Négocier sa dépendance

2018/05/25 | Par Simon Rainville

Je viens de vivre une expérience unique. Après la lecture attentive de l’essai de Jean-François Simard intitulé L’idéologie du hasard : retour sur la question nationale, je suis incapable de vous dire quelle proposition nouvelle est promue.

Ancien ministre péquiste sous Bouchard, Jean-François Simard a d’abord milité au sein du PLQ. C’est sans surprise qu’on le voit aujourd’hui se présenter pour la CAQ de Legault. Il y a là une constante : il penche à droite.

Son essai est une grossière manœuvre cherchant à mettre un peu de chair intellectuelle sur le projet simpliste des caquistes : détruite les acquis de la Révolution tranquille, l’État québécois et les volontés indépendantistes en appelant au pragmatisme de droite et au remplacement du patronage du PLQ par celui de la CAQ au nom d’une « politique d’affirmation nationale », dont nous ne saurons rien.

Comme tout un chacun, Simard prend acte de notre « triple impasse nationale, voyant le Québec à la fois incapable de quitter le Canada, mais paradoxalement sans projet substantiel pour le réformer et sans volonté d’y adhérer. Nous attendons passivement le je ne sais trop quoi qui viendrait rompre cet équilibre sans avenir ».

Sont principalement visés l’indépendantisme péquiste, qui se nie en attendant les conditions gagnantes, et le fédéralisme satisfait et inoffensif de la Politique d’affirmation du Québec du PLQ, qui se résume à dire que le Québec aime le Canada et que l’on souhaite redevenir de gentils Canadiens.

Il est vrai que l’imprévisibilité de ces « stratégies » a des conséquences délétères sur notre vie politique actuelle. Or, l’indécision, l’attente, est malheureusement le lot de notre histoire. Cette longue tradition de l’entre-deux, plusieurs l’ont sondée, sous des termes aussi variés que « permanence tranquille », « division » et « fatigue culturelle ». De ces analyses, Simard ne parle pas.

Reposant sur une série d’anecdotes, de clichés et de mythes, l’essai est plutôt un appel à l’extrême centre – loin des idéologies, près du consensus, nous dit Simard. Comme si la droite caquiste « autonomiste » était exempte d’idéologie!

Même si l’auteur affirme que son livre « transcende largement le continuum gauche-droite », il est une faible attaque contre la gauche en général, et le PQ et QS en particulier, dont l’indépendantisme serait tourné vers le « messianisme étatique », c’est-à-dire un « projet de grossissement de l’État provincial ».

« Nous avons longtemps opté pour le choix des extrêmes, pourrions-nous désormais envisager la synthèse », demande Simard? Mais avons-nous réellement essayé l’un ou l’autre des « extrêmes » ? Avons-nous été au bout des voies indépendantiste et fédéraliste ?

La voie indépendantiste extrême proposerait une rupture complète et immédiate du Canada. Or, ni la souveraineté-association de Lévesque, ni le nouveau partenariat de Parizeau ne s’en sont approchés. À l’inverse, avons-nous vraiment essayé d’être parfaitement fédéralistes et canadiens, sans aucune velléité de société distincte ?

Quoi qu’il en soit, Simard nous dit sérieusement qu’il faut briser cette imprévisibilité… en ouvrant un nouveau dialogue avec le Canada. Il semble que la stratégie de la CAQ de laisser notre destinée au bon vouloir canadien ne soit pas du hasard, mais du pragmatisme.

Repartir pour une énième joute constitutionnelle, symbole de l’échec répété du Québec au sein du Canada depuis Honoré Mercier à la fin du 19e siècle, voilà la « nouveauté » de ce « jeune parti » aux idées vieilles de 100 ans.

Propose-t-il de nouveau un humiliant « beau risque » ? Même pas, avoue-t-il : une simple discussion sans condition préalable. Malgré deux référendums, dont le dernier au résultat plus que serré, le Canada n’a en rien changé. Pourquoi le ferait-il aujourd’hui ? Nous ne le saurons pas.

