance !), l’adoption de politiques éducatives visant la mixité sociale, la fin du système à trois vitesses, la remise en question des modes de sélection et d’évaluation dans les parcours scolaires permettraient de rendre l’école québécoise plus juste.

 

[1] Pierre Canissius Kamanzi, Pierre Doray et Christian Maroy, tous cités dans le rapport du CSÉ, ont récemment publié des recherches sur ce thème.