Équité salariale: Victoire historique pour les femmes

2018/05/17 | Par Pierre Dubuc

yuDans une décision d’une grande portée pour les femmes, la Cour suprême du Canada a déclaré discriminatoires, en vertu de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, certaines des modifications apportées en 2009 par le gouvernement Charest à la Loi sur l’équité salariale.

Carolle Dubé, la présidente de l'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), qualifie cette victoire d’« historique ». C’est son organisation qui a été la première à porter la cause devant les tribunaux et elle a défendu le point de vue syndical devant la Cour suprême avec d’autres organisations syndicales.

« La Cour a reconnu que les modifications de 2009 allaient clairement à l’encontre de l’esprit de la loi, adoptée en 1996, constate-t-elle avec satisfaction. En remplaçant une évaluation continue du maintien de l’équité salariale par une évaluation les tous les cinq ans, sans rétroactivité, la loi était discriminatoire à l’égard des femmes ».


Rappel

En 1996, le gouvernement du Parti Québécois a adopté la Loi sur l’équité salariale pour remédier à la discrimination salariale systémique à l’égard des femmes. Elle obligeait les employeurs à verser un salaire égal pour un travail de valeur égale. Une fois l’équité salariale atteinte, la loi imposait aux employeurs l’obligation de maintenir cette équité et de faire les ajustements salariaux nécessaires. Cela s’appliquait lors de la création de nouveaux emplois ou de nouvelles catégories d’emplois, de modifications aux emplois existants ou lors de la négociation d’une nouvelle convention collective.

La loi conférait aussi aux salariés le droit de contester toute omission des employeurs et d’obtenir qu’il soit sans délai remédié à la situation. Dans de tels cas, il était alors possible de déposer une plainte devant la Commission de l’équité salariale, qui devait faire enquête, et, le cas échéant, remédier à la situation. La Commission avait le pouvoir d’ordonner des ajustements salariaux rétroactivement à la date à laquelle l’iniquité salariale était réapparue, portant intérêt à compter du moment où ils auraient dû être versés.

En 2009, le gouvernement Charest a remplacé l’obligation continue de maintenir l’équité salariale par un système d’évaluations obligatoires tous les cinq ans. L’affichage des résultats de ces évaluations n’obligeait pas d’indiquer la date à laquelle l’iniquité salariale était apparue. Désormais, les ajustements salariaux ne s’appliquaient qu’à compter de la date de l’affichage. De plus, faute de renseignements nécessaires dans l’affichage, il devenait difficile de contester les décisions de l’employeur.


Le cas des physiothérapeutes

Carolle Dubé donne l’exemple de deux catégories de ses membres touchées par les modifications du gouvernement Charest. « En 2009, les exigences de diplômes ont été modifiées pour les ergothérapeutes et les physiothérapeutes. L’obligation de détenir dorénavant une maîtrise aurait dû normalement entraîner un rangement supérieur sur l’échelle de l’équité salariale et un ajustement salarial. Lors de l’évaluation périodique de 2010, les ergothérapeutes l’ont obtenu. Mais pas les physiothérapeutes ! Ces professionnelles se sont senties lésées, à juste titre. Nous avons pu, par la suite, négocier une certaine reconnaissance, mais elles ont dû attendre cinq ans, soit l’évaluation de 2015, pour leur rangement supérieur et cela sans toucher de rétroactivité ! », relate celle dont l’organisation représente près de 2 200 physiothérapeutes.


Inégalité du rapport de force

La Cour suprême a jugé que les modifications apportées en 2009 étaient discriminatoires « parce que le refus des paiements rétroactifs dans le cas des iniquités salariales apparues au cours de la période comprise entre les évaluations entraînait des pertes financières importantes pour les femmes et perpétuait indûment l’iniquité salariale. »

Le plus haut tribunal du Canada considère que les hommes reçoivent une rémunération liée à la valeur de leur travail « comme si cela allait de soi », alors que les femmes sont censées « endurer des périodes de cinq ans d’iniquité salariale et recevoir une rémunération égale uniquement lorsque leur employeur agit volontairement de manière non discriminatoire ».

De façon un peu étonnante, la Cour suprême s’est aventurée sur le terrain du rapport de force entre les employeurs et les salariés. Selon elle, « le régime, en privilégiant les employeurs, renforce l’un des facteurs-clés de l’iniquité salariale : l’inégalité du rapport de force entre les employeurs et les travailleuses ».

Elle stigmatise le parti-pris du gouvernement en faveur du patronat en affirmant que « le législateur envoie le message selon lequel il ferme les yeux sur cette inégalité du rapport de force, perpétuant ainsi davantage le désavantage ».


Des arguments-bidons

La Cour taille également en pièces l’argumentaire du gouvernement Charest justifiant les modifications de 2009.  Il avait pris prétexte de l’ampleur du non-respect de la loi pour réduire l’obligation des employeurs de maintenir l’équité salariale dans l’espoir que le fait d’alléger ces lourdeurs « encouragerait davantage d’employeurs à respecter volontairement la loi ».

Dix ans après l’adoption de la loi, seulement 47 % des employeurs avaient établi un programme d’équité salariale. Parmi ceux qui ne l’avaient pas fait, 38 % n’avaient même pas entamé le processus visant à établir un tel programme !

La Cour examine l’argument du gouvernement selon lequel son objectif était d’« accroître le respect de la loi en rendant le régime plus ‘‘réaliste’’ » et qu’une interprétation possible des modifications apportées au régime était  « d’établir un ‘‘compromis’’ visant à éviter les lourdeurs financières et administratives que représenterait la rétroactivité pour les entreprises »

Mais, après examen de la situation, la Cour ne voit « aucune preuve empirique ou autre » de l’atteinte de cet objectif. Elle ajoute même qu’« aucune preuve n’indique que le Québec a déployé un effort véritable pour veiller au respect de la loi par les employeurs ».

Au contraire, la Cour considère que « l’employeur se voit ainsi effectivement accorder une amnistie pour la discrimination entre les évaluations ». Cela envoie aux employeurs, soutient-elle, « un message de politique générale selon lequel le non-respect des obligations légales qui leur incombent en application de la loi sera récompensé par une diminution de celles-ci ». Elle ajoute que « les travailleuses pour leur part reçoivent comme message que c’est à elles de supporter le fardeau financier du manque d’empressement de l’employeur ».

Pour Carolle Dubé, l’arrêt de la Cour suprême est une grande victoire, non seulement pour les 55 000 membres qu’elle représente, mais pour toutes les femmes du Québec. En même temps, toute cette saga démontre que « les gains de nos luttes sont toujours fragiles, toujours menacés ». Et aux journalistes qui lui demandent, depuis la publication de l’arrêt de la Cour, « Combien ça va coûter? », elle répond avec aplomb : « Notre société ne doit pas tolérer la discrimination basée sur le sexe, point final ».

 

Photo : APTS