Un aut’point de vue du mouvement des femmes

2018/01/26 | Par Pierre Dubuc

La campagne « #MoiAussi » a remis à l’avant-scène la question des femmes et, par voie de conséquence, la recherche de l’organisation la plus représentative aujourd’hui du mouvement des femmes au Québec. Traditionnellement, il n’y avait pas de problèmes, la Fédération des femmes du Québec (FFQ), créée par Thérèse Casgrain en 1966, s’imposait comme la voix des femmes au Québec.

Cependant, des dissensions sur des dossiers majeurs (laïcité, port du voile, prostitution, genre ou sexe, intersectionnalité) ont polarisé les débats jusqu’au schisme. C’est ainsi qu’un groupe de militantes ont quitté la FFQ et publié à l’occasion du 8 mars 2013 un Manifeste intitulé « Halte aux attaques contre les droits des femmes ». Quelques mois plus tard, elles fondaient un nouvel organisme, Pour les droits des femmes (PDF Québec). Au mois d’octobre dernier, elles publiaient, sous la plume de Andrée Yanacopoulo, en collaboration avec Diane Guilbault et Michèle Sirois, un livre intitulé « Pour les droits des femmes » (Boréal).

Nous avons rencontré Diane Guilbault, la présidente nouvellement élue de PDF Québec. Sociologue de formation, ayant fait carrière dans la fonction publique québécoise (aux Affaires culturelles, aux Droits de la jeunesse, au Statut de la femme et à l’INESSS), Diane souligne d’entrée de jeu, reprenant les mots du Manifeste de 2013, que « l’oppression des femmes est spécifique, globale et universelle ».

Pourquoi brandir cette affirmation qui semble aller de soi? Parce qu’elle est remise en question par une nouvelle théorie, l’intersectionnalité, élaborée par la juriste américaine Kimberlé Crenshaw. Par « intersectionnalité », il faut comprendre la superposition chez une même femme de diverses oppressions dont elle souffre non seulement parce qu’elle est femme, mais aussi parce qu’elle est noire, pauvre, handicapée, ce qui ferait en sorte que l’analyse féministe « classique » serait inadéquate.

Quand je fais remarquer à Diane Guilbault que, depuis la lutte pour l’équité salariale, les grands médias aient réduit le féminisme à la revendication de parité aux conseils d’administration des entreprises et aux institutions politiques, le mouvement féministe québécois n’a jamais, historiquement, nié la superposition de ces différentes oppressions, elle me répond : « Là est une partie du problème. Je pose la question à ces féministes intersectionnelles: quelles sont vos références? Elles n’en ont pas. Elles n’ont plus de regard historique. C’est même le cas de profs à l’université. Elles procèdent à une réécriture de l’Histoire. Elles font comme si nous défendions uniquement des femmes blanches. Que dire des luttes pour l’avortement, l’accès au travail, les congés parentaux, l’équité salariale, les CPE, etc.? Est-ce que cela concernait uniquement les femmes blanches? »

Mais il y a plus. PDF Québec souligne les contradictions dans l’approche intersectionnelle. « Ses partisanes se prononcent pour le droit à l’instruction mais, une fois éduquées, les femmes passeraient dans le camp des oppresseurs !?! Elles sont pour la légalisation de la prostitution, alors qu’on sait que, partout où elle a été instaurée, elle a mené à une augmentation du trafic des femmes et des enfants, au seul profit des proxénètes et des trafiquants. Il y a même une représentante des ‘‘ travailleuses du sexe ’’ de Stella au conseil d’administration de la FFQ! Elles sont pour les mères porteuses, alors qu’il n’y a pas pire discrimination. Ce sont les femmes de couleur, pauvres, opprimées qui portent les bébés vendus à des couples riches ! Quand voit-on une femme de Westmount porter un bébé pour une femme de Saint-Henri ? »

Une même dérive est patente sur la question des groupes ethnoculturels dont la définition a été étendue à certaines religions pour y inclure des femmes voilées, alors que le voile ne peut en aucun cas être considéré comme un symbole ethnique.  « La FFQ, rappelle-t-elle, s’était prononcée en 2010 contre l’interdiction du port du niqab ou de la burka dans les garderies en milieu familial, avant de se raviser devant le tollé qu’avait suscité sa position. Elle n’a pas voulu non plus dénoncer les agressions à Cologne sous prétexte que les agresseurs étaient des opprimés et que les femmes blanches étaient dans le camp des oppresseurs. Avec qui est-on solidaire, finalement ? »

L’identité de genre est un nouveau terrain d’affrontements. Alors que les grands médias légitiment le fait qu’on puisse « changer de sexe » à sa guise, le regroupement PDF Québec s’inquiète et remet en question le fait qu’un tel changement sociétal puisse survenir sans véritable débat.

