Cultiver l’enseignement des arts au Québec

2018/03/23 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est professeur honoraire au département de musique de l’UQAM

Organisé par les Facultés des Sciences de l’Éducation et des Arts de l’UQAM, le colloque des 50 ans du rapport Rioux a attiré au Musée des Beaux-Arts de Montréal trois cents enseignants des arts, la plupart de moins de quarante ans. Quelle belle surprise de découvrir, malgré les épreuves des coupures d’austérité néo-libérale, ces jeunes vivement allumés,  tels que l’article[1] de Pierre Dubuc nous les avait présentés, syndiqués combatifs mais parfois totalement découragés par le manque de soutien administratif et gouvernemental. Mais au rendez-vous toute la journée du 16 mars 2018, accueillis par les discours protocolaires de la rectrice Magda Fusaro, de la doyenne Monique Brodeur et du doyen Jean-Christian Pleau de l’UQAM, ils ont rempli l’auditorium Maxwell-Cummings du Musée où avait eu lieu le forum le pouvoir des arts, un mois auparavant[2].

Les deux co-présidents d’honneur, Louise Sicorro et Marcel Fournier, ont ensuite plaidé pour une culture d’empathie et de solidarité substituant à l’économisme le salut par l’imaginaire, plus important que la connaissance - dixit Albert Einstein. Un vibrant discours de la directrice du Musée, Nathalie Bondil, n’a pas hésité à tancer les ministres Hélène David, Marie Montpetit et Sébastien Proulx pour leur absence, représentative de la vision artistique évacuée du récent ouvrage du ministre de l’Éducation Un Québec libre est un Québec qui sait lire et écrire. Même le projet LAB-école, à part les belles idées d’architecture mises de l’avant par Pierre Thibault, occulte l’animation des autres arts en faisant, à la manière de nos médias, une place disproportionnée aux sports (Pierre Lavoie) et aux projets rentables d’arts de la table (Ricardo Larrivée).

Suivit une dynamique présentation de l’extraordinaire volet ÉducArt que j’invite chaque lecteur, lectrice à visiter sur son site web interactif, groupant les efforts d’écoles des 17 régions administratives du Québec, enfin un projet décentralisé et non élitiste!

Sous la direction éclairée du professeur de musique Vincent Bouchard-Valentine, l’UQAM a distribué en après-midi les congressistes par vingtaines de participants en douze ateliers consacrés à diverses thématiques. Présent à celui de l’inter-culturalité, j’ai admiré la verve et le vécu anticolonialistes des autochtones Yves Sioui Durand et Nadine St-Louis, révélant leurs vocations enthousiastes de passeurs. Les directives souples de la professeure d’histoire de l’art, Édith Anne Pageot, animèrent la rencontre qu’on peut résumer comme un vaste plaidoyer en faveur de l’intelligence relationnelle, alors que l’intelligence artificielle prend trop de place. L’enseignante de musique Chloé Hamel nous a fait part du défi représenté par la coexistence de 99 nationalités en son collège!

Le moment que je redoutais le plus fut la présentation en 75 minutes du rapport Rioux par l’ancien recteur Claude Corbo, affronté en 2012 lors du Printemps érable avec nos étudiantEs et nos Artistes pour la Paix. Car pour moi ce rapport, essentiel complément au rapport Parent (1961-66), suivant de 20 ans le fondamental Refus global, accompagna la naissance des Cégeps (1967) et des Universités du Québec (1968). Abondamment commenté par mon ami mélomane Fernand Ouellette, qui en assura l’écriture en y apportant sa touche poétique, une partie de la tâche du poète national fut d’y transcrire la fougue du sociologue Rioux, qui croyait passionnément à un socialisme humaniste, bref à la vie dans une société post-industrielle que les arts enrichiraient et rendraient plus libre.

Or Claude Corbo, au contraire du rôle ingrat qu’il avait joué comme recteur, s’est avéré un conférencier ouvert, capable d’humour et surtout vulgarisateur émérite, grâce à des diapositives et un plan aussi clairs que son propos de philosophe-historien. Il a rappelé la démission du tout premier ministre des Affaires culturelles, Georges-Émile Lapalme, découragé devant l’incompréhension béotienne de ses collègues; et cette démission augurait fort mal du succès d’une Commission des arts que le gouvernement Lesage n’avait autorisée que pour empêcher les manifs étudiantes des Beaux-Arts de compromettre sa réélection. D’autre part, l’élitiste Conservatoire de Musique créé en 1941 et les écoles d’architecture intégrées aux universités dès 1964 résistaient à la redéfinition d’un art plus démocratique et plus proche du peuple, telle que voulue par Rioux et combattue même par son propre vice-président Jean Deslauriers, que l’Union Nationale forte de sa victoire surprise de 1966 tint à rajouter comme commissaire. S’il sut émettre des critiques nuancées du rapport en 2 volumes, 700 pages et 368 recommandations, Corbo en général en salua la belle ambition, empruntant des accents lyriques à souhait pour décrire cette aventure.

Car même de nos jours, nos écoles, très loin de ressembler à l’utopie cinquantenaire de Marcel Rioux, sacrifient trop souvent les arts aux finalités utilitaires, économiques et technologiques qui finissent par y appauvrir la vie humaine et artistique. Corbo se permit même de dénoncer le dicton trahissant un matérialisme sociétal qui s’instruit s’enrichit  et fut ovationné par un auditoire enthousiaste. On y trouvait des spécialistes de l’audio-visuel et de cinéma absents du rapport, des professeures de lettres telle Isabelle Miron partisane de l’Élan Global, le professeur en théâtre Yves Jubinville et les professeures en danse Marie Beaulieu et Andrée Martin, regroupées autour de leur directrice de module Sylvie Genest, collègue musicienne avec qui j’ai pu partager mes naïves réflexions sur l’art de la danse combattu pendant un siècle par les prudes cléricalistes au pouvoir.

Notre société a encore un vif besoin du rapport Rioux.

 

[1] L’Aut’Journal de février (no 366, page 9), l’éditorial intitulé Pourquoi les profs décrochent.

[2] Voir un compte-rendu des trois jours de ce forum illustrant les arts comme « armes de paix », selon l’expression de Jean-Daniel Lafond, directeur de la Fondation Michaëlle-Jean :

https://pugwashgroup.ca/fr/le-pouvoir-des-arts-trois-jours-memorables/