Trans Mountain : Dilemmes et contradictions

2018/04/23 | Par Gérard Montpetit

L’auteur est membre du comité des citoyens et citoyennes pour la protection de l'environnement maskoutain

Le 15 avril, le premier ministre M. Trudeau a rencontré ses homologues de l'Alberta et de la Colombie-Britannique pour tenter de concilier l'inconciliable. Le premier ministre a tenu les propos suivants rapportés dans Le Devoir : « Il est clair que la polarisation autour de ce débat exige des mesures importantes… Je veux pouvoir…discuter de questions touchant l’intérêt national et de démontrer l’engagement du gouvernement fédéral pour réaliser ce projet. »[1]

Dans le projet d’expansion du réseau de Trans Mountain, on peut certes discerner l'intérêt de l'industrie pétrolière. On peut aussi voir l'intérêt des cinq grandes banques canadiennes qui donnent un appui financier aux pétroles extrêmes.[2] Outre certains secteurs de l'Alberta et ces deux lobbies, on peut sérieusement se poser la question de savoir si l’expansion de Trans Mountain est vraiment « d'intérêt national » pour les autres Canadiens.

Comme contradiction, le gouvernement de M. Trudeau affirme sur toutes les tribunes que la lutte contre le réchauffement climatique passe par l'expansion de l'industrie pétrolière. Peut-on m'expliquer clairement, logiquement et rationnellement comment le fait de produire plus de GES (gaz à effet de serre) permettra de réduire la production de GES? Après tout, le plan albertain permet d'augmenter (et non de réduire!!!) la production de GES de 70 mégatonnes à 100 mégatonnes de CO2! Alors si le Canada veut respecter les Accords de Paris comme M. Trudeau le proclame sur les tribunes internationales, toutes les régions du Canada devront se serrer la ceinture « GES » pour permettre au gouvernement albertain de produire plus de GES. Et moi qui croyais que tous devaient être traités également dans la grande famille canadienne!

Comme autre façon de malmener les Accords de Paris, notre cher M. Trudeau veut abuser du régime constitutionnel en exemptant un oléoduc lié aux sables bitumineux d'un examen environnemental provincial.[3] On se souviendra que le promoteur d’Énergie Est refusait de se soumettre aux règles du BAPE et aux lois du Québec, ce qui avait créé tout un imbroglio juridique avant avril 2016. Comme les règlements du Québec et de la Colombie-Britannique sont plus respectueux de l'environnement, M. Trudeau invoque la préséance des règles du fédéral et de l'ONÉ au nom de l'intérêt national. De cette manière, les promoteurs des sables bitumineux n'auront pas à parler des GES produits en amont et en aval du transport par pipeline! Et vive l'Accord de Paris!!!

Depuis son élection, M. Trudeau parle de réconciliation avec les Premières Nations. Pourtant, il s'apprête à leur passer Trans Mountain dans la gorge en piétinant leurs droits ancestraux. Mais, cela ne passera pas comme une lettre à la poste; certains promettent même une autre « crise d'Oka ».[4]

De plus, sur le plan strictement économique, les changements climatiques coûtent déjà très cher aux Canadiens. Pensons, entre autres, à l'incendie monstre de Fort McMurray en 2016, puis, en 2017, aux feux de forêts de la Colombie-Britannique et aux inondations au Québec. Sans oublier des phénomènes extrêmes comme les ouragans Irma, Maria et Harvey! Dans un discours en 2015, M. Mark Carney, directeur de la banque d'Angleterre (et ex directeur de la banque du Canada) a créé une onde de choc dans le monde de la finance lorsqu'il « a déclaré que cette lutte pourrait entraîner des pertes « potentielles énormes » pour les investisseurs exposés à ce secteur. »[5]

Pour démontrer sa détermination à aller de l’avant avec le projet Trans Mountain, M. Trudeau et Mme Notley sont prêts à investir de nos deniers publics au prétexte qu’on ne peut laisser une telle richesse dans le sol.[6] Ça, c'est en plus des 3,3 milliards de dollars annuellement en subventions et avantages fiscaux.[7] Comme le souligne un article du National Observer, les sables bitumineux souffrent d’importants défauts.[8] Ils sont loin des marchés, avec un taux de retour énergétique qui pousse les coûts de production à hauteur de 80 dollars le baril. De plus, la piètre qualité du bitume dilué WCS (Western Canadian Select) fait que son prix sur les marchés mondiaux est inférieur de 15 à 20 $/baril à celui d'un pétrole conventionnel comme le Brent. Investir dans le « dilbit », est-ce vraiment une bonne affaire?

En fait, le dilemme de l'intérêt national trudeauesque ressemble à celui d'un obèse qui, souffrant d’hypertension et de diabète, salive à la vue d'une tarte au sucre. Doit-il s'abstenir courageusement d’en manger selon le bon sens et les conseils de son médecin, ou succomber à la tentation de la bouffer quitte à en subir tous les effets secondaires désagréables qui le conduiront possiblement à sa perte?

 

1] https://www.ledevoir.com/politique/canada/525290/trudeau-revient-au-pays-pour-parler-oleoduc-avec-horgan-et-notley

2]https://d3n8a8pro7vhmx.cloudfront.net/rainforestactionnetwork/pages/19540/attachments/original/1522211861/Banking_on_Climate_Change_2018_vWEB.pdf?1522211861

3] https://www.theglobeandmail.com/business/article-federal-climate-plan-to...

4] https://www.theglobeandmail.com/opinion/article-if-ottawa-rams-through-trans-mountain-it-could-set-up-an-oka-like/

5] http://www.lesaffaires.com/blogues/francois-normand/-lere-de-la-fin-du-p...

6] https://www.theglobeandmail.com/canada/article-trudeau-promises-financia...

7] https://www.ledevoir.com/societe/environnement/484802/les-subventions-ca...

8] https://www.nationalobserver.com/2018/03/07/opinion/fatal-flaw-albertas-oil-expansion