Marijuana et paradis fiscaux

2018/01/25 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois.

Une nouvelle tuile s’abat sur le gouvernement de Justin Trudeau. Le Journal de Montréal a révélé que les producteurs de marijuana sont financés par des fonds obscurs provenant de paradis fiscaux. 35 entreprises sur 86 auraient ainsi bénéficié d’investissements de 165 millions $. Par exemple, Aurora Cannabis, une entreprise albertaine, qui possède une usine à Pointe-Claire, aurait reçu 32,5 millions $ des Îles Caïman et un peu plus de 200 000 $ de la Barbade.

En faisant les comptes, on remarque que l’essentiel de ce financement provient d’un seul paradis fiscal. Un peu plus de 150 millions $ trouvent leur origine dans les Îles Caïman, ce qui représente 91 % de ces fonds offshores. Cette information est passablement inquiétante. Les Îles Caïman ont la réputation d’être le paradis fiscal le plus sale. Il y a peu de contrôle sur les activités des entreprises, la provenance de leurs fonds et l’identité de leurs propriétaires. On peut y faire des dépôts en argent comptant, effaçant ainsi toute traçabilité. C’est le lieu idéal pour le blanchiment international de l’argent.

Il n’est donc pas possible de connaître qui se cache derrière ces investissements et les producteurs de marijuana refusent d’en dévoiler l’identité. On ne peut donc pas exclure que ces fonds proviennent du crime organisé. Or, l’argument principal pour légaliser la marijuana est de retirer au crime organisé le contrôle de ce marché. Lorsqu’elle était ministre de la Santé, Jane Philpot avait déclaré que le gouvernement veut s’assurer « que les bénéfices sont tenus hors de portée des organisations criminelles ».

Le gouvernement de Justin Trudeau doit donc s’assurer que les criminels ne fassent pas, de façon indirecte, ce qu’on veut les empêcher de faire de façon directe. Malheureusement, jusqu’à maintenant, il ne fait strictement rien ! Par exemple, il n’y a pas une ligne dans sa loi sur les conditions à remplir pour obtenir un permis de production de marijuana. C’est une situation que le Bloc Québécois continue de dénoncer.

Avec les révélations sur ces obscurs fonds offshores, le gouvernement de Justin Trudeau doit impérativement inscrire une clause exigeant l’identification des entreprises qui obtiennent un permis de produire et de tous leurs avoirs financiers. L’enjeu est trop grave.

Le projet de loi, adopté sous le bâillon à la Chambre des communes, n’est pas encore adopté au Sénat. Il y a donc une fenêtre d’action possible. Or, règle générale, il y a peu à attendre de ces non-élus, amis du régime. Si rien ne bouge au Sénat, les critères d’attribution des permis seront précisés par règlements, probablement ce printemps. Or, les règlements sont décrétés par le gouvernement et ne sont ni soumis aux débats, ni votés. Le gouvernement doit procéder de la même façon pour les permis de production de marijuana thérapeutique. Il faut lier leur renouvellement à l’exigence d’identification des propriétaires et des financiers de ces entreprises.

Crime organisé ou non, il est aussi inacceptable que ces entreprises productrices soient financées par des fonds en provenance de paradis fiscaux. Ça signifie que la part de profits, dividendes et plus-value générées par ces fonds échappera à l’impôt. Ce stratagème doit tout simplement être interdit. Les coûts sociaux de la légalisation seront considérables. Pas question que les bénéfices de cette activité échappent au fisc !

L’Assemblée nationale du Québec a demandé à l’unanimité de retarder d’un an l’entrée en vigueur de la légalisation. Plusieurs intervenants ont interpellé Justin Trudeau en ce sens. Le constat est clair : Nous ne sommes pas prêts ! Par exemple, il n’y a toujours pas de moyens fiables pour détecter la conduite avec les facultés affaiblies par cette drogue.

Rien n’y fait. Justin Trudeau se montre toujours aussi empressé. Il faut dire que plusieurs amis libéraux ont les deux mains dans la production et l’enrichissement de ces amis semble passer avant les consensus québécois et le bien public.

C’est notamment la situation de Chuck Rifici, qui a été directeur financier du Parti libéral, proche de Justin Trudeau et membre du conseil du Parti libéral du Canada. Les activités de Ricifi dans le domaine l’ont rendu multimillionnaire. On trouve aussi l’ancien ministre libéral Martin Cauchon et le chroniqueur Alain Dubuc au conseil d’administration d’une entreprise productrice, 48 North. Cette entreprise a aussi reçu des fonds provenant des paradis fiscaux.

La volonté de Justin Trudeau de légaliser la marijuana entraîne d’importants coûts pour le Québec, les municipalités et les provinces. Ce sont elles qui se retrouveront avec l’essentiel des dépenses en santé, sécurité, prévention, etc. À l’opposé, Ottawa n’assumera pratiquement aucun coût. Il engrangera le quart de sa taxe fédérale, laissant la différence aux autres niveaux d’administration. Québec tirera de nouveaux revenus de cette taxe, mais aussi des bénéfices de l’éventuelle succursale de la SAQ chargée de la vente de la marijuana. Il n’est pas encore évident que ces revenus suffiront à combler les dépenses additionnelles générées par la légalisation, surtout si on considère l’ensemble des impacts sociaux.

Le gouvernement de Justin Trudeau développe un nouveau marché qui va principalement profiter au secteur privé. C’est dans la production que les profits les plus importants seront réalisés. Comme c’est Ottawa qui émet les permis de production, il n’est pas étonnant que ceux-ci se retrouvent entre les mains de plusieurs amis des Libéraux. D’où son empressement.

Or, l’importance du financement de cette nouvelle industrie, qui provient des Îles Caïman et d’autres paradis fiscaux, pose un double problème. D’une part, le gouvernement Trudeau doit s’assurer que le crime organisé est exclu de cette industrie. D’autre part, il est inacceptable qu’une part des bénéfices de l’industrie, engrangés dans les paradis fiscaux, échappe à l’impôt. Le gouvernement doit agir en ce sens et devrait repousser la légalisation de la marijuana, comme le lui demande le gouvernement  du Québec.