Le plus triste est que Simard se dit pourtant toujours souverainiste de cœur et voit tous les pièges du Canada, mais il propose de regagner ce pays schizophrène puisqu’il préfère maintenant s’occuper « des vraies affaires ». « J’ai choisi de m’investir dans la construction du ‘‘pays réel’’ », affirme-t-il le plus sérieusement du monde en reprenant « l’argument » des Libéraux, comme si la recherche de l’indépendance empêchait de travailler à d’autres projets.

L’attitude de Parizeau, en 1995, qui proposait de se cracher dans les mains et de recommencer le combat, ajoute-t-il, « fut de mise », mais « elle ne correspond plus aux besoins de notre époque ». Pourquoi ? Nous ne le saurons pas.

Ce qui justifie son adhésion à l’autonomisme caquiste est que le Québec serait en voie de nier le paradigme interprétatif lié à l’École historique de Montréal, qui fait de la Conquête un mal absolu et de la cohabitation avec les anglophones une domination larvée, voire une colonisation subtile. Ce paradigme n’aurait plus raison d’être aujourd’hui. Pourquoi ? Nous ne le saurons pas.

Pour remplacer ce nationalisme qu’il croit inutilement revendicateur et polarisant, Simard plaide « en faveur d’un nationalisme au caractère républicain ». Comment le faire advenir en demeurant une province d’une monarchie parlementaire et une minorité du Canada plutôt qu’une majorité au sein d’une République québécoise ? Nous ne le saurons pas.

Il semble cependant que la situation particulière du Québec au sein du Canada ne soit plus problématique puisque l’essayiste affirme que les Québécois ont maintenant une « assurance culturelle ». Où la voit-il ? Nous ne le saurons pas.

Quoi qu’il en soit, il y a un rêve de « permanence tranquille », pour citer Jonathan Livernois, dans cette volonté de nier les 50 dernières années, de penser pouvoir retourner bêtement au statut de « province pas comme les autres » du Canada. Alors que la Révolution tranquille a souvent voulu nier le Canada français, c’est le Québec distinct que la CAQ – et le PLQ - cherchent à liquider.

Simard tient pour acquis que le Canada croit encore au mythe des deux peuples fondateurs. Le multiculturalisme qu’il honnit est pourtant la négation du biculturalisme dont il se réclame.

Dans une autre contradiction dont il a le secret, il affirme d’ailleurs à plusieurs reprises que nous sommes de plus en plus trudeauistes, ce qui ne l’empêche pas d’écrire que « le pari de Laurin a transformé la société québécoise beaucoup plus profondément que le pari de Pierre Elliot Trudeau ».

Il est par ailleurs révélateur que Simard réduise les différends entre le Québec et le Canada a des accommodements politiques et juridiques, ce qui lui fait affirmer : « Mon nationalisme ne s’est jamais construit à l’encontre du Canada. Nos identités s’interpénètrent. Elles sont – du moins, elles furent longtemps – présentes l’une à l’autre. D’ailleurs, comment pourrions-nous mépriser un peuple avec lequel nous avons tant besoin de préserver un nécessaire partenariat ».

C’est bien là le problème : voir le Canadien comme un compatriote, un allié. Pourquoi quitter un proche ? Et pourtant nos identités ne s’interpénètrent plus depuis longtemps. Il le dit lui-même, mais est incapable d’en mesurer les conséquences.

Je ne crois pas que nous ayons à mépriser les Canadiens, seulement à comprendre qu’ils forment un autre peuple. Je ne déteste pas les Américains, sans pour autant vouloir faire partie des États-Unis. La logique est la même.

À la fin de son livre, Simard admet : « J’ai le sentiment de ne pas avoir dépassé l’introduction du livre que j’aurais vraiment souhaité écrire ». Je ne sais pas ce qu’il souhaitait écrire, mais il ne fait pas de doute que son texte ressemble à un prologue bâclé. J’attendrai donc qu’il écrive les chapitres et la conclusion.

À moins qu’il ne les ait pas écrits parce qu’il n’y a rien à écrire, parce que le « processus » qu’il propose est vain, parce qu’il marche lui-même dans l’idéologie du hasard ? Son chef n’a-t-il pas longtemps eu pour seule réponse : « On verra » ? Suivre la CAQ, c’est voter pour la pire imprévisibilité. Sortir du hasard, c’est quitter le Canada.