Monorail : Une demi-mesure pour penser petit

2017/12/06 | Par Robert Laplante

L’auteur est directeur général de l’Institut de recherche en économie contemporaine

Le scepticisme à l’endroit des politiciens se portant plutôt bien, les rieurs n’ont pas manqué de matière. C’est avec un grand éclat de rire qu’a été accueillie l’annonce du Premier ministre Couillard concernant l’intention de son gouvernement de lancer un projet de monorail grande vitesse entre Montréal-Québec.

La province médiatique n’a pas manqué de  scribes pour faire du bruit et défoncer une porte ouverte. À sa face même la nouvelle improvisée dénature l’esprit et la lettre de ce projet évoqué voilà déjà cinq ans. Alors que les projets de train Québec-Windsor occupent les lobbys depuis une bonne quarantaine d’années,  l’annonce du monorail a tout à coup fait basculer les savants éditorialistes et les reporters « pragmatiques » dans le camp de Via rail. Comme retombée de relations publiques on ne devait sans doute pas espérer mieux à Toronto.

La charge étant dirigée contre le projet et non contre le gouvernement, les articulets ont surtout servi à le caricaturer plutôt qu’à tenter d’en discuter les fondements. Le Québec ne dispose d’aucun réseau de transport public digne de ce nom. Le projet de monorail grande vitesse, dans sa formulation originale, vise à relier Montréal aux grandes capitales régionales (Rimouski, Sherbrooke, etc.)  afin de doter le Québec d’une infrastructure essentielle au développement intégral de son territoire. Les scribes qui n’ont vu là que manœuvre nationaliste ne comprennent rien ni à l’intérêt national ni à l’économie.

Un tel projet ne saurait être qu’un projet de gouvernement. Les groupes qui jusqu’ici s’en sont fait les promoteurs n’ont agi que par substitution. C’est une affaire d’État, devant traduire une vision d’État. Une vision qui combine stratégie industrielle  (le Québec dispose de la grappe complète des fabricants), politique de transport et de structuration du territoire, et politique énergétique. Le projet peut donner le signal d’une grande mobilisation technologique,  appelant ingénieurs, fabricants et tout l’appareil de recherche à la réalisation d’une avancée majeure.

Les discoureurs qui  ne peuvent écrire deux lignes sans en appeler à l’audace et l’innovation  ont trouvé la chose trop osée parce qu’ils ne lui ont pas trouvé de … précédent! Cherchez l’erreur.

Au lieu de se perdre dans les anecdotes à propos du génie chinois ou devant la terreur que leur inspire l’effort qui n’a pas été validé par Toronto ou la Silicon Valley, ils auraient mieux  fait de connaître l’histoire du Québec et de s’en inspirer. Pour développer les barrages du Nord, il fallait pouvoir transporter l’énergie sur des distances immenses. Il ne manquait pas de spécialistes pour prétendre que tenter la chose était pur délire. Les ingénieurs d’Hydro-Québec ont tellement déliré que la technologie de transport du courant 735 000 volts est désormais devenue un standard mondial!

Le projet d’un monorail grande vitesse annoncé la semaine dernière  illustre tous les travers d’une mentalité brouillonne. Voilà une demi-mesure annoncée à la va-vite, commentée sans analyse rigoureuse du concept dans son ensemble et surtout sans considération pour le seul cadre qui en rendrait la discussion fructueuse : l’intérêt national. Les vendeurs de copie n’en ont cure. Il leur faudrait penser en tenant les régions pour autre chose qu’un cadre touristique de consolation pour ceux-là qui ne peuvent se payer le Sud ou la Thaïlande.

Le gouvernement du Québec aurait pu faire de cette annonce celle d’un grand projet national. La demi-mesure électoraliste n’aura suffi qu’à révéler encore davantage les déficiences des provinciaux qui occupent trop d’espace dans le complexe médiatique.  Le projet Montréal-Québec ne fera qu’aggraver l’injustice fiscale dont sont victimes les citoyens qui vivent dans les régions et qui doivent se contenter de solutions bancales définies en fonction de la rentabilité attendue par des compagnies privées.

Le transport collectif électrifié couvrant l’ensemble du territoire devrait être considéré comme un service public essentiel, conçu, organisé et financé comme tel. Le Québec mérite mieux que les radotages sur le corridor ontarien pensé dans les termes du siècle passé. La médiocrité du commentaire que nous ont livré les phares de la bourgade n’aura servi qu’à pousser d’un cran le cynisme à l’endroit de leur contribution à la vitalité démocratique.

Quand le sage pointe la lune l’idiot regarde le doigt, dit le proverbe. À moins qu’il ne se perde en lisant les éditoriaux de La Presse ou les sparages soufflés par les firmes de relations publiques.