Les accommodements religieux en milieu scolaire : une pente dangereuse

2018/05/28 | Par Louise Mailloux

L’école n’est pas une institution publique comme les autres parce qu’en plus de transmettre des connaissances, elle joue un rôle idéologique primordial dans la transmission de valeurs et la socialisation des individus. Elle est aussi la seule institution dont la fréquentation est obligatoire, et s’échelonne sur plusieurs années.

Le milieu de l’éducation, vu son importance stratégique, représente donc un enjeu majeur pour les religions qui ont compris qu’il est encore plus important de se tenir à l’école que dans les hôpitaux, mais l’école représente aussi un enjeu économique capital pour l’entreprise privée qui cherche à attirer une main-d’œuvre immigrante, à lui faciliter la vie en rendant l’offre la plus attrayante possible. Et pourquoi pas avec un milieu scolaire accommodant la diversité religieuse?

Salles de prières dans les universités, kirpan dans les écoles, refus de la mixité sportive, demande d’exemption des cours de natation, port du burkini, demande d’exemption de sorties scolaires, viande halal pour les enfants des CPE, refus d’un cours de musique, demande de report d’examen à cause du shabbat ou du ramadan, demande de congé pour fêtes religieuses, autorisation du niqab pour les étudiantes de Concordia. Bref, Dieu est de retour parmi nous où, d’accommodement en accommodement, les religions reconquièrent pouce après pouce, des espaces qui, au Québec, avaient été laïcisés après de durs et longs combats.

Avant le début des audiences publiques de la commission Bouchard-Taylor (B-T), on avait déjà ciblé le milieu de l’éducation comme étant celui par où les accommodements devaient commencer, sachant très bien que l’accommodement en milieu scolaire est la pierre angulaire qui servira de porte d’entrée pour redonner aux religions leur pleine légitimité dans tout l’espace civique.

Au printemps 2007, on a donc réuni des acteurs clés du milieu de l’éducation pour des journées d’études. Au total, 225 participants dont 15% provenaient du monde religieux. Fait à noter, ni le Mouvement laïque québécois (MLQ), ni aucun défenseur de la laïcité n’ont été convoqués à ces journées d’études, alors que plusieurs personnes invitées sont devenues des acteurs importants dans la défense d’une laïcité ouverte aux religions. Voilà comment dans la plus absolue discrétion, on a préparé le terrain avant le show des audiences publiques.

En novembre 2007, le Comité consultatif sur l’intégration et l’accommodement raisonnable en milieu scolaire présente à la ministre de l’Éducation, son rapport dans lequel il est écrit que « 16 % de l’ensemble des demandes d’accommodements sont liées à la diversité linguistique, 1,9 % sont liées à la diversité ethnoculturelle et, tenez-vous bien, 78,2 % sont liées à la diversité religieuse ».

Concernant les cégeps, dans le mémoire présenté à la Commission B-T par le Service interculturel collégial, on constate que toutes les demandes d’accommodements qui sont faites, le sont pour des motifs religieux, que « les demandes ne représentent plus des situations exceptionnelles, mais un phénomène de plus en plus présent, surtout dans les cégeps de la région de Montréal ».

Quelques mois plus tard, le rapport B-T est déposé, lequel mentionne que « L’orientation préconisée dans le traitement des demandes d’accommodement doit s’accompagner d’importantes mesures. La responsabilisation des acteurs des milieux institutionnels suppose qu’ils ont reçu une formation adéquate, particulièrement les futurs enseignants… D’une manière ou d’une autre, il faudra faire en sorte que, dans le monde scolaire, on évite d’imposer à des élèves des pratiques contraires à leurs croyances, dans les limites de la contrainte ‘‘excessive’’ ».

Les commissaires ne veulent pas de loi sur la laïcité. Ils souhaitent plutôt contourner l’État et s’en remettre aux Chartes et aux juges, mais ils veulent en même temps éviter la judiciarisation dans le traitement des demandes d’accommodement et optent pour ce qu’ils appellent des ajustements concertés, des ajustements au cas par cas, gérés par un personnel ayant reçu une formation aux droits individuels et aux Chartes, préalable essentiel au fondement de l’accommodement raisonnable. Une formation donnée, comme cela se fait depuis de nombreuses années, par des représentants de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ) et des consultants en interculturalisme.

Former le personnel et accommoder au cas par cas. N’est-ce pas justement ce qu’a proposé récemment la ministre Vallée concernant la loi 62 et les modalités d’application des accommodements religieux dans les organismes publics? On a beaucoup critiqué la ministre et avec raison, mais elle n’a rien inventé. Elle n’a fait que mettre en application les recommandations du rapport B-T qui date de 2008 et rendre officiel ce qui se fait officieusement depuis plus de 10 ans dans le milieu scolaire.

