Les bunkers de la guerre froide de Trudeau

2017/12/08 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est professeur honoraire UQAM, artiste pour la paix, membre exécutif des Conférences Pugwash Canada et du Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire

Avancer en arrière… Voilà l’impression laissée par l’annonce du 29 novembre que le Canada compte réactiver ses bunkers de la guerre froide, conçus pour abriter le gouvernement fédéral en cas d’attaque nucléaire! Si notre dernier ambassadeur canadien en titre en Corée du Nord, Marius Grinius, nous a confié sa crainte de l’imprévisible tyran coréen, de là à qualifier son programme nucléaire d’irrationnel, il y a une marge : le régime dictatorial est parfaitement au courant que la CIA s’est d’abord assurée que la Libye et la Syrie n’avaient plus aucune bombe à destruction massive, avant d’entreprendre leur destruction, dans le premier cas avec le général canadien Charles Bouchard commandant l’attaque aérienne de l’OTAN en 2011. Résultat annuel : des dizaines de milliers de réfugiés et des milliers de morts, certains en fuite en Méditerranée, d’autres par les armes de Kadhafi tombées entre les mains islamistes.

Le même chemin guerrier envers la Corée du Nord, comme notre ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland semble vouloir s’y engager dans son obéissance à Donald Trump, serait terriblement risqué puisque les bombes nucléaires, armes infiniment plus dangereuses et scientifiquement moins prévisibles que ne le pensent ces deux politiciens de carrière, peuvent nous entraîner vers la destruction de la planète entière.

Alors que faire, puisque personne n’a la naïveté de prétendre que Kim Jung-un suivrait un mot d’ordre de l’ONU d’éliminer ses bombes? Par contre, tous les observateurs s’accordent à dire qu’un apaisement de la tension internationale et surtout une politique internationale de réduction des programmes guerriers nucléaires, au lieu de leur accroissement, amèneraient la Corée à réduire le sien et peut-être à cesser ses essais de missiles balistiques.

De plus en plus de gens raisonnables comprennent que les coûteuses bombes nucléaires ne se divisent pas entre NOS BONNES BOMBES (USA, France, Grande-Bretagne, Inde et Israël) et LEURS MÉCHANTES BOMBES (Corée du Nord, Russie, Chine, Pakistan), puisqu’elles sont toutes sujettes à déclenchement suite à une décision irrationnelle d’un leader, suite à un enlèvement par un groupe terroriste ou suite à la mal-fonction d’un système d’alerte électronique.

L’opposition à la bombe nucléaire rallie maintenant de nombreux militaires, le pape François, les 7400 Maires pour la Paix et la Coalition internationale pour l’abolition de l’arme nucléaire, ICANW.org, dont le site www.dontbankonthebomb.com cible plusieurs de nos compagnies financières canadiennes investissant des milliards de $ dans le nucléaire militaire.

En décembre 2014, la Canadienne et survivante d’Hiroshima Setsuko Thurlow répondait à l’Appel humanitaire contre les bombes nucléaires lancé par le jeune ministre autrichien des Affaires étrangères, devenu en octobre 2017 chancelier de l’Autriche à 31 ans, Sebastian Kurz du parti de droite ÖVP.

Alors pourquoi Justin Trudeau, dont le père militait activement contre la bombe nucléaire, appuie-t-il implicitement la doctrine en vigueur de l’OTAN, soutenant que les armes nucléaires sont « la suprême garantie » de sécurité, alors qu’elles représentent avec les changements climatiques la plus grande menace pesant sur l’humanité? Pourquoi loin de comprendre l’évidence boycotte-t-il le Traité d’interdiction des armes nucléaires?

La cérémonie du Prix Nobel de la Paix 2017 le 10 décembre à Oslo mettra en scène la Canadienne et survivante d’Hiroshima Setsuko Thurlow (voir photo) choisie par ICANW.org comme une des récipiendaires du prix.

Et le 7 décembre, au Parlement canadien, une délégation représentant plus de mille membres de l’Ordre du Canada qui ont signé à la demande de mon ami Murray Thomson la plus importante pétition de leur histoire, a appelé le Canada à rallier le Traité d’interdiction des armes nucléaires. Avancé par l’ambassadrice Elayne Whyte du Costa Rica (voir autre photo) que le Réseau sur l’abolition de l’arme nucléaire a reçue à Ottawa le 25 septembre, sa visite n’a hélas reçu aucun écho ni des médias ni du Ministère des Affaires globales de madame Freeland. Et pourtant les deux tiers des pays représentés à l’ONU comptent endosser le Traité, imités par trois des partis d’opposition représentés au Parlement fédéral (NPD, Bloc et Parti Vert) ayant apposé une vingtaine de signatures sur la copie du traité exposée devant le Parlement le 20 septembre à Ottawa.

Le monde, lui, va …de l’avant.

Larges sourires des Pierre Jasmin, Debbie Grisdale et Steven Staples qui entourent l’ambassadrice Elayne Whyte Gomes (Ottawa, 25 septembre)