« On a glissé de la notion d’orientation sexuelle à celle de l’identité de genre. Du sexe au genre. De la biologie à la sociologie. Des hommes – à savoir les transgenres qui, contrairement aux transsexuels n’ont pas subi d’opération – peuvent faire partie d’associations ou recevoir des services autrefois réservés aux femmes. » Diane attire notre attention sur trois domaines en particulier : les prisons, les sports et les toilettes.

« Des hommes peuvent demander leur transfert dans des prisons de femmes. Des athlètes masculins peuvent compétitionner avec des femmes. C’est le cas de l’haltérophile transgenre néo-zélandais à qui on a accordé le droit de représenter toutes les femmes de son pays à une compétition internationale féminine. Sans surprise, il a écrasé toutes ses concurrentes ! Dans les écoles de la CSDM, les élèves peuvent aller dans les toilettes du sexe auquel ils s’identifient. Ce sont des revendications historiques des femmes qui sont remises en cause, et cela sans débat », s’insurge Diane.

Tout cela est possible parce que le gouvernement du Québec, par le projet de loi 35, sanctionné en décembre 2013, a modifié le Code civil « en matière d’état civil, de succession et de publicité des lois » pour faciliter le changement de mention de sexe. La loi exigeait une intervention chirurgicale, un délai de deux ans et une lettre d’un professionnel de la santé pour l’acceptation de la requête de changement de sexe.  En 2015, cédant aux pressions des transgenres, la ministre Stéphanie Vallée supprimait ces conditions et, depuis le 1er octobre 2016, la seule exigence est de produire des déclarations assermentées, faites par le demandeur et par une personne qui le connaît depuis au moins un an. Puis, en 2016, la Charte québécoise des droits et libertés a été modifiée pour inclure l’identité de genre et l’expression de genre dans les motifs interdits de discrimination, sans les définir.  En 2017, le fédéral faisait de même avec la Loi canadienne des droits de la personne. Et tout cela, sans examiner les effets de ces changements sur les droits des femmes.

« Auparavant, on luttait contre les stéréotypes en affirmant qu’un garçon puisse jouer avec des poupées et une fille avec des camions. Aujourd’hui, on les incite à changer de ‘‘genre’’. C’est possible dès l’âge de 14 ans!  Le garçon ou l’homme se présente alors en empruntant l’image toute faite de LA femme (cheveux longs, maquillage, robe, boucles d’oreilles, talons hauts, etc.). Bref, en un stéréotype de la femme! Tout cela pour le plus grand bénéfice des compagnies pharmaceutiques qui vont leur vendre des bloqueurs de puberté, puis des hormones toute leur vie durant. »

La pénétration d’hommes non féministes dans le mouvement des femmes s’est faite par l’entremise de l’idéologie queer, avec le passage de la dénomination « gays et lesbiennes » à LGBT où la lettre importante est le « T » pour transgenres. Pas étonnant que la nouvelle présidente de la FFQ, Gabrielle Bouchard, soit une transgenre.

Enfin, il n’est pas facile de critiquer ce changement de paradigme. Les médias présentent le tout comme étant « cool ». À preuve, la présence sympathique de transgenres à l’émission de grande écoute Tout le monde en parle et dans les chroniques d’un Patrick Lagacé.

Au cours des prochains mois, PDF Québec veut publier un outil pour les groupes de femmes et les journalistes. « Nous voulons documenter les reculs subis par les femmes et remettre les droits des femmes à l’ordre du jour », conclut Diane Guilbault. PDF Québec compte environ 400 membres, dont 15 % d’hommes. Ces derniers n’ont cependant pas le droit de vote et ne peuvent être membres du conseil d’administration. On peut adhérer à PDF Québec en se rendant sur leur site Internet (www.pdfquebec.org).