Bannir les véhicules à combustion : pourquoi pas au Québec ?

2018/04/05 | Par IREC

Extraits de la Fiche technique numéro 16 de l’IRÉC, disponible en ligne : http://www.irec.net/index.jsp?p=131

En juillet de l’an dernier, la France et la Grande-Bretagne ont fait les manchettes de l’actualité en annonçant, à quelques jours d’intervalle, leurs engagements à bannir les véhicules à combustion interne (VCI) du marché des véhicules neufs, à l’horizon de 2040. Ces pays n’étaient pas les premiers à s’engager dans cette voie puisque la Norvège et les Pays-Bas les avaient précédés en prenant un tel engagement sur un horizon encore moins éloigné (2025 dans le cas de la Norvège). Néanmoins, un tel engagement de la part de deux des plus grandes économies du monde (5e et 6e selon les classements actuels), de surcroît des économies où se trouvent de puissants lobbys du secteur automobile, cela représente certainement un pas important, un signe indéniable du début de la fin de l’ère de l’utilisation des énergies fossiles dans les transports. Tout nouvel engagement dans cette direction ne peut qu’amplifier ce virage mondial vers une mobilité à faible émission carbone.


Pourquoi pas au Québec ?

Depuis lors, on a vu l’Irlande et l’Écosse s’engager elles aussi dans cette voie avec, respectivement, les horizons de 2030 et 2032 pour bannir les VCI. À l’instar de ces deux pays, le Québec peut d’autant plus réalistement envisager un tel engagement qu’il n’y a pas non plus ici de fabricants automobiles pour menacer de déménager leurs pénates si une telle voie était choisie. Nous avons déjà signalé, ailleurs, le rôle des lobbys du pétrole et de l’automobile dans l’opposition à la mise en place d’une législation plus stricte sur les véhicules à forte émission carbone. N’ayant aucun fabricant national, le Québec peut donc plus facilement miser sur l’offre automobile étrangère en VE[1], qui s’annonce de plus en plus importante d’ici 2025, pour s’affranchir des VCI sur un horizon rapproché. N’oublions pas, pour ne prendre que quelques exemples, que Volvo s’est engagée à ce que tous ses véhicules neufs soient électrifiés à partir de 2019; que VW a aussi pris l’engagement que tous les modèles du groupe, soit 300 au total, existeront en version électrique d'ici 2030; enfin, d’ici à 2025, le fabricant japonais Toyota compte progressivement électrifier la gamme complète de ses modèles en proposant des déclinaisons hybrides, électriques ou à hydrogène en sus de ses motorisations conventionnelles.

Un tel engagement au Québec est d’autant plus sensé que nous avons ici les ressources matérielles et immatérielles pour profiter pleinement du changement de paradigme vers une électrification des transports. Le Québec a un potentiel minier important pour les matières stratégiques utilisées dans la production des batteries (lithium, cobalt, graphite, cuivre). Dans le créneau des moteurs électriques, nous avons en outre une entreprise faisant partie du groupe sélect des leaders : TM4, une filiale exclusive d’Hydro-Québec. Enfin, contrairement à la plupart des autres endroits dans le monde, notre électricité est propre, ce qui fait que les VE roulant au Québec sont à plus faible émission que n’importe où ailleurs.

