Le temps est venu d’obtenir l’équité

2018/03/08 | Par Isabelle Doré

Le collectif Femmes en scène a été rendu possible grâce aux Femmes pour l’équité en théâtre (F.É.T.), un regroupement de plus de 200 femmes de théâtre. Le 3 novembre 2016, mon logiciel Messenger s’est mis à sonnailler, une fois, deux fois… il a fait ça toute la journée. Le fil de discussion avait été initié par une Marilyn Perreault indignée après la lecture d’un communiqué pour le moins urticant qui dévoilait le nom des finalistes au Prix Michel-Tremblay —décerné par le Centre des auteurs dramatiques et le Conseil des arts et des lettres du Québec. Le communiqué soulignait le fait qu’au cours des sept années antérieures, une seule femme, Jennifer Tremblay, s’était méritée le prix en 2010 et encore, ex aequo avec un auteur masculin ; les sept autres lauréats étaient des hommes.

Marilyn ponctuait son exaspération en questionnant ses destinataires : Trouvez-vous ça normal ? Les interpelées ont vite convenu qu’il fallait se réunir, et le 20 novembre 2016, nous étions près d’une cinquantaine assises en cercle, au Théâtre Aux Écuries qui nous avait ouvert ses portes. L’assemblée était agréablement diversifiée non seulement parce qu’elle réunissait des femmes de plusieurs origines, mais aussi parce que quatre générations y étaient représentées. C’était en quelque sorte un safe space où nous avons partagé nos expériences.

Évidemment, il fut question d’équité. Or, chaque fois qu’on parle d’équité, disons depuis les années 70, je nous entends tergiverser : nous qui voulons être reconnues comme auteures pour la qualité de notre travail plutôt que par égard à notre sexe. Ce malaise a resurgi ce soir-là, mais la majorité des femmes avaient atteint la limite de leur patience. La quête de l’équité en théâtre s’est donc imposée comme cheval de bataille du regroupement, et nos complaintes se sont vite transformées en chanson de geste. Oui, il fallait agir pour sensibiliser nos partenaires et travailler sur plusieurs fronts : établir un dialogue avec les institutions (Conseil des arts et des lettres du Québec, Conseil des arts du Canada, Conseil des arts de Montréal, etc.) ; collecter les statistiques des programmations théâtrales pour dresser l’état des lieux ; rencontrer les directrices et directeurs artistiques des théâtres, les étudiantes et étudiants dans les écoles de théâtre…

J’étais médusée devant la détermination, la sensibilité et l’intelligence de ces femmes. À la toute fin, j’ai pris la parole pour lancer un cri du cœur : J’aurais envie de toutes vous interviewer pour vous montrer au monde ! Ça m’est sorti comme ça. Je savais bien que même la femme forte de l’Évangile n’aurait pu relever un tel défi. Mais la nuit suivante, j’ai rêvé à un jeu auquel on pourrait s’inscrire sur une base volontaire. La banque de noms des participantes serait soumise au logiciel name picker pour créer des binômes : chaque femme inscrite irait en interviewer une autre et allait elle-même être interviewée par une tierce. Julie Vincent a dès lors communiqué avec l’éditrice de la Pleine Lune, Marie-Madeleine Raoult, à qui j’allais bientôt proposer le projet. J’avais l’impression de faire partie d’un girl’s club. Ne pas ramer pour convaincre quelqu’un de l’importance d’une cause, simplement se laisser porter, ça m’a fait un bien énorme !

L’aventure ne faisait que commencer. Quelques désistements n’ont pas tardé à ébranler notre château de cartes. Des femmes de théâtre, ça bosse, ça voyage, ça prépare des premières, ça pousse plusieurs projets en même temps pour s’assurer que l’un d’eux fonctionne. Ce sont des femmes occupées et à horaire variable. Quelques-uns de nos binômes ont été défaits et refaits, ce qui explique que certaines femmes ont réalisé plus d’une entrevue dans cet ouvrage. Heureusement, un esprit d’ouverture animait notre comité responsable composé de Marie Ouellet, Anne-Marie Cousineau, Louise Bombardier et moi-même, sans compter le support indéfectible de notre formidable éditrice.

Au cours des réunions des F.É.T., les femmes se sont questionnées sur l’appellation à adopter entre « auteure » ou « autrice ». Chère lectrice, cher lecteur, je vois d’ici vos sourcils s’élever en accents circonflexes devant « autrice », alors qu’« auteure » est à peine gagné ! Mais sachez qu’autrice existait bien avant auteure —une invention toute récente— jusqu’à ce que l’Académie française, au XVIIe siècle, le chasse du vocabulaire pour plaire à ceux qui voulaient tenir la plume, seuls entre mâles. Nos avis sont très partagés à ce sujet, seul l’usage, dans l’avenir, tranchera. En attendant, dans ce recueil intitulé Femmes en scène, vous rencontrerez les  deux termes.

Oui. Vint enfin le temps de recueillir les textes. Un à un, ils nous confirmaient que le projet avait provoqué de nouvelles rencontres entre praticiennes qui ne se connaissaient pas ou peu. Elles s’étaient données rendez-vous dans des cafés, chez l’une ou chez l’autre, au parc… Nous lisions à mesure les préoccupations partagées par toutes ces femmes, la confiance mutuelle qui les avait portées à s’ouvrir à l’autre sur leur métier, sur la condition féminine, sur la vie, le soleil et la petite qui va bientôt se réveiller. Nous étions charmées par la diversité des styles : la posture journalistique, la poésie, la BD, le récit, le collage…

Je me souviens de ma mère qui, lorsqu’elle trouvait réponse à nos questions, ou solution à nos problèmes, disait, non sans fierté : « Une mère ! » À chacun des textes que nous recevions, je pensais, non sans admiration : « Une femme ! » Aujourd’hui, nous sommes ravies de vous présenter Femmes en scène en toute simplicité, et nous souhaitons ce plaisir partagé.

Avant-propos du recueil Femmes en scène.