Un Québec libre est un Québec qui sait LIRE et ÉCRIRE… avec un ministre qui sait COMPTER

2018/03/26 | Par Pierre Dubuc

Le ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport Sébastien Proulx a profité de la période des Fêtes pour rédiger « d’un trait », nous dit-il, un petit livre de 136 pages intitulé Un Québec libre est un Québec qui sait LIRE et ÉCRIRE (Septentrion). Pour une raison inexpliquée – mais qui n’a rien à voir avec la tenue prochaine d’élections, nous assure-t-il (sic!) – le ministre n’a pu résister, entre la dinde et la tourtière, à ce qui « était devenu pour (lui) une impérieuse nécessité » : exposer sa « vision » de l’éducation.

Étonnamment, plus de la moitié du livre est consacrée à l’importance de la culture générale et de la lecture. Dans ces pages, le ministre tient à faire la démonstration qu’il a des « lettres » et une « passion » pour l’histoire. Aurait-il voulu corriger l’image d’un passé adéquiste-caquiste populiste, qui lui colle à la peau, qu’il n’aurait pas procédé autrement.

Difficile, en effet, pour un ministre qui se fait surtout photographier avec des élèves du primaire de s’élever au statut d’intellectuel que requiert son poste de ministre de l’Éducation. D’autant plus que, laïcité oblige, il ne peut se vanter d’avoir entrepris ses études au Séminaire Saint-Joseph de Trois-Rivières.

Qu’à cela ne tienne, ses héros – habilement choisis parmi les trois composantes de l’identité québécoise – sont Napoléon, Churchill et Lincoln, une façon subliminale de laisser entendre qu’il pourrait être un candidat à la succession de Philippe Couillard, advenant une défaite libérale lors du prochain scrutin.

À part son autopromotion, que nous révèle les propos du ministre sur l’éducation? Rien de très révolutionnaire, malgré ses prétentions contraires. Dans la première partie du livre, consacrée à la reconnaissance des responsabilités de tous, il parle de la nécessité de développer « le goût de l’effort » chez les jeunes, de « l’obligation » qu’ont les parents de soutenir leurs enfants et de la nécessaire « valorisation » de la profession enseignante. Nous reviendrons sur ce dernier point.

 

À la défense de l’école privée

Dans une deuxième partie, il nous invite à la reconnaissance du rôle des institutions. Quatorze pages sont consacrées aux bâtiments scolaires (Lab-école, etc.) et sept autres à des banalités sur les commissions scolaires et le ministère de l’Éducation.

La pièce de résistance de cette partie est le rejet – sans jamais le nommer – du Rapport du Conseil supérieur de l’éducation sur l’état et les besoins de l’éducation (2014-2016), qui soutient qu’avec 20 % des élèves au secondaire inscrits dans une école privée et un autre 20 % dans des projets particuliers sélectifs dans le réseau public, « notre système scolaire, de plus en plus ségrégé, court le risque d’atteindre un point de bascule et de reculer sur l’équité ».

Sans apporter aucun argument de fond, le ministre réfute le terme de « ségrégation scolaire » et refuse de considérer que « l’école québécoise soit inégalitaire ». Pourtant, le Rapport est clair; il établit un lien direct entre la classe sociale de provenance des élèves et l’accès aux projets particuliers sélectifs et à l’école privée.

Le ministre Proulx se retranche derrière deux arguments classiques pour s’opposer à la fin du financement public des écoles privées. « La liberté de choisir des parents reste une référence incontournable », écrit celui qui a obtenu son diplôme d’études collégiales au Collège Laflèche, seul établissement collégial privé en Mauricie et au Centre-du-Québec. Une « liberté de choix » réservé aux mieux nantis et financé par l’ensemble de la collectivité.

Son deuxième argument est d’ordre économique : « L’effet négatif sur les finances publiques » du retour des élèves du privé au public. Un argument contestable, dépendamment de la méthode de calcul employée, et irrecevable si on considère l’effet positif que représenterait la constitution de classes homogènes à l’école publique.