Le bannissement des VCI pourrait facilement se faire par une bonification de la loi sur les véhicules zéro émission (VZÉ). Elle consisterait à augmenter graduellement la part obligatoire de l’offre des véhicules à faible émission de manière à ce que, à l’horizon 2030, la vente de véhicules légers (automobile ou camion léger) à combustion interne qui n’aurait pas, au minimum, une motorisation hybride électrique (hybride conventionnel, hybride rechargeable ou autre) soit interdite. Adoptée à l'unanimité par l’Assemblée nationale en 2016, la loi VZE impose des seuils croissants de ventes de véhicules sans émission. Notre partenaire californien du marché carbone, où a été adoptée la première loi VZÉ, reprise par la suite dans une dizaine d’autres États, exige par exemple que 15% des ventes de véhicules neufs soient des VE en 2025. Mais ces dernières représentaient déjà, durant la première moitié de 2017, 4,9% du marché total des véhicules neufs, contre 2% pour le Québec. Selon des estimations dévoilées récemment par l'Union of Concerned Scientist (UCS), les ventes californiennes de VE devraient dépasser le seuil de 10% en 2023 et de 20% en 2025[2]. Par ailleurs, le projet de loi AB-1745 récemment déposé à l’Assemblée législative de Californie propose que seuls les véhicules zéro émission puissent être mis en vente sur le marché automobile de Californie en 2040[3].

 

Les impacts estimés

Au Québec, en raison du faible coût de l’électricité, il est déjà plus avantageux d’être propriétaire d’un VE que d’un VCI lorsque l’on tient compte des coûts d’achat et de fonctionnement des véhicules. Mais c’est à partir de 2022 que devrait s’amorcer une rupture et s’accélérer la croissance des ventes de VE, au moment où sera atteinte la parité des prix de vente des VE (grâce à la baisse du prix des batteries). La nouvelle loi VZÉ viendrait bonifier cet état de fait. Nous estimons qu’avec notre proposition, la consommation d’électricité par les VE devrait connaître une croissance exponentielle à partir de cette date, pour atteindre près de 4 500 GWh à l’horizon de 2030. À l’inverse, la décroissance de la consommation d’essence devrait être plus modérée, mais s’accélérer avec le temps, au fur et à mesure que le stock de VCI sur la route s’épuiserait. Nous estimons que la consommation de ces véhicules devrait passer de 8,5 à 6,2 milliards de litres d’essence, soit une baisse significative de 27%.

Les impacts d’une telle évolution seraient évidemment très avantageux pour le Québec. D’un point de vue économique, nous estimons que les revenus supplémentaires versés à Hydro-Québec par les propriétaires de VE d’ici 2030 s’élèveraient à 1,5 milliard $ (qui pourraient être utilisés pour développer un réseau de bornes de recharge ultrarapide); en parallèle, la baisse des importations de pétrole pourrait s’élever à 1,2 milliard $ pendant la même période, améliorant d’autant la balance commerciale. Pour les propriétaires de VE, ce virage représenterait un gain de pouvoir d’achat net de 2 milliards $[4] ce qui stimulerait un retournement de flux de dépenses vers le Québec plutôt que vers les régions exportatrices de pétrole. D’un point de vue social, c’est donc un bilan net beaucoup plus créateur d’emplois, non seulement grâce à ce retournement de dépenses dorénavant réalisées au Québec, mais parce que le modèle productif du paradigme de la mobilité durable devrait faire appel à plus de contenu manufacturier québécois. Finalement, d’un point de vue environnemental, si ce changement de paradigme est bien encadré et règlementé, les bénéfices en termes de réduction de pollution (émissions de GES et de particules fines) devraient être majeurs.

 

[1] Nous utilisons l’abréviation VE pour désigner les véhicules à motorisation électriques rechargeables, c’est-à-dire les tout électriques et les hybrides rechargeables, excluant donc les hybrides conventionnels.

[4] Ce 2 G$ représente la différence entre ce que les propriétaires de VE auraient dû payer s’ils avaient eu des VCI (en payant leur consommation d’essence pendant cette période) et ce qu’ils ont effectivement payé en électricité. Ce gain est élevé pour 3 raisons : premièrement, les VE ont une efficacité énergétique plus de 2 fois meilleure que celle des VCI; deuxièmement, l’hydroélectricité est significativement moins chère que l’énergie fossile; et troisièmement, parce que les propriétaires de VE éviteraient de payer les importantes taxes sur les carburants. Puisque ces dernières servent à payer les infrastructures routières, les gouvernements devront cependant remédier à ce dernier problème.