Déchets nucléaires : pour une enquête internationale

2018/04/30 | Par Artistes pour la paix

Une quarantaine de groupes environnementaux et de Premières Nations, dont une vingtaine du Québec, demandent une enquête internationale sur la gestion canadienne des déchets nucléaires. Ils ont envoyé lundi une lettre à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) pour tirer la sonnette d’alarme. Les Artistes pour la Paix sont parmi les signataires de cette lettre.

« On veut que le sujet soit porté à un autre niveau pour que la gestion de tous ces déchets ne relève pas simplement du contrat actuel, mais du gouvernement canadien dans son ensemble », a indiqué le coordonnateur du Ralliement contre la pollution radioactive, Réal Lalande. « Présentement, il y a une formule où c’est un consortium de compagnies privées qui gère ça et on trouve que les solutions qui sont présentées sont des solutions à faible coût, mais qui ne sont pas suffisamment responsables, sécuritaires pour protéger l’eau de la rivière », a-t-il poursuivi.

Trois projets en cours d’évaluation par la Commission canadienne de sûreté nucléaire ne correspondent pas, selon eux, aux normes de l’AIEA. Il y a d’abord le projet de dépotoir nucléaire de Chalk River, puis le bétonnage de deux réacteurs nucléaires en Ontario et au Manitoba. Dans les trois cas, les projets sont près de cours d’eau.

Ces projets sont gérés en sous-traitance par les Laboratoires nucléaires canadiens (LNC), une entreprise appartenant au consortium Canadian National Energy Alliance composé de quatre entreprises d’ingénierie et de technologie, dont SNC-Lavalin et Rolls-Royce.

La lettre souligne que le Canada ne s’est jamais doté d’une politique de gestion de ses déchets radioactifs et qu’il n’a développé aucun système de classification pour leur élimination.

Interrogé avant la période des questions aux Communes, lundi après-midi, le ministre des Ressources naturelles Jim Carr s’est voulu rassurant. « La Commission canadienne de sûreté nucléaire fait un très bon travail et l’une de ses responsabilités est de consulter les Canadiens sur chaque projet tout en ayant pour principal objectif de préserver leur santé et leur sécurité », a-t-il déclaré.

Son bureau a indiqué que le gouvernement fédéral avait une politique-cadre en matière de déchets radioactifs depuis 1996. Celle-ci est toutefois jugée insuffisante par les signataires de la lettre.

 


Le 23 avril 2018
M. Yukiya Amano, directeur général
Agence international de l’énergie atomique (AIEA)
Centre international de Vienne
C.P. 100, 1400 Vienne, Autriche

Cher Monsieur Amano

Nous vous écrivons d’urgence pour exprimer à quel point nous sommes préoccupés de voir le Canada manquer à ses engagements en vertu de la Convention commune sur la sûreté de la gestion du combustible usé et sur la sûreté de la gestion des déchets radioactifs. À notre avis, le Canada n’arrive pas à gérer ses déchets radioactifs de manière responsable afin de protéger ses citoyens sans fardeau excessif pour les générations futures. Nous aimerions attirer surtout votre attention sur les éléments suivants :

La Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) procède actuellement à l’évaluation environnementale de trois projets d’élimination permanente des déchets radioactifs du gouvernement fédéral qui sont en complet désaccord avec les directives de l’AIEA.

On veut notamment aménager à la surface du sol une décharge géante qui recevrait un million de mètres cubes de déchets radioactifs de «faible activité», dont d’importantes quantités d’émetteurs à vie longue de rayonnements alpha et bêta / gamma , près de la rivière des Outaouais à Chalk River en Ontario. Les directives de l’AIEA stipulent pourtant qu’une installation en surface ne convient pas à l’élimination des radionucléides à vie longue, car  » cette localisation près de la surface rend l’installation vulnérable aux processus ou événements qui vont dégrader trop rapidement sa capacité de confinement et d’isolement. « (1).

On a aussi l’intention de bétonner en place deux réacteurs nucléaires: celui de Whiteshell-1 en bordure de la rivière Winnipeg à Pinawa au Manitoba ainsi que celui de la centrale Nuclear Power Demonstration en bordure de la rivière des Outaouais à Rolphton en Ontario. L’AIEA ne recommande pas le bétonnage in situ des réacteurs, sauf en cas d’urgence (2).

Le Canada n’a pas élaboré de politiques et de stratégies pour la gestion des déchets radioactifs, malgré les recommandations de l’AIEA (3). Une récente pétition adressée à la vérificatrice générale du Canada rappelait que le Canada n’a ni politique ni stratégie pour encadrer l’élimination ou la gestion à long terme de 600 000 mètres cubes de déchets radioactifs (en excluant le combustible irradié). Ces déchets appartiennent au Gouvernement fédéral et proviennent surtout de la production de plutonium pendant la Guerre Froide (4).

