Brésil : Lula condamné sous la menace d’un coup d’État

2018/04/06 | Par Pierre Dubuc

Le juge brésilien Sergio Moro a lancé un mandat donnant jusqu’à vendredi 6 avril à l’ex-président Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010) pour se présenter aux autorités policières afin de purger une peine de 12 ans de prison pour avoir reçu un luxueux appartement de bord de mer en échange de faveurs dans l’obtention de marchés publics, lorsqu’il était président du Brésil. Ce que Lula nie farouchement. Il y voit plutôt une manœuvre pour empêcher son retour à la présidence du pays, alors qu’il est présentement en tête dans les sondages.

Dans un article publié dans l’édition du 5 avril, la correspondante du Globe and Mail au Brésil, Stephanie Nolen, écrit que l’armée serait intervenue pour influencer la décision de la Cour suprême du pays afin qu’elle refuse l’habeas corpus que Lula sollicitait et qui lui aurait permis de rester en liberté jusqu’à l’épuisement de tous ses recours judiciaires.

La journaliste rapporte que le commandant en chef des armées, le général Eduardo Villas Boas, a déclaré : « Dans la situation actuelle du Brésil, il revient aux institutions et aux citoyens de se demander qui se préoccupe réellement du bien-être du pays et de ses futures générations et qui se préoccupe surtout de ses intérêts personnels ».

Il n’y avait aucun doute dans l’esprit des Brésiliens, selon Stephanie Nolen, sur l’interprétation à donner à cette déclaration. Elle « invitait » la Cour à rejeter la demande de l’ex-président et ouvrait la voie à son emprisonnement. La Cour a obtempéré. Six juges contre cinq se sont prononcés pour le rejet de la demande de Lula. Rappelons que l’armée a pris le pouvoir en 1964, à la faveur d’un coup d’État, et que la dictature militaire a duré jusqu’en 1985.

 

L’exemple de la Grèce

La menace d’un coup d’État rappelle les révélations de Yanis Varoufakis, l’ex-ministre des Finances du gouvernement grec d’Alexis Tsipras, dans son livre « Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe » (LLL) dans lequel il révèle les dessous des négociations sur la dette grecque jusqu’à sa démission au lendemain du référendum du 5 juillet 2015.

Ce référendum avait été organisé après l’échec des négociations avec la troïka, composée de la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI). En désespoir de cause, Tsipras avait organisé un référendum sur la proposition de la troïka. Le Non, c’est-à-dire le rejet de la proposition, l’emporte avec 61,3 % des suffrages. Cependant, selon Varoufakis, Tsipras et son cabinet souhaitaient plutôt une défaite !!! Aussi, à peine un mois plus tard, il cédait sous la pression, trahissait le mandat populaire et présentait au Parlement un « plan de sauvetage », qui reprenait les exigences de la troïka.

Comment expliquer ce revirement? La réponse réside peut-être dans ce passage du livre de Varoufakis : « Alexis (Tsipras) m’a dit quelque chose qui m’a vraiment surpris. Il avait peur qu’on nous inflige un sort à la ‘‘Goudi’’ – une référence à l’exécution de six responsables politiques et militaires en 1922. J’ai écarté cette idée en riant et lui ai répondu que, s’ils nous exécutaient alors que nous avions obtenu 61,3% des voix, notre place dans l’histoire était assurée. Puis il a laissé entendre qu’un coup d’État était possible, que le président de la République, Stournaras, les services secrets et des membres du gouvernement ‘‘se tenaient prêts’’ ». (Pour un compte-rendu complet du livre de Varoufakis, cliquez ici.)

 

L’exemple de la Catalogne

Dans le même ordre d’idées, on peut citer l’exemple de la Catalogne, où le gouvernement espagnol a dépêché la Guardia civil pour empêcher la tenue du référendum sur l’indépendance de la Catalogne.

Dans les trois cas, Brésil, Grèce, Catalogne, l’armée et l’utilisation de la force sont employées pour contrer l’expression démocratique et défendre les privilèges des élites financières, sociales et politiques. À méditer.