Le poids des fausses nouvelles : de la Libye à Côte-des-neiges

2017/12/18 | Par Robin Philpot

J’avoue avoir un peu de misère à m’ameuter à la suite de la fausse nouvelle de TVA sur la mosquée de Côte-des-neiges. TVA n’a ni la capacité, ni, selon moi, la volonté d’imposer une fausse nouvelle. Ce sont des amateurs en la matière. Ils auraient des croûtes à manger pour se mesurer aux maîtres, ceux qui sont en mesure de changer le cours de l’histoire à l’aide fausses nouvelles aux conséquences dévastatrices, sans jamais faire le moindre mea culpa.

La traite d’esclaves est de retour en Libye, nous apprend CNN. Voici une conséquence directe et grave d’une nouvelle, aussi raciste que fausse. Celle voulant que le gouvernement de Mouammar Kadhafi ait fait venir en Libye des avions pleins de mercenaires d’Afrique noire pour combattre les nobles djihadistes de Benghazi dans ce qu’on a (mal) nommé le printemps arabe.

Cette « nouvelle » a servi de prétexte pour la résolution de l’ONU, adoptée à la demande de Washington, de Paris, de Londres (et d’Ottawa), établissant une zone d’exclusion aérienne en Libye. De zone d’exclusion aérienne, les puissances de l’OTAN l’ont vite transformée en bombardement massif et meurtrier du pays le plus prospère de l’Afrique, au « changement de régime » en Libye et à l’assassinat de Mouammar Kadhafi. (« We came, we saw, he died », dixit  Hillary Clinton, 21 octobre 2011.) Qui plus est le tout s’est fait en appui à nos alliés, les « rebelles » djihadistes concentrés principalement à Benghazi, dans l’est de la Libye.

Relayée par tous les grands médias québécois, canadiens, français, britanniques et étasuniens, cette fausse nouvelle, qui provient vraisemblablement des officines de l’OTAN ou du Pentagone, aura été l’argument massue qui a amené TOUS les parlementaires canadiens sauf une (Elizabeth May) à soutenir l’OTAN dans son aventure meurtrière. Des Conservateurs aux Libéraux en passant par le NPD et le Bloc Québécois, tous l’ont joyeusement prise à leur compte, sans jamais s’excuser par la suite quand la nouvelle s’est révélée complètement fausse. Si Justin Trudeau cherche des raisons de sortir ses mouchoirs, en voilà une excellente.

À ce prétexte raciste se sont ajoutées d’autres fausses nouvelles tout aussi racistes, comme celle des mercenaires noirs qui recevaient du Viagra du gouvernement Kadhafi pour violer les femmes des « rebelles » de Benghazi. L’ineffable procureur de la Cour pénale internationale, Luis Moreno Ocampo, a pris celle-là au bond en lançant une enquête, se faisant ainsi le bras judiciaire de l’OTAN qui continuait à bombarder.

A-t-on vu les Yves Boisvert monter sur leurs grands chevaux pour décortiquer le travail de leurs propres médias ou des autres médias canadiens et américains? Est-ce qu’on vu Yves Boisvert se pencher sur le travail de sa collègue Agnès Gruda qui se faisait photographier Kalachnikov à la main à côté d’un djihadiste libyen? Poser la question, c’est  y répondre.

Mais de vraies nouvelles nous informaient aussi que nos alliés, les « rebelles » djihadistes de Benghazi, étaient des racistes qui voulaient rompre avec la politique panafricaine de Kadhafi, qui menaient des attaques contre des noirs libyens et des diplomates africains et dont certains déclaraient même vouloir réduire les noirs Tawarghis à l’état d’esclavage.[1]  Qu’avons-nous fait en réaction à ces vraies nouvelles? Nous avons continué à les appuyer et à bombarder la Libye.

Parmi les conséquences : la Libye est ramenée à l’âge de pierre, les idées chères à Mouammar Kadhafi et à Nelson Mandela sont enterrées, soit celle d’un fonds monétaire africain pour remplacer le Fonds monétaire international et donner aux pays africains une économie indépendante, celle d’une Cour pénale africaine pour remplacer la Cour pénale internationale et celle d’une force africaine de sécurité pour empêcher que des forces armées non africaines ne soient déployées sur le sol africain.

TVA a fait une erreur grave et grossière. Dès que la fausseté de la nouvelle a été révélée, le réseau a présenté des excuses. Aussi, on peut présumer que cette histoire aura compromis sérieusement la carrière de la journaliste et peut-être de ses supérieurs.

Quant à la fausse nouvelle qui est mille fois plus grave : il n’en est rien.

 

 

[1] Voir Maximilian C. Forte, Slouching Towards Sirte, NATO’s War on Libya and Africa (Baraka Books, 2012) pour toutes les informations et sources.