Superbement orchestrées par les experts en pluralisme, ces mesures sont mises en oeuvre depuis longtemps. Le personnel est en place, les réseaux d’intellectuels et d’universitaires vivant de l’immigration et des questions relatives à la diversité sont constitués, les programmes existent et l’argent est là.

Concernant le secteur privé, dans le mémoire de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) présenté sur la Charte des valeurs, on souligne qu’à l’internationale, ce projet de loi va nuire à l’image du Québec et rendre difficile les efforts pour attirer des talents provenant de l’immigration, alors que l’augmentation de la main-d’œuvre se fait essentiellement par l’immigration. Pour la période 2008-2012, 36,9 % des immigrants dits économiques proviennent d’Afrique. Près de 25 % d’Afrique du Nord. Et la Fédération d’ajouter : « On sait tous qu’une forte proportion de ressortissants d’Afrique, en particulier du Maghreb, est de confession musulmane. Quel message reçoivent-ils du Québec depuis quelques mois ? ». Souvenons-nous que c’était l’interdiction du port de signes religieux, dont le voile islamique, qui était contestée.

De son côté, la Centrale des syndicats démocratiques du Québec qui regroupe majoritairement des travailleurs du secteur privé, dans son mémoire présenté à la Commission Bouchard-Taylor, insiste sur l’obligation d’accommodement pour rendre les milieux de travail plus inclusifs. Ajouter à cela, la régionalisation de l’immigration qui ira en grandissant et d’ici quelques décennies, le Québec au grand complet va se faire ramadaniser.

Pour attirer des travailleurs étrangers, le milieu scolaire et celui du travail doivent être très accueillants, très conciliants et très flexibles sur les accommodements religieux. Et il serait illusoire de croire que l’école puisse échapper à cet impératif économique et ne pas subir les contrecoups de la mondialisation. Faciliter le libre marché de la main-d’œuvre conformément aux intérêts d’une économie néo-libérale, voilà un enjeu inévitable qui ne sera pas sans conséquence sur la laïcité de nos institutions, notamment dans le monde scolaire.

Accommoder, c’est permettre à un individu de se soustraire à la règle commune pour des motifs religieux. C’est accorder à un individu un droit différent de celui de tous et renier l’universalisme des Lumières. C’est échanger, au nom de la croyance, l’égalité des citoyens pour l’équité et renoncer à une citoyenneté pleine et responsable. C’est dédaigner ce que nous avons en commun comme histoire, comme culture, comme valeurs et comme destin. Refuser pour Dieu ce que nous pourrions avoir en commun comme peuple et comme nation et introduire l’influence du temple ou de la mosquée à l’école, alors que nous avons écarté celle de l’église.

Par la pratique des accommodements, la religion impose ses règles et ses signes dans tout l’espace scolaire, attestant ainsi que la loi de Dieu est supérieure à celle des hommes.

En permettant cela, nous acquiesçons aux revendications des plus intégristes et ouvrons un boulevard à ceux qui combattent la laïcité et font de leur foi, une cause politique. C’est aussi abandonner les jeunes à ces fous de Dieu et les enfermer dans une identité religieuse qu’ils ne souhaitent pas forcément, les privant par surcroît de moyens et d’arguments pour s’opposer aux pressions communautaristes.

Alors que l’idéal républicain insiste pour que le monde scolaire demeure un rempart contre les particularismes religieux et protège la liberté de conscience des jeunes, on constate de plus en plus notre impuissance institutionnelle à préserver la culture laïque de nos institutions.

En faisant de la pratique des accommodements une obligation et une norme, on va ancrer une culture des accommodements religieux dans nos institutions publiques, laissant ainsi la religion structurer de plus en plus la vie de celles-ci et mettre en péril les efforts et les avancées que nous avons obtenus au Québec en matière de laïcité.

Dans le contexte mondial actuel, où nous sommes témoins de la montée de l’islamisme et où, bien des pays occidentaux sont confrontés à de nouveaux défis sur la laïcité, l’accommodement pour motif religieux témoigne d’un aveuglement inouï, d’une légèreté déconcertante et d’une grave inconséquence de la part de la classe politique.

Nous savons tous qu’il existe ici même au Québec des associations qui se réclament de la pensée des Frères musulmans ou qui sont pro-khomeynistes. Ces gens sont actifs dans leur communauté et auprès des politiciens. Ils ont en commun de vouloir imposer ultimement la charia et utilisent différents moyens pour parvenir à leurs fins. L’entrisme du religieux dans nos institutions publiques par différentes demandes d’accommodement est l’une de leur meilleure stratégie.

La solution est toute simple, c’est de refuser tout accommodement pour motif religieux. Malheureusement l’ensemble des politiciens prennent pour acquis l’obligation d’accommoder. Et il n’y a pas à ce jour de volonté politique pour que cesse ces pratiques. Cette mollesse est lourde de conséquences et constitue une pente dangereuse. C’est ne pas voir plus loin que le bout de son nez. Voir la prochaine élection plutôt que l’avenir de tout un peuple.