À propos de l’histoire de Québec solidaire et de la gauche progressiste

2018/04/24 | Par Pierre Dubuc

Dans sa biographie qu’il vient de faire paraître – Un militant qui n’a jamais lâché (Varia) – Paul Cliche raconte en détail la naissance et le développement de ce mouvement d’une fraction de la gauche québécoise, qui a mené à la création de Québec Solidaire, et au sein duquel il a joué, à ses débuts, un rôle de premier plan. Comme il reconnaît, c’est dans les pages de l’aut’journal, où il officiait à titre de chroniqueur, que Cliche a lancé cette initiative. À la veille du scrutin québécois, il n’est pas inintéressant de revenir sur ces événements.

C’est Michel Chartrand qui, à l’automne 1996, nous présente Paul Cliche, qui vient de prendre sa retraite de la fonction publique. Nous le connaissions évidemment de réputation. Il avait été journaliste politique à La Presse et au Devoir, avant d’être employé à la CSN où il a contribué dans le cadre du Deuxième Front à l’hebdomadaire Québec-Presse et aux supermarchés coopératifs Cooprix. Il avait aussi été actif sur la scène municipale montréalaise où il contribuait au début des années 1970 à la création du FRAP, avant d’être élu, plus tard, conseiller municipal du Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM). Les trois quarts de son livre sont d’ailleurs consacrés à cette époque. De 1980 à 1996, il avait été à l’emploi de la fonction publique et absent de la scène politique, devoir de réserve oblige. Ce n’était que partie remise, comme nous l’avons vite réalisé.


La genèse de Québec Solidaire

Dès mai 1997, Cliche lançait, dans nos pages, un appel à une alternative politique, à la suite d'une table ronde réunissant, entre autres, Hélène Pedneault, Paul Rose, Gabriel Gagnon et Réjean Parent. Tous partageaient le même constat, soit que le gouvernement de Lucien Bouchard, avec la politique du Déficit Zéro, campait sur les mêmes positions néolibérales que les libéraux et les adéquistes.

L’aut’journal et Cliche se sont, par la suite, activés à la préparation d’un colloque, qui rassemble plus de 700 personnes les 28 et 29 novembre 1997. Décision est alors prise de créer une organisation, le Rassemblement pour une alternative politique (RAP), dont l’assemblée de fondation aura lieu au printemps 1998 à Saint-Augustin, en banlieue de Québec.

Aux élections du 30 novembre 1998, le RAP appuie sept candidatures dont celle de Michel Chartrand contre Lucien Bouchard dans la circonscription de Jonquière. Sauf Chartrand qui recueille 15 % des suffrages, les autres candidats ne récoltent que des broutilles. Quant au Parti de la Démocratie socialiste (PDS) – l’ancien NPD-Québec que Paul Rose a transformé en parti indépendantiste – il ne recueille, avec ses 97 candidats, moins de 1 % des suffrages.

Cliche poursuit ses efforts pour réunir les différents partis de gauche (RAP, PDS, Parti communiste, Parti Vert, Parti marxiste-léniniste et Bloc Pot) et un colloque sur l’unité rassemble 800 personnes en mai 2000. Mais le déclencheur est l’élection partielle dans Mercier au mois d’avril 2001, où Cliche fait approuver sa candidature par une coalition de partis politiques, qui prend le nom d’Union des forces progressistes. À la surprise générale, Cliche se classe troisième avec 24,2 % des votes. Le Parti Québécois se classe deuxième avec 28,6 % des suffrages et perd le comté. La candidate libérale profite de la division du vote, pour voguer vers la victoire avec à peine 34,6 % des suffrages. Ce qui allait préfigurer la suite des choses.

Par la suite, l’Union des forces progressistes (UFP) se transformera en parti en juin 2002, avec la réunion du RAP, du PDS et du PCQ. Parallèlement, Françoise David, qui avait créé D’abord solidaires en 2002, le transforme en Option citoyenne en 2004. Finalement, les deux formations, l’UFP et Option citoyenne, fusionneront pour donner naissance à Québec Solidaire, le 6 février 2006.


La création du SPQ Libre

L’aut’journal s’est dissocié de l’approche de Paul Cliche après le scrutin de 2003, qui a porté les Libéraux de Jean Charest au pouvoir. Nous avions appuyé l’initiative de Cliche parce qu’elle était associée à une réforme du mode de scrutin, prônant l’introduction du scrutin proportionnel. Nous avions d’ailleurs publié, à l’automne 1999, le livre de Paul Cliche Pour réduire le déficit démocratique : le scrutin proportionnel, qui nous rappelait la loi d’airain de notre système uninominal à un tour, soit de « fermer la porte aux tiers partis même s’ils sont appuyés par une proportion significative de l’électorat ».

