Hommage à Jean-Claude Germain

2017/12/13 | Par L’aut’journal

Le 7 décembre, la Société d’histoire du Plateau-Mont-Royal (SHP) a remis le Prix Rayonnement 2017 à l’auteur, historien et homme de théâtre, Jean-Claude Germain et le Prix Engagement à Lorraine Decelles, véritable pilier de l’action communautaire dans le Plateau.

À cette occasion, Jean-François Nadeau, historien et journaliste au Devoir, a rendu hommage à notre collaborateur Jean-Claude Germain. Voici le texte de son hommage, suivi de l’allocution de Jean-Claude Germain.

 

Pour Jean-Claude Germain

C’est à raison qu’on honore ce soir Jean-Claude Germain. Depuis plus d’un demi-siècle, avec son style et son humour bien à lui, ce diable d’homme ne cesse d’explorer la composante culturelle et politique de notre destin commun.

Jean-Claude Germain est de ceux à qui les Québécois doivent de s’être dégagés, du moins en partie, d’un destin colonial où tout était à mesurer perpétuellement à l’aune d’un préalable étranger.

Grâce à un Jean-Claude Germain, cette société a su mieux prendre conscience qu’elle existait au Nouveau Monde.

Je pèse ici soigneusement mes mots. Et je n’en exagère aucun lorsque j’affirme que Jean-Claude Germain est de ceux qui ont fait naître au monde le théâtre et la littérature québécoises, tout en se montrant un formidable professeur de l’histoire qui se trouve aux fondements de cette culture et de cette raison commune.

Du Petit Journal jusqu’aux planches du Théâtre d’Aujourd’hui, de la radio de nos impôts à ses livres plus personnels des dernières années, Jean-Claude Germain est connu tour à tour comme journaliste, critique, directeur artistique, comédien, dramaturge, historien, mémorialiste et écrivain. Tout épris qu’il est de liberté et capable, partant de là, de tout embrasser au nom de la fraternité humaine, il correspond assez bien au portrait qu’on peut se faire d’un homme du siècle des Lumières. En un mot, c’est un homme rare.

Regardez-le aller depuis toutes ces années. À peu près rien qu’il n’ait touché avec sa verve rieuse. Tout en faisant toujours une large place à l’histoire, il n’hésite pas à tout disséquer au fil du rasoir de sa pensée tranchante.

Les plus récents livres de cet écrivain sans équivalent chez nous comptent parmi les plus beaux jamais consacrés à la mémoire de Montréal. Lire ou relire La Femme nue habillait la nuit, Le Cœur rouge de la bohème ou encore Rue Fabre, centre de l’univers, c’est plonger dans un espace mémoriel que seul Jean-Claude Germain avait les moyens de nous faire découvrir de la sorte.  À ces livres-là, sa société reviendra longtemps. J’en suis intimement persuadé.

À l’occasion de la remise de ce prix, je voudrais redire ici publiquement l’admiration et l’amitié profonde que j’ai pour lui.

Et en hommage, je lève ce soir bien haut mon verre à Jean-Claude Germain, comme vous tous.

Jean-François Nadeau

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Entre deux changements de décors

Je débarque tout juste de ma campagne dans une ville qui ressemble de moins en moins à celle que j’ai connue. Le long du fleuve, des rivières, des lacs, au pied des montagnes, sur le haut des collines, les habitants s’identifient au paysage. C’est leur première mémoire ! On vient d’un village, mais on est d’une ville.

Le Montréalais est un produit dérivé de l’architecture. Sa relation originelle n’est pas avec un paysage, mais avec un décor. Il est par essence le locataire d’un environnement qui a toujours été conçu par un inconnu dont le projet initial s’est invariablement dénaturé au fil du temps. Imaginez un instant revisiter le logement où vous avez grandi enfant. Avec la meilleure volonté du monde, une certitude s’impose : votre passage n’a pas laissé de traces.

Il n’y a pas de passé qui perdure à Montréal. Il n’y a que des habitants qui conservent le souvenir d’une ville qui a brusquement cessé d’exister à un moment donné pour être remplacée par une autre. Comme les habitants d’une nouvelle ville reconstruite après un bombardement. Pendant longtemps, notre forteresse volante se nommait Jean Drapeau.

Une grande ville c’est un croisement de veines et d'artères sur un plan, mais pour ses habitants, c’est d’abord un boutte de rue. C’est pour ça que les gences dla ville se d'mandent toujours entre eu-z-autres de quel boutte y viennent ? Pis qu’les réponses sont si précises. En ajoutant toujours les transversales.

Je suis venu au monde rue Fabre. Comme Michel Tremblay. Quelques années avant lui ! Mais avec une énorme différence ! Il a vu le jour entre Mont-Royal et Gilford et je suis venu au monde entre Mont-Royal et Marie-Anne. Séparés en somme par une vaste frontière : l’avenue Mont-Royal.

La plus grande partie de ma vie montréalaise, à l’exception d’une escapade involontaire de dix ans sur la Rive Sud, s’est déroulée dans le giron du Plateau : un atelier dans la ruelle Saint-Christophe, en haut de Roy, un moment d’égarement rue Dorion en bas de Sherbrooke, un appartement rue Saint-André,  en bas de Cherrier ; un retour rue Fabre, en haut de Gilford, et finalement un dernier arrêt boulevard Saint-Joseph, coin Brébeuf… et je dois à Michelle Rossignol d’avoir rapatrié le Théâtre d’Aujourd’hui, de la rue Papineau en bas de Sainte-Catherine, à la rue Saint-Denis.

Dans ma jeunesse, avant que le Plateau prenne du galon jusqu’à devenir une petite principauté, tous les bouttes de rues étaient regroupées, de l’Ouest en Est, autour de paroisses : Saint-Denis, Saint-Louis de France, Saint-Jean Baptiste, Saint-Stanislas de Kostka, Saint Pierre Claver et L’Immaculée Conception.

Ce n’est pas dans la nature changeante d’une métropole d’être un « paradis perdu » où on trouve toujours un arrière-grand-père qui a planté un chêne centenaire. Aux pieds du Mont-Royal, il n’y a que des rues, des quartiers ou des appartements qu’on quitte pour ne plus y revenir.

Ce besoin atavique de lever régulièrement le camp est un héritage du nomadisme des premiers occupants. Tous les ans, à la fin du printemps, les Montréalais, saisis d’une bougeotte qu’ils ont hérité des coureurs de bois, se posent une question existentielle : Déménager ou rester là ? D’un deuxième étage à un troisième, d’un quatre et demi mal éclairé à un grand cinq et demi lumineux pas chauffable, c’est leur façon d’explorer le continent à une échelle plus réduite.

Mais dans tout ce va-et-vient, on risque fort de se délester d’une partie de nos souvenirs et de notre Histoire dans la ruelle, sur le bord d’un trottoir dans la rue ou dans une vente de garage. Les seules traces que les citadins laissent de leur passage dans une métropole est le souvenir d’une ville qui n’est déjà plus.

C’est un des grands avantages d’avoir transformé un quartier en un arrondissement doté d’une mairie : celui de pouvoir assumer un devoir de mémoire envers tous ces bouttes de rue qui ont fait du Plateau ce qu’il a été.

Je tiens à remercier la Société d’histoire du Plateau pour le prix qu’on me remet aujourd’hui au nom d’une passion que nous partageons - celle de l’Histoire.

Jean-Claude Germain