Patrick Lagacé et son enfant-Roi

2018/02/08 | Par Pierre Dubuc

Dans sa chronique du 6 février 2018 du journal La Presse, Patrick Lagacé revient sur sa décision de parent d’avoir inscrit son enfant à l’école privée. Nous ne questionnons pas ce choix personnel. Il est vrai que l’école publique a si mauvaise réputation, souvent à tort, qu’un parent peut être amené à penser qu’il est préférable que son enfant, compte tenu de ses difficultés d’apprentissage ou de quelque autre raison, soit inscrit à l’école privée.

Par contre, il est complètement aberrant qu’un chroniqueur chevronné comme Patrick Lagacé analyse notre système d’éducation, condamne l’école publique et se porte à la défense des généreuses subventions à l’école privée à partir de son expérience personnelle. Il fait penser à ces parents d’un enfant-Roi, qui débarquent un jour dans une école et demandent de la restructurer complètement en fonction des besoins, réels ou présumés, de leur progéniture.

 

Comment noyer le poisson

Lagacé nous dit se sentir « comme le gars qui a un genou en charpie et qui devra attendre 18 mois pour être opéré au public. Bien sûr que je vais payer 10 000 $ pour être opéré maintenant… »

Est-ce que cela signifie que « le gars » en question va, pour autant, se mettre à défendre la privatisation du réseau de la santé? Non. Patrick Lagacé, lui, si on suit la logique de son argumentaire : Oui!

Par la suite, Lagacé s’emploie à noyer le poisson. Il nous assure que ce qu’il a appris, au cours « des dernières années, à écouter des enseignants, des parents, des directrices d’école, des représentants syndicaux et des experts en éducation, c’est qu’il n’y a pas UNE mesure miracle qui va transformer nos écoles ».

Il enchaîne en mentionnant « cet ensemble de mesures interconnectées qui vont s’additionner et se compléter » : la maternelle 4 ans, la lecture dès le plus jeune âge, le dépistage hyper-précoce, l’ordre professionnel pour les enseignants, l’ajout de professionnels, des meilleures conditions de travail pour les profs, un financement adéquat ».

Si on comprend bien, parmi toutes les mesures, il y en a UNE qu’il ne retient pas : l’abolition des subventions publiques aux écoles privées. À croire qu’il n’a écouté que des enseignants, des parents, des directrices d’école, des représentants syndicaux émanant du secteur privé.

Chose certaine, il feint d’ignorer le Rapport du Conseil supérieur de l’éducation, publié en septembre 2016, qui faisait résonner la sonnette d’alarme en déclarant que « notre système scolaire, de plus en plus ségrégé, court le risque d’atteindre un point de bascule et de reculer sur l’équité ».

Bien sûr qu’il n’y a pas qu’UNE mesure à retenir, mais il y en a UNE, selon le Conseil supérieur de l’éducation, qui est plus structurante que les autres, une « qui va transformer nos écoles » : l’abolition des subventions aux écoles privées et le rapatriement de la grande majorité de ces élèves dans le réseau public.

Lagacé écrit que « l’école est un instrument de libération. C’est vrai pour les individus, c’est vrai pour les peuples ». Lagacé plaide pour la « liberté » des individus (qui peuvent fréquenter l’école privée et qui proviennent des couches supérieures de la société); le Conseil supérieur y va d’un plaidoyer pour la véritable libération du peuple.

 

L’ami des libéraux…

Lagacé poursuit en se faisant la brosse à reluire des souliers du ministre Sébastien Proulx, dont il nous dit qu’il « mène actuellement les bons combats pour semer les germes d’une transformation durable de l’école québécoise »!!! Wow ! Belle victoire de la poudre aux yeux.

Il continue en exprimant sa méfiance pour la « pensée magique » et sa « baguette » que « les politiciens brandissent de temps à autre en promettant de régler des problèmes complexes ».

Quels politiciens brandissent aujourd’hui la « pensée magique » de l’abolition des subventions publiques aux écoles privées? Sûrement pas le Parti libéral et le ministre Proulx qui « mène les bons combats ». Pas non plus la CAQ. Ni le PQ. Non l’objet de sa « méfiance » est Québec solidaire qui en fait « sa première promesse électorale », comme il le rapporte au début de son article.

La « pensée magique » serait de croire que QS peut prendre le pouvoir à la prochaine élection et réaliser cette promesse électorale.  Pourquoi alors s’énerver autant? Peut-être parce qu’on craint le ras-le-bol et la réaction éventuelle des familles québécoises de ce 80% d’enfants qui  fréquentent l’école publique et qui sont « tannés » de payer à hauteur de 79% pour les privilèges des enfants – comme celui de Patrick Lagacé – qui ont été sélectionnés par l’école privée.

 

de ses patrons et de la police

Dans une entrevue à l’émission Medium Large de Catherine Perrin, Patrick Lagacé nous prévenait qu’il ne ferait plus de reportages sur la police et se concentrerait sur le « human interest ». La raison invoquée? Ses articles sur la police, qui lui ont valu d’être placé sous écoute policière, suscitaient peu d’intérêt de son lectorat. À preuve, le peu de courriels de commentaires reçus.

Drôle d’argument! Est-ce qu’un journaliste doit choisir ses sujets en fonction de l’intérêt public ou de leur popularité auprès de ses lecteurs? Dans ce dernier cas, nous conseillons à Patrick Lagacé de n’écrire que sur les musulmans. Nous lui garantissons une abondance de réactions. La défense de l’école privée est aussi un bon sujet. Cette réorientation de sa carrière de chroniqueur a tout pour plaire à ses patrons et à la police et lui éviter, à l’avenir, d’être mis sous écoute.