Avant l’élection, Bernard Landry s’était engagé à réformer le mode de scrutin, conformément au programme du PQ dans lequel cette promesse était inscrite depuis 1969. Mais, bien que Charest ait pris lui aussi un tel engagement, il est vite devenu évident qu’il ne le respecterait pas. Faute d’une telle réforme, nous avons proposé d’instaurer au sein du Parti Québécois une « proportionnelle » en s’inspirant du Parti socialiste français avec ses courants et ses clubs politiques. Réjean Parent participera aux premières réflexions avec Denis Lazure, Bernard Landry et Pierre Dubuc. Puis, les syndicalistes Monique Richard, Marc Laviolette, Robert Dean, Luc Desnoyers, Jean Lapierre s’associeront rapidement au projet, de même que les progressistes Vivian Barbot, Martine Ouellet et Mario Beaulieu. Si bien qu’au mois de février 2004, plus de 200 personnes participeront à l’assemblée de fondation du club politique Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ Libre).

À son Congrès de 2005, auquel participent 75 membres du SPQ Libre, le Parti Québécois modifie ses statuts pour reconnaître l’existence de clubs politiques et Monique Richard, présidente du SPQ Libre, est élue à la présidence du Parti Québécois. La formation d’autres clubs politiques par des écologistes, des membres des communautés culturelles, des artistes et des entrepreneurs souverainistes est alors en gestation. Mais, catastrophe !, Bernard Landry démissionne à ce même congrès, jugeant insatisfaisant l’appui de 76 % des délégués lors du vote de confiance.

Il est remplacé par André Boisclair, qui s’inspire du New Labour antisyndical de Tony Blair en Angleterre et conduit le parti à une sévère débâcle au scrutin de 2007, le Parti Québécois perdant même son statut d’Opposition officielle. Pauline Marois prend la relève, mais avec un discours similaire à celui de Boisclair, ce qui ne manque pas de provoquer un affrontement avec le SPQ Libre. En mars 2010, elle exclut le SPQ Libre du Parti Québécois et le congrès de 2011 raye de ses statuts toute mention des clubs politiques. Depuis, le SPQ Libre continue son existence à l’extérieur du PQ et ses membres y militent à titre individuel.

Sous la gouverne de Pauline Marois, le PQ a formé un gouvernement minoritaire en septembre 2012, après avoir effectué un tournant majeur à gauche en appuyant la grève étudiante du Printemps érable. Mais, une fois au pouvoir, sa gestion irrésolue, indéterminée, frappée au coin de l’amateurisme, n’a pas su rallier les électeurs et les libéraux reviennent au pouvoir. Par la suite, le PQ choisit en Pierre-Karl Péladeau un chef antisyndical, mais résolument indépendantiste, avant de confier les rênes du parti à Jean-François Lisée, qui  repousse l’indépendance aux calendes grecques.

Au moment où ces lignes sont écrites, le PQ stagne dans les sondages avec 21 % des intentions de vote, alors que QS, avec seulement 9 % des intentions de vote, ne peut espérer, au mieux, que l’élection de quelques députés supplémentaires sur l’île de Montréal. La perspective la plus plausible est l’élection de la CAQ de François Legault ou la réélection du Parti Libéral de Philippe Couillard et, donc, la continuation des politiques néolibérales. Rien de quoi pavoiser pour la gauche péquiste ou solidaire !
 

Scrutin proportionnel ou unité de la gauche au sein d’un même parti

Paul Cliche, malgré un optimisme de façade de bon aloi, est bien conscient du cul-de-sac de Québec Solidaire. Ses promoteurs croyaient, au départ, que le nouveau parti remplacerait rapidement le PQ sur l’échiquier politique. Douze ans plus tard, Cliche feint toujours d’y croire. C’est pourquoi il s’est opposé à toute entente électorale entre le PQ et QS, parce que, écrit-il dans son livre, « à l’instar de l’Union nationale des années 1970, le PQ se dirige inexorablement vers la porte de sortie » et qu’il ne faut pas que QS « lui serve de bouée de sauvetage ».

