L’intérêt national du Canada anglais pétrolier

2018/04/20 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député fédéral membre du Groupe parlementaire québécois.

Le projet d’oléoduc Trans Mountain déchire l’Ouest canadien. D’un côté, l’Alberta et son gouvernement néo-démocrate, dirigé par Rachel Notley, appuient sans réserve la  construction de l’oléoduc appartenant à la texane Kinder Morgan. De l’autre, la Colombie-Britannique et son gouvernement de coalition des néo-démocrates et des Verts maintiennent leur opposition, reflétant ainsi l’opinion des citoyens de la ville de Burnaby et de ses environs et des communautés autochtones touchées par le projet. L’opposition à l’oléoduc est même une condition sine qua non des Verts au maintien de la coalition gouvernementale.

L’entreprise Kinder Morgan a fait monter les enchères en annonçant qu’elle suspendait la construction de Trans Mountain, étant donnée l’opposition britanno-colombienne. Cette décision a soulevé l’ire des Albertains et, surtout, a forcé le gouvernement fédéral de Justin Trudeau à prendre position. Le gouvernement central va imposer la construction de l’oléoduc, malgré l’opposition de la population touchée par ce pipeline, malgré la volonté du gouvernement de Colombie-Britannique et de ses lois.

Au bout du compte, c’est le fédéral qui tranche, tant pis pour la Colombie-Britannique et son gouvernement. Justin Trudeau invoque l’intérêt national. Le Canada a choisi de se définir comme État pétrolier. Il doit maximiser les débouchés de son pétrole sale qui, aussi longtemps qu’il sera enclavé, se vendra moins cher. Tant pis pour l’environnement. Tans pis pour les engagements pris à la COP21 à Paris. Tant pis pour les gens confrontés aux risques du nouvel oléoduc. Tant pis pour la démocratie !

Avec cette décision, on ne peut pas accuser les Libéraux de clientélisme électoral. Ils ont présentement trois sièges en Alberta et dix-huit en Colombie-Britannique. Les Libéraux pourront difficilement augmenter leur nombre de sièges en Alberta, où on préfère les Conservateurs, mais pourront facilement en perdre en Colombie-Britannique.

De plus, comme le rappelle Jeffrey Sachs de l’Université Columbia, cette décision mine la crédibilité internationale du gouvernement Trudeau. Sachs explique que Justin Trudeau était aux premiers rangs pour prendre des engagements à la COP21, mais qu’il lui sera impossible de les honorer avec la construction de cet oléoduc.

Il s’agit bien du gouvernement au pouvoir à Ottawa, celui qui gouverne en fonction des intérêts de la nation canadienne-anglaise, incarnée ici par Toronto et Calgary, et qui se définit par le pétrole. Par exemple, ce sont les banques ontariennes qui financent les sables bitumineux. Ce sont les aciéries ontariennes qui fabriquent les tuyaux.

Le Parti conservateur d’Andrew Sheer a évidemment la même position. Pour se distinguer, il affirme qu’il aurait imposé le projet plus rapidement. Les néo-démocrates de Jagmeet Singh sont coincés. Il est, en effet, malaisé, pour un parti pancanadien, d’aller contre l’intérêt national. Pire encore, ce conflit divise son électorat. D’un côté, il y a les défenseurs de l’environnement. De l’autre, les syndicats canadiens-anglais, qui veulent plus d’emplois dans les sables bitumineux, dans la construction du projet Trans Mountain et même, en Ontario, dans la fabrication des sections de l’oléoduc. Et, c’est quand même le gouvernement néo-démocrate de l’Alberta qui s’oppose au gouvernement néo-démocrate de la Colombie-Britannique.

Jagmeet Singh choisit donc de se défiler. Il affirme être personnellement « plutôt opposé » au projet, mais il demande un renvoi à la Cour suprême pour clarifier les champs de compétences des provinces et du fédéral. C’est une parade en bonne et due forme. Le respect de la volonté de la population et du gouvernement britanno-colombien est un enjeu politique. Pas juridique ! On le sait et Jagmeet Singh le sait aussi, le gouvernement fédéral a le pouvoir juridique d’imposer le projet.

