Le dur désir de durer

2018/05/01 | Par Pierre Dubuc

Il y a 34 ans aujourd’hui, le Premier Mai 1984, paraissait le premier numéro de l’aut’journal. Ce n’était évidemment pas un hasard si nous avons choisi la Journée internationale des travailleuses et des travailleurs pour la parution de ce premier numéro. Les intérêts de la classe dirigeante étaient bien représentés dans les grands médias traditionnels contrôlés à l’époque par trois empires familiaux, ceux des familles Desmarais, Péladeau et de Conrad Black, mais l’aut’point de vue sur l’ensemble des questions d’actualité, celui des travailleuses et des travailleurs, c’est-à-dire celui de l’immense majorité de la population, était balayé sous le tapis.

Depuis, l’empire de Black est passé sous la coupe de la famille Desmarais et l’histoire se souviendra de Conrad Black pour les 37 mois passés en prison aux États-Unis pour fraude et entrave à la justice. Aujourd’hui, la famille Desmarais fait l’objet d’une enquête en Europe parce que le cimentier Lafarge, une des filiales de Power Corporation, a financé des groupes terroristes, dont l’État islamique, pour maintenir en activité sa cimenterie en Syrie. Quant à Pierre Karl Péladeau, il a acquis, au fil des ans, la réputation de « roi des lock-out ».
 

Un nouveau paysage médiatique

Au cours de ce tiers de siècle, le paysage médiatique a subi de profondes transformations. Il y a d’abord eu le phénomène de la convergence des journaux et de la télé (Journal et TVA; La Presse et Radio-Canada), amplifiée par la suite avec l’apparition des sites Internet de ces grands médias.

Aujourd’hui, ces patrons de l’information voient leur domination contestée, non pas par une presse progressiste, mais par les géants du numérique (Facebook, Google, etc.), qui leur raflent leurs revenus publicitaires, si bien qu’on voit des journaux comme La Presse pleurnicher sur les épaules des gouvernements pour obtenir un soutien financier en se drapant dans le drapeau de la défense du « droit à l’information ».

Mais ce « droit à l’information » ne comprend pas une couverture significative des conflits des travailleurs, des activités syndicales et de la condition ouvrière. À cet égard, la question des femmes est une des plus révélatrices du caractère de classe des grands médias. Le sujet le plus prisé est le peu de présence des femmes au sein des conseils d’administration des grandes corporations. Peu d’attention est accordée à la discrimination salariale et à la précarisation de l’emploi dont sont victimes un nombre toujours croissant de travailleuses.

Les points de vue progressistes sur les enjeux majeurs de la société se retrouvent aussi à la marge. Pour ne prendre que quelques exemples, soulignons l’absence de campagnes des grands médias contre les paradis fiscaux, les compressions dans les services publics, les subventions publiques aux écoles privées. Peu ou pas d’intérêt également pour une défense conséquente de l’environnement, la promotion de la laïcité ou une analyse objective et scientifique de la situation du français et une promotion des législations nécessaires pour assurer sa pérennité au Québec.
 

Le journal de la gauche indépendantiste

Outre ces causes, l’aut’journal est également reconnu pour son parti-pris en faveur de l’indépendance du Québec. Cette position s’appuie sur une analyse constamment mise à jour de l’oppression économique, politique, culturelle et linguistique du Québec dans le cadre du fédéralisme canadien. Tout au long de son histoire, l’aut’journal a milité pour la participation des progressistes et des syndicalistes à la lutte politique et pour l’indépendance du Québec. Notre contribution a pris différentes formes au cours des années, selon les conjonctures politiques, comme nous l’avons rappelé dernièrement en soulignant le rôle de l’aut’journal dans la cadre du rassemblement de la gauche dans la perspective d’un scrutin proportionnel, puis, lorsque cette avenue a été écartée, au sein du Parti Québécois, avec le SPQ Libre.

Au cours de ces 34 années passées, l’aut’journal a accueilli dans ses pages les articles de plus de 200 militantes et militants de la gauche syndicale, progressiste et indépendantiste. Nous avons également publié de nombreux ouvrages (livres et carnets), dont on peut consulter la liste en cliquant ici. Nous avons aussi été parmi les premiers à prendre le virage technologique avec un site Internet mis à jour quotidiennement et accessible à partir de téléphones intelligents, conscients qu’il y a aujourd’hui deux modes de diffusion complémentaires de l’information, le papier et l’Internet.

Tout cela a été accompli sans subvention gouvernementale et sans publicité commerciale. C’est uniquement le soutien de notre lectorat qui nous permet d’assurer la mise à jour de notre site Internet et de publier chaque mois 20 000 exemplaires du journal papier, dont 5 000 sont postés à nos abonnés individuels et de groupe et les 15 000 autres exemplaires distribués gratuitement dans des présentoirs dans l’ensemble du Québec.

La liberté de presse a un prix

Notre budget annuel, d’environ 200 000 $, nous permet d’assumer les coûts d’impression, de distribution, de la poste, du loyer, du téléphone et d’Internet, des assurances, etc., et du salaire d’un permanent, notre secrétaire Louis Bourgea. Mais ces coûts sont en hausse. Par exemple, des hausses successives du papier au cours des derniers mois signifient un coût supplémentaire de 3 000 $ par année.

Du fait des conditions particulières du marché québécois, un marché limité à cause du bassin restreint de la population si on le compare aux marchés français ou états-unien (En France et aux États-Unis, il y a un marché pour les publications marginales; au Québec, c’est l’ensemble du marché qui est marginal), nous avons fait le pari de la gratuité de la diffusion de la majorité des exemplaires de la version papier et de l’accès à notre site Internet. Ce faisant, nous faisons aussi le pari de la générosité de nos lectrices et nos lecteurs.

Aussi, nous vous invitons à célébrer, avec nous, le début de la 35e année d’activités de l’aut’journal, un record dans les annales de la presse progressiste et indépendantiste québécoise, en vous abonnant à la version papier, en faisant un don ou en achetant nos publications.

Longue vie à l’aut’journal !

Pierre Dubuc
Directeur fondateur et rédacteur-en-chef


P.S. 1, Pour une histoire du journal, on peut consulter « L’histoire de l’aut’journal racontée par son fondateur », une production de Ferrisson, en cliquant ici.
P.S. 2. Le titre Le dur désir de durer est tiré d’un recueil de poèmes de Paul Éluard.