Quand Safia Nolin sonne les cloches…

2018/01/08 | Par Gilles Simard

L’auteur est journaliste et pair-aidant en santé mentale

On ne peut pas rire de tout, certes, mais il y a aussi des limites à une « certaine » indignation. Ici, s’agissant de Safia Nolin qui dénonçait récemment l’effet possiblement stigmatisant du dernier Bye-Bye (Belle cause pour la cause) envers les deux millions de Québécois-ses atteints de maladie mentale, force est de reconnaître que l’équipe Fecteau-Ducharme, outre de faire mouche avec ses trois hilarants clips (Barrette, Masse et Jean parodiés), aura su se montrer très respectueuse sur la délicate question du renforcement des préjugés touchant cette même maladie mentale.

Pour sûr, l’intention de la jeune chanteuse de Limoilou (que j’aime bien malgré son petit côté moraliste) était fort louable. Seulement, la façon brillante dont les trois scènes étaient jouées, les paroles, leur contexte socio-politique, tout cela laissait suffisamment d’espace à l’intelligence pour qu’on puisse faire la différence entre une parodie pissante et une plaisanterie de mauvais goût : une chose hélas trop courante dans le monde grinçant de l’humour québécois.

Pensons ici à Mike Ward, avec le petit Jérémie Gabriel, ou à tous ces pseudos-comiques qui tapent sur la tête des « B. S. » et des personnes immigrantes ou démunies depuis des décennies. Que voilà de la vraie stigmatisation : venimeuse, affligeante, outrageuse et tellement lourde de conséquences.

 

Le rire : un puissant remède

Par ailleurs, du temps où j’étais moi-même porteur d’au-moins deux diagnostics de maladie mentale (un vrai et un faux), ma mère me répétait volontiers : « Si on ne vaut pas une risette, mon garçon, on ne vaut pas grand-chose ». Et elle avait bien raison de parler ainsi, cette sage femme. Le rire est un puissant remède; bien plus efficace que bon nombre d’anti-dépresseurs, et certainement plus humain que les électrochocs reçus ad nauséam, à l’époque, par nous-autres, malheureux-ses psychiatrisés-es.

Et même là, entre deux traitements à haut-voltage, nous trouvions le moyen d’essayer d’en rire, avec nos blagues éculées sur Hydro-Québec et de possibles pannes de courant obligeant nos docteurs à « nous finir à la chandelle » … C’est dire, la puissance du rire comme baume pour faire passer des remèdes de cheval !

Au fond, et je l’ai intégré beaucoup plus tard, ce que ma mère essayait de me faire comprendre, c’est qu’apprendre à rire de soi, cesser de se prendre au sérieux, est toujours une attitude très profitable en matière de rétablissement. Une façon d’être finalement, un deuxième réflexe permettant de mieux faire nos deuils, et nous conduisant à l’acceptation et à l’apaisement des souffrances. Une étape indispensable s’il en est, pour entreprendre une nouvelle vie, plus heureuse et mieux remplie. Cette même vie à laquelle j’ai droit, maintenant, et que je goûte avec tellement de gratitude.

 

Bell cause pour la cause et s’en trouve morte de rire

Cela dit, l’humour demeure une arme redoutable et compte tenu du contentieux social et politique de Bell Canada Entreprise (BCE), j’aurais apprécié que l’équipe du Bye Bye 2017 ne s’arrête pas en si bon chemin. Partant, je reprendrais certainement goût à l’humour québécois, si nos comiques lâchaient un peu les mon-oncles, les trans et les beaufs, pour s’attaquer davantage à des sujets tels le délestement honteux de l’État sur les questions de pauvreté, d’itinérance et de santé mentale. Un dédouanement socio-politique ignoble, qui se fait au profit des holdings financiers, des fondations, des commerces, des guignolées, j’en passe et des meilleures.

Enfin, quand je dis que « Bell est morte de rire », je parle d’une multinationale qui s’avère elle-même la cause de milliers de dépressions et de suicides, à cause de ses tarifs outranciers, ses mises à pied, ses privatisations, ses restructurations et ses délocalisations sauvages. Un empire financier sans âme qui s’est approprié, une semaine par année (fin-janvier), le titre de « champion de la santé mentale » au Canada et au Québec, en causant pour la cause. Et cette cause (la sienne), lui procure non seulement une publicité gratuite inespérée, mais rend plus acceptable socialement les mesures de déréglementation et de défiscalisation lui permettant d’engranger de fabuleux profits et de donner des bonis pharaoniques à ses dirigeants.

Pensons ici à George Cope, président de Bell Canada et lui-même fondateur du programme Bell cause pour la cause, qui a déjà touché pas moins de 10 M $ en salaires et primes (2010), et à Michel Sabia, à qui on a déjà versé quelque 21 M $ en primes (2008) ...

Tant qu’à s’indigner… Et à causer pour la cause !