Pour ne pas déplaire à son électorat, le NPD refuse de choisir clairement entre respecter la volonté du gouvernement de la Colombie-Britannique et de ses citoyens, ou promouvoir l’intérêt national du Canada anglais pétrolier. Le chef néo-démocrate désire que son parti se tienne loin de cette question. Cela n’a pas empêché son député Kennedy Stewart, représentant la circonscription Burnaby-Douglas, de se faire arrêter avec Elizabeth May du Parti vert, aux côtés de dizaines d’autres manifestants pour avoir enfreint la règle, qui les empêchait de manifester à moins de cinq mètres du chantier de Kinder Morgan.

Les députés libéraux de la Colombie-Britannique sont aussi contre l’oléoduc, surtout ceux dont la circonscription est traversée par le tracé de Trans Mountain. Leur parti défend un projet, qui va à l’encontre de la volonté de la population qu’ils sont censés représenter. Mais le Parti libéral exige le respect de la ligne de parti. Les députés touchés sont contraints au silence, tout en sachant qu’ils ne se feront pas réélire. Probablement que leur parti saura les « dédommager ».

La volonté du gouvernement libéral de Justin Trudeau d’imposer la construction de l’oléoduc de l’entreprise Kinder Morgan est une décision politique majeure et on doit en tirer les leçons. Pour Ottawa, l’intérêt national canadien-anglais passe par-dessus le respect des gouvernements des provinces et des communautés. Nous sommes devant un gouvernement tout-puissant qui bulldoze.

On n’a jamais été aussi loin d’une fédération où chaque province peut exercer une forme de souveraineté. Ça fait longtemps qu’on le sait, mais il s’agit ici d’un exemple des plus éloquents. Penser que le Québec peut tirer son épingle du jeu dans cette fédération est angélique. Tant que nos décisions ne vont pas trop à l’encontre des intérêts canadiens-anglais, ça peut aller. Lorsque nos intérêts vont à l’encontre des leurs, nous perdons à coup sûr. Nos voisins, qui décident pour nous, décident d’abord pour eux-mêmes. En bon voisins, ils peuvent toujours essayer de nous accommoder, mais sans plus.

Comme dans le cas de la Colombie-Britannique, il n’y a rien à attendre des élus québécois du Parti libéral. Ils doivent d’abord suivre la ligne de parti et défendre les intérêts canadiens-anglais. Et, c’est comme ça, peu importe le parti au pouvoir.

Avec cette saga Trans Mountain, il apparait clairement que, le jour où l’intérêt canadien-anglais va exiger l’oléoduc Énergie-Est, Ottawa n’hésitera pas à bulldozer notre volonté et les décisions de notre gouvernement national. Ma collègue Monique Pauzé, députée de Repentigny, a déposé un projet de loi fort intéressant. Il propose que les infrastructures de juridictions fédérales, comme les aéroports, ports, tours cellulaires et oléoducs, soient soumises aux lois du Québec, des provinces et aux règlements des municipalités. Ce projet de loi propose au gouvernement fédéral de reconnaître la primauté des volontés des provinces et municipalités sur le pouvoir d’Ottawa. Le gouvernement du Québec, via Jean-Marc Fournier, ministre des Relations canadiennes, abonde dans le même sens et met en garde Ottawa d’imposer des projets allant à l’encontre de la volonté des gouvernements des provinces.

Avec Trans Mountain, il semble évident que le gouvernement libéral et les Conservateurs voteront contre le projet de loi de Monique Pauzé et feront fi de la mise en garde du ministre Fournier. Il sera tout de même intéressant de voir comment voteront les 40 élus québécois libéraux, tout comme les élus néo-démocrates.

 

Photo Credit: KINDER MORGAN