Le Canada ne s’est donné aucun système national de classification des déchets radioactifs en vue de leur élimination, même s’il a souvent été interrogé à ce sujet dans le cadre du processus d’examen par les pairs de l’AIEA (2). Le système de classification du Canada permet de classer des radionucléides à longue vie comme le plutonium parmi les déchets de «faible activité» et n’impose pas que ces substances soient confinées et isolées de la biosphère.

Le gouvernement fédéral, qui est responsable de la politique sur les déchets radioactifs, n’a publié qu’un «cadre» en trois alinéas (5). Adopté sans discussion ni consultation publique, ce «cadre» est maintenant âgé de plus de 20 ans. Il stipule que les propriétaires de déchets doivent s’acquitter de leurs responsabilités «conformément aux plans approuvés d’évacuation des déchets ». Même si le gouvernement du Canada est «propriétaire» de la grande majorité des déchets radioactifs canadiens qui ne sont pas du combustible irradié, il n’a jamais publié de plan approuvé pour la gestion à long terme de ses propres déchets.

Si le Canada avait des politiques et des plans conformes aux directives de l’AIEA pour les déchets radioactifs, nous sommes convaincus que les trois projets actuels n’auraient pas atteint l’étape de l’évaluation environnementale. Le Canada propose d’abandonner des radionucléides à vie longue en surface ou près de la surface, dans des sites retenus pour leur commodité plutôt que pour leur sécurité à long terme. Le Canada n’a jamais procédé à la sélection systématique d’un emplacement approprié aux déchets radioactifs autres que le combustible irradié, que ce soit pour une installation d’élimination en surface ou en couche géologique profonde.

Nous avons l’impression que la CCSN aggrave ces problèmes plutôt que d’essayer de les régler. Elle a écarté les mises en garde des experts scientifiques contre les graves lacunes des trois projets à l’étape de la description de projet (6) (7) (8). On nous signale aussi qu’elle a fourni des informations partielles et trompeuses à leur sujet dans son récent rapport à la Convention commune (9). On dit souvent que la CCSN est victime d’une «capture réglementaire» (10). Puisqu’elle est un organisme de réglementation et non un organisme politique, ses soi-disant guides de «politiques de réglementation» ne peuvent se substituer à une politique gouvernementale. Le Canada manque d’un régime de freins et de contrepoids dans lequel plusieurs organismes et ministères participeraient à la gouvernance nucléaire.

Nous croyons que l’AIEA doit enquêter de toute urgence et faire rapport sur les politiques et les pratiques de gestion des déchets radioactifs au Canada. Nous aimerions également demander à l’AIEA d’examiner la gouvernance nucléaire du Canada en vue de formuler des recommandations pour corriger les graves lacunes actuelles.

Nous comptons beaucoup sur votre aide dans ces importants dossiers.

Cordialement,

Grand-Chief Patrick Madahbee, Anishinabek Nation
Chief James Marsden, Alderville First Nation
Chief Joanne G. Rogers, Aamjiwnaang First Nation
Chief Rodney Noganosh, Chippewas of Rama First Nation
Chief Shining Turtle, Whitefish River First Nations
Candace Day Neveau, Bawating Water Protectors

Angela Bischoff, Ontario Clean Air Alliance
Alain Saladzius, Fondation Rivières
Beatrice Olivastri, Friends of the Earth Canada
Benoit Delage, Conseil Régional de l’Environnement et du Développement Durable de l’Outaouais
Carole Dupuis, Regroupement vigilance hydrocarbures Québec
Christian Simard, Nature Québec
Gretchen Fitzgerald, Sierra Club of Canada
Martine ChatelainEau Secours!
Meredith Brown, Ottawa Riverkeeper
Nicole DesRoches, Agence de bassin versant des 7
Robb Barnes, Ecology Ottawa
Shawn-Patrick Stensil, Greenpeace Canada
Theresa McClenaghan, Canadian Environmental Law Association

Dr. Éric Notebaert, Association canadienne des médecins pour l’environnement
Dr. Gordon Edwards, Canadian Coalition for Nuclear Responsibility
Dr. Ole Hendrickson, Concerned Citizens of Renfrew County and Area
Dr. P. T. Dang, Biodiversity Conservancy International

André Michel, président, Les Artistes pour la Paix
Barry Stemshorn, Pontiac Environmental Protection
Carolynn Coburn, Environment Haliburton!
Céline Lachapelle, Action Environment Basses-Laurentides
Dave Taylor, Concerned Citizens of Manitoba
Gareth Richardson, Green Coalition Verte
Georges Karpat, Coalition Vigilance Oléoducs
Gilles Provost et Ginette Charbonneau, Ralliement contre la pollution radioactive
Jamie Kneen, Mining Watch
Johanna Echlin, Old Fort William (Québec) Cottagers’ Association
John Jackson, Nulcear Waste Watch
Janet McNeill, Durham Nuclear Awareness
Kirk Groover, Petawawa Point Cottagers’ Association
Marc Fafard, Sept-Îles Sans Uranium
Marie Durand, Alerte Pétrole Rive-Sud
Maryanne MacDonald, Water Care Allies, First United Church, Ottawa
Nadia Alexan, Citizens in Action
Pascal Bergeron, Environnement Vert Plus
Patrick Rasmussen, Mouvement Vert Mauricie
Paul Johannis, Greenspace Alliance of Canada’s Capital
Réal Lalande, STOP Oléoduc Outaouais