 

Et les responsables sont…

Une fois éliminée la cause première des déficiences du réseau de l’éducation, le ministre sort de son cartable une vieille recette éprouvée : pointer du doigt les enseignantes et les enseignants. Il consacre beaucoup moins de pages à la profession enseignante qu’au béton du Lab-école, mais elles sont hautement signifiantes. Pour « valoriser la profession d’enseignant », le ministre Proulx, qui n’est détenteur que d’un bac en droit, envisage « la possibilité d’offrir une formation initiale menant à un diplôme de deuxième cycle » et la mise en place d’un « cadre normatif qui encadre le développement professionnel et qui exige, annuellement, un certain nombre de jours de formation continue ».

Il dit s’inspirer de « la Finlande, un État auquel nous aimons nous référer », écrit-il, sauf, bien entendu, lorsqu’on lui souligne que la Finlande ne finance pas les écoles privées.

À la formation initiale et continue, s’ajoute forcément l’évaluation des enseignants et réapparaît comme par enchantement la création d’un ordre professionnel !

Le ministre appelle « à une révolution, pour passer à une valorisation au point de sélectionner l’élite pour occuper l’emploi le plus important dans une société ».

Et qui, aux yeux du ministre, va entraver cette « révolution »? Bien évidemment, les syndicats, ces « tenants du statu quo », qui vont s’opposer à ceux qui, comme le ministre, proposent une « vision » : « Ils lèvent le ton. Ils dénoncent l’idée, la proposition. Ils nient les faits par peur de devoir changer quoi que ce soit. Nous sommes là, à la frontière du corporatisme ». Mais les syndicats peuvent éviter de sombrer dans l’abîme en acceptant l’invitation du ministre à « sortir du cadre actuel de négociations », « à plus de conversations franches et ouvertes » mais, précise-t-il, « sans la présence du Conseil du trésor ».

 

Réplique

À notre connaissance, les syndicats d’enseignants n’ont jamais refusé les propositions de « conversations franches et ouvertes » avec le ministre. Par exemple, ils sont d’accord avec le ministre sur le fait que « la période la plus déterminante de la vie d’une personne est bien la petite enfance ». C’est pourquoi ils revendiquent la présence de classes de maternelle 4 ans en milieux défavorisés, tout en élargissant leur accès au plus grand nombre.

Ils partagent également la même philosophie sur l’importance de la culture générale. Ils en ont même une conception si large et pratique qu’ils revendiquent d’axer la formation professionnelle sur l’apprentissage d’un métier et non sur les besoins pointus et du moment de l’entreprise.

Bien sûr, tout le personnel de l’éducation croit également que « nos enfants ont le droit de fréquenter de belles écoles ». Il demande simplement que, pour leur construction ou leur rénovation, le personnel enseignant, professionnel et de soutien (le grand oublié du livre du ministre) soient consultés.

Par contre, le désaccord est complet avec les syndicats sur la question du financement des écoles privées. Si le ministre relit le Rapport du Conseil supérieur de l’éducation, avec un peu d’ouverture d’esprit et quelques notions de mathématiques, il réalisera que cette situation est, en grande partie, responsable de la présence de 20 % d’élèves HDAA et du taux scandaleux de décrochage scolaire, un phénomène majeur absent totalement de sa réflexion.

Le désaccord est aussi connu aussi sur la création d’un ordre professionnel. À propos de la valorisation de la profession enseignante, il est clair que le personnel enseignant ne se contentera pas de l’Ordre de l’excellence en éducation, une nouvelle décoration dont le ministre vante la création dans sa plaquette, même « si elle s’inspire des Palmes académiques françaises créées en 1808 » par son héros, Napoléon 1er.

Il aurait été plus à propos que le ministre présente des solutions à la précarité au travail, qui touche 40 % des membres du personnel enseignant et une majorité du personnel de soutien.

Une autre façon de revaloriser la profession enseignante, ignorée par le ministre, est le rattrapage salarial du personnel enseignant, inférieur d’environ 10 000 $ à la moyenne canadienne.

De façon plus générale, il aurait été intéressant que le ministre documente et commente les conséquences catastrophiques du milliard de dollars de compressions en éducation de son gouvernement au cours des dernières années et nous informe des correctifs qu’il compte apporter.

Compte tenu de ce qui précède, il s’avère que, contrairement aux vœux du ministre, des « conversations franches et ouvertes » avec les syndicats enseignants ne peuvent se tenir sans la présence du Conseil du Trésor! D’accord pour « un Québec libre qui LIRE et ÉCRIRE », mais qui sait aussi COMPTER !