Mais, il n’y croit pas vraiment. Il reconnaît que QS est incapable de se défaire de son image de parti « montréaliste ». Il a espéré un moment que la fusion de Québec Solidaire et Option Nationale pourrait faire « basculer le rapport de force en faveur de la gauche indépendantiste », mais il ne semble pas trop y croire. Pour favoriser cette fusion, il s’est rallié à l’idée, prônée par Gabriel Nadeau-Dubois et Option Nationale, d’une constituante avec un mandat « fermé », c’est-à-dire avec un projet de constitution d’un Québec indépendant, même s’il avait toujours défendu le projet d’une constituante avec un mandat « ouvert », qui n’excluait pas le maintien du Québec dans le Canada.

Il continue à exprimer ses réserves, en soulignant que le « mandat ouvert » avait permis à QS « d’attirer en son sein de nombreux progressistes qui ne font pas de l’indépendance l’alpha et l’oméga de toute chose et même des fédéralistes de gauche, anglophones, allophones et francophones ». Mais, il ne désespère pas de remettre la question sur le tapis. « Aussi longtemps que le processus d’accession à l’indépendance ne sera pas formellement engagé, la question de l’Assemblée constituante demeurera un sujet de discussion stratégique en fonction de l’évolution de la conjoncture politique ».

En résumé, la perspective n’est pas très réjouissante du côté de QS. Elle nous ramène à une des principales conclusions du livre de Cliche sur les modes de scrutin. Après avoir énuméré la longue liste des tiers partis disparus depuis cinquante ans, Cliche concluait : « Les petits partis qui ne se sabordent pas après des échecs électoraux répétés doivent se contenter de jouer le rôle de groupes de pression comme c’est le cas pour ceux de la gauche québécoise depuis cinquante ans. » Et, ajouterions-nous, de Québec Solidaire, depuis douze ans.
 

Le champ de ruines

La situation n’est pas plus rose du côté du Parti Québécois. Nous sommes toujours devant le « champ de ruines » dont parlait M. Parizeau. La mise au rancart de la souveraineté a des effets dévastateurs. Une partie de l’électorat indépendantiste migre vers la CAQ et une autre vers QS, qui perd son électorat fédéraliste au profit du NPD-Québec, nouvellement ressuscité. En fait, le remplacement de l’affrontement fédéraliste-indépendantiste par une confrontation droite-gauche est néfaste pour la gauche. Les libéraux et la CAQ totalisent conjointement près de 70 % des intentions de vote contre 30 % pour le PQ et QS. Rien de surprenant après 40 ans de discours néolibéral dominant.

Quand tous les indépendantistes sont réunis au sein d’un même parti, la gauche peut faire inscrire au programme ses revendications et les faire accepter par la droite au nom de la cause, comme toute l’histoire du PQ le démontre. Bien entendu, la gauche doit aussi faire des compromis. Tout dépend du rapport de forces entre les deux tendances.

En fait, il y a deux voies possibles. Admettons d’abord que des coalitions électorales entre partis souverainistes, bénéfiques aux différents partis, sont irréalisables avec notre mode de scrutin. Elles ne peuvent se produire que dans le cadre d’un mode de scrutin proportionnel. À défaut d’un changement de mode de scrutin, la seule solution envisageable est la cohabitation entre différentes tendances souverainistes au sein d’un même parti. Le SPQ Libre a été une nouvelle expérience en ce sens. Elle a échoué à cause de l’alignement à droite de Boisclair et Marois et, par conséquent, de leur rejet des clubs politiques. Mais l’expérience pourrait renaître sous une autre forme.

Il y a tout de même un certain espoir de voir les choses évoluer. Le retour au PQ de Jean-Martin Aussant et de Lisette Lapointe est annonciateur de la réintroduction de l’indépendance au premier plan du programme péquiste, advenant une débâcle du PQ lors du prochain scrutin. De même, l’arrivée de Vincent Marissal à QS pouvait être interprétée – avant le dérapage des révélations sur ses accointances libérales – comme le signe de la volonté de Gabriel Nadeau-Dubois de sortir son parti des ornières trotskystes et gauchistes, qui minent sa crédibilité. Et, comme Aussant et Nadeau-Dubois ont parcouru ensemble le Québec dans le cadre de leur tournée Faut qu’on se parle, on peut légitimement croire qu’ils pourraient encore se parler au lendemain du prochain scrutin. Mais, plusieurs choses peuvent encore se produire d’ici là. Comme l’écrivait Goethe : « Grise est la théorie, vert est l’arbre de la vie ».

 

Photo : Ledevoir.com