cc.
Hon. Justin Trudeau, Premier ministre du Canada
Chef Perry Bellegarde, Chef de l’Assemblée des Premières Nations
M. Michael Ferguson, Vérificateur général du Canada
Mme. Julie Gelfand, Commissaire à l’environnement et au développement durable, Canada
S. E. l’Ambassadeur Mark Bailey, représentant permanent du Canada à l’AIEA
Hon. Carolyn Bennett, ministre des Relations autochtones, Canada
Hon. Catherine McKenna, ministre de l’Environnement, Canada
Hon. Chrystia Freeland, ministre des Affaires mondiales, Canada
Hon. Ginette Petitpas Taylor, ministre de la Santé, Canada
Hon. Jim Carr, ministre des Ressources naturelles, Canada
Hon. Elizabeth May, députée, Parti Vert du Canada
Hon. Luc Thériault, député, groupe parlementaire québécois
Hon. Mario Beaulieu, député, Bloc Québécois
Hon. Erin O’Toole, députée, PC, critique sur les Affaires mondiales, Canada
Hon. Shannon Stubbs, députée, PC, critique sur les Ressources naturelles, Canada
Hon. Marilyn Gladu, députée, PC, critique sur la Santé, Canada
Hon. Ed Fast, député, PC, critique sur l’Environnement, Canada
Hon. Hélène Laverdière, députée, NPD, critique des Affaires mondiales, Canada
Hon. Richard Cannings, député, NPD, critique sur les Ressources naturelles, Canada
Hon. Don Davies, député, NPD, critique sur la Santé, Canada
Hon. Alexandre Boulerice, député, NPD, critique sur l’Environnement, Canada
Hon. Monique Pauzé, députée, Groupe parlementaire québécois, critique sur l’Environnement, Canada
M. Geoff Williams, président, Waste Safety Standards Committee (WASSC)
Mme. Sandra Geupel, secrétaire scientifique, WASSC
Hon. Isabelle Melançon, ministre de l’Environnement, du développement durable et de la lutte aux changements climatiques, Québec
Hon. Chris Ballard, Minister of the Environment and Climate Change, Ontario
Hon. Rochelle Squires, Minister of Sustainable Development, Manitoba


(1) Near Surface Disposal Facilities for Radioactive Waste. Specific Safety Guide No. SSG-29. International Atomic Energy Agency, Vienna, 2014.
https://www- pub.iaea.org/MTCD/publications/PDF/Pub1637_web.pdf

(2) Decommissioning of Facilities. General Safety Requirements Part 6. International Atomic Energy Agency, Vienna, 2014.
https://www-pub.iaea.org/MTCD/ publications/PDF/Pub1652web-83896570.pdf

(3) Policies and Strategies for Radioactive Waste Management. Nuclear Energy Series Guide No. NW-G-1.1. International Atomic Energy Agency, Vienna, 2009. https://wwwpub.iaea.org/MTCD/Publications/PDF/Pub1093_scr.pdf.

(4) Policies and Strategies for Managing Non-Fuel Radioactive Waste. Petition number 411 to the Auditor General of Canada, September 21, 2017, sommaire et réponses sur
http://www.oag-bvg.gc.ca/internet/English/pet_411_e_42850.html,
pétition en entier sur https://tinyurl.com/AG-petition-411

(5) Radioactive Waste Policy Framework. Natural Resources Canada, Ottawa, 1996.
https://www.nrcan.gc.ca/energy/uranium-nuclear/7725

(6) CNSC Disposition Table of Public and Aboriginal Groups’ Comments on Project Description – Near Surface Disposal Facility Project.
http://www.ceaa-acee.gc.ca/ 050/documents/p80122/118862E.pdf

(7) CNSC Disposition Table of Public and Aboriginal Groups’ Comments on Project Description – Nuclear Power Demonstration Closure Project.
http://www.ceaa- acee.gc.ca/050/documents/p80121/118857E.pdf

(8) CNSC Disposition Table of Public and Aboriginal Groups’ Comments on Project Description – In Situ Decommissioning of Whiteshell Reactor #1 Project.
http:// www.ceaa-acee.gc.ca/050/documents/p80124/118863E.pdf

(9) Lettre à M. Yukiya Amano de l’IAEA de M. Ole Hendrickson de Concerned Citizens of Renfrew County and Area, “IAEA Review of Canada’s Radioactive Waste Management Practices”. March 5, 2018.

(10) Building Common Ground: A New Vision for Impact Assessment in Canada. The final report of the Expert Panel for the Review of Environmental Assessment Processes. April 2017.
https://www.canada.ca/en/services/environment/ conservation/assessments/environmental-reviews/environmental-assessment- processes/building-common-ground.html