Un an après l'attentat de la mosquée de Québec, apaiser le climat social

2018/01/25 | Par Collectif

Par Ferid Chikhi, Nadia El-Mabrouk, Ali Kaidi et Leila Lesbet
Les auteurs sont membres de l’Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité (AQNAL)

Depuis l’odieux attentat survenu il y a un an à la mosquée de Québec, quelque chose s’est brisé dans le tissu social. Dès le lendemain du meurtre, des publications diffamatoires affichant des personnalités du Québec les mains tachées de sang circulent sur Internet, et des accusations à peine voilées associent l’attentat aux partisans de la laïcité. Les Québécois sont accusés de racisme et d’islamophobie sur toutes les tribunes, et une consultation sur le racisme et la discrimination est annoncée par le gouvernement quelques mois plus tard. Ce festival des amalgames n’a fait que polluer le climat social, polariser le débat et alimenter l’hostilité envers l’islam et les musulmans. Rappelons que l’enquête est toujours en cours et que personne n’en connaît l’issue.

Un an après, un temps d’arrêt est plus que nécessaire afin de soutenir les veuves, les orphelins, les proches des défunts, et de rendre un dernier hommage, dans le recueillement et la sérénité, à nos concitoyens Ibrahim Barry, Mamadou Tanou Barry, Khaled Belkacemi, Abdelkrim Hassane, Azzeddine Soufiane et Aboubaker Thabti.

 

Occasion de rapprochement

Un tel moment de recueillement peut être une excellente occasion de rapprochement entre Québécoises et Québécois de toutes origines. Mais cela ne peut se faire que si l’on mise sur des valeurs citoyennes rassembleuses, et non pas sur des identités religieuses réductrices et polarisantes.

Malheureusement, l’instrumentalisation de la tragédie à des fins idéologiques et de promotion d’un certain islam n’a échappé à personne, et ce, dès le lendemain de la tuerie. Zahra Boukersi, proche parente d’Abdelkrim Hassane, victime de l’attentat, dénonce la mainmise d’imams et d’intervenants communautaires sur l’organisation de la cérémonie officielle des funérailles. Beaucoup de musulmans ne se sont pas reconnus dans cette cérémonie loin des traditions et de la sobriété qu’impose leur religion dans de telles circonstances. En guise d’oraison funéraire et d’hommage aux victimes, c’est bien plus d’un islam ostentatoire et politisé et de doléances d’une prétendue communauté musulmane qu’il a été question.

Et c’est bien d’islam et d’islamophobie que l’on s’apprête à nous entretenir un an plus tard. Dans le cadre des commémorations, le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV) organise un colloque intitulé « Pour le vivre-ensemble avec nos différences » qui rassemble principalement des intervenants d’associations à référent islamique. « Nous allons discuter sur ce qu’est l’islam », selon les mots mêmes de Boufeldja Benabdallah, cofondateur du Centre culturel islamique de Québec. Et pour parler d’islam, le colloque donnera la parole, en particulier, à des « spécialistes » recommandés par l’ambassade du Canada en Algérie. Quel message veut-on lancer à la société québécoise en envoyant des experts venus d’un pays étranger ? D’autant plus que l’Algérie, dont le gouvernement ne parvient pas à endiguer la salafisation de sa société, n’est pas une référence en matière de vivre-ensemble.

Et comment ne pas se questionner sur les méthodes du CPRMV, qui privilégie la parole de religieux plutôt que celle d’organisations citoyennes représentatives des différents groupes sociaux du Québec, pour favoriser le vivre-ensemble ?

 

Les dérapages d’un discours normatif

Tout au long de l’année, des imams et des « leaders » autoproclamés des musulmans ont contribué à cristalliser une image provocatrice de l’islam. Le comble de la provocation a été la campagne menée contre l’article de loi réglementant l’offre et la prestation de service à visage découvert (article 10 du PL62). Le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC), celui-là même qui réclame l’instauration d’une journée officielle contre l’islamophobie, porte plainte contre le gouvernement du Québec pour réclamer le droit de porter le niqab en tout temps. Pourtant, ce symbole de réclusion des femmes est bien plus lié à l’idéologie salafiste qu’il est un signe religieux, étant même interdit lors du pèlerinage à la Mecque.

S’alliant au mouvement de contestation, des intellectuels et des groupes d’une certaine gauche montent aux barricades pour accuser d’islamophobie tous ceux qui s’expriment contre le niqab, et plus largement contre tous ceux qui soutiennent la laïcité au Québec et résistent à l’ingérence des règles religieuses dans notre société.

Nous sommes outrés que des élites de la société, des universitaires, des intellectuels participent à jeter l’anathème sur des citoyens. Nous-mêmes, Québécoises et Québécois de culture musulmane qui ne correspondent pas à leur vision transmise de l’islam, sommes accusés d’islamophobie. Ces personnes éduquées sont-elles conscientes qu’en Égypte, en Algérie et dans bien des pays musulmans dont les populations ont souffert et souffrent encore des exactions islamistes, des personnes sont persécutées pour des accusations d’offense à la religion et d’apostasie ? Ces intellectuels, en accusant des musulmans du Québec d’islamophobie, usent d’intimidation à leur égard et les mettent en danger, eux et leurs familles restées au pays.

Il est temps de mettre fin à ce tapage dangereux en évitant d’exacerber des tensions qui n’ont pas lieu d’être. La dernière chose dont nous avons besoin au Québec, c’est de sermons sur l’islam et l’islamophobie. Dans ce contexte, nous saluons la sage décision des premiers ministres du Canada et du Québec de ne pas donner suite à la demande d’une journée contre l’islamophobie et de privilégier une journée de commémoration et de recueillement à la mémoire des victimes. Ce n’est pas à travers des appartenances religieuses, mais bien en tant que citoyens attachés au Québec que nous pouvons favoriser le rapprochement et la cohésion sociale.