Syndicalisme : quelle couleur prendra demain le caméléon Legault?

2018/08/17 | Par Marc Laviolette et Pierre Dubuc

Respectivement président et secrétaire du SPQ Libre

En 2014, s’inspirant de Stephen Harper, François Legault avait inscrit dans sa plate-forme électorale l’obligation pour les syndicats de dévoiler leurs états financiers, de tenir des votes secrets et d’utiliser les cotisations de leurs membres à des fins non partisanes.

Aujourd’hui, Legault affirme que, si la CAQ forme le prochain gouvernement, il n’exigera pas des syndicats plus de « transparence » et de « démocratie ». Il faut, déclare-t-il, «  savoir choisir nos batailles ». Tout est donc affaire, non pas de conviction, mais de conjoncture.

Au cours d’un mandat de quatre ans, le vent peut à nouveau tourner.  À Ottawa, la réélection de Justin Trudeau est loin d’être assurée. En Ontario, un émule de Trump, le conservateur Doug Ford, vient d’accéder au pouvoir. Le vent d’antisyndicalisme qui sévit présentement aux États-Unis pourrait fort bien balayer à nouveau le Canada et le Québec et caméléon Legault changer de coloration.
 

Lourde défaite syndicale aux États-Unis

Au mois de juin dernier, la Cour suprême des États-Unis a jugé que le prélèvement obligatoire de cotisations syndicales violait la liberté d’expression reconnue dans le Premier Amendement de la Constitution, infligeant une lourde défaite au mouvement syndical. Dans l’arrêt Janus vs American Federation of State, County and Municipal Employees, la Cour a décrété qu’en dépit des lois obligeant les syndicats du secteur public à représenter tous les travailleurs d’un même lieu de travail, ils ne pouvaient imposer des cotisations obligatoires aux non membres du syndicat pour défrayer les coûts de la négociation.

Cette décision touche 7 millions d’employés syndiqués gouvernementaux et municipaux de 22 États, dont 58 % sont des femmes et 33% sont membres de minorités ethniques.

Les conséquences s’annoncent désastreuses. Déjà, la National Education Association (NEA), le plus important syndicat du secteur public avec 3 millions de membres, s’attend à perdre 370 000 adhérents au cours des deux prochaines années. Dès le départ, la NEA doit renoncer aux cotisations de 88 000 enseignants non membres, qu’elle doit néanmoins représenter lors de la négociation de conventions collectives. La NEA avait déjà perdu 300 000 membres entre 2010 et 2015.  Lors de son récent congrès, les 8 000 délégués de la NEA ont dû retrancher 50 millions $ au budget biennal et procéder à la suppression de 40 postes à la permanence de l’organisation.

Les syndicats s’attendent à une attaque en règle de la part de certaines commissions scolaires mais, surtout, des nombreuses organisations, lobbies et think tank de droite, regroupés dans le State Policy Network et grassement financés par les frères Koch et des entreprises comme AT&T, Verizon, Exxon Mobil, Coca-Cola, etc.

Déjà, selon le site Internet The Intercept, des commissions scolaires exigent des syndicats qu’ils présentent de nouvelles preuves d’adhésion de leurs membres, bien que l’arrêt Janus ne le requiert pas. Dans les États de New York, du Maryland, de la Californie et de Washington, des sections de la NEA font l’objet de recours collectifs pour le remboursement de cotisations versées avant l’arrêt Janus!

Le State Policy Network veut rejoindre 5 millions d’enseignants et autres employés des services publics touchés par l’arrêt Janus, pour les inciter à mettre fin au paiement de leurs cotisations, en s’inspirant de la campagne agressive menée par la Freedom Fondation, il y a deux ans, avec des robots-calls, du porte-à-porte et des publicités ciblées sur les réseaux sociaux en direction de 10 000 employés à temps partiel des États de Washington et de l’Oregon.
 

La riposte syndicale

Bien que cela ne soit pas légalement nécessaire, la NEA et l’American Federation of Teachers (AFL) ont entrepris auprès de leurs membres une campagne de signatures de nouvelle adhésion. Selon l’AFL, 500 000 de ses 800 000 membres ont renouvelé leur adhésion.

Des syndicats veulent tester les contours de la loi en demandant à leurs membres de signer des formules d’adhésion avec renouvellement automatiquement chaque année, à moins d’une révocation explicite. D’autres prônent une adhésion automatique dès l’embauche, à moins que soit exprimé par écrit le souhait contraire. La reconnaissance de ces pratiques par les tribunaux est d’autant plus incertaine que l’administration Trump procède actuellement à la nomination à grande échelle de juges conservateurs dans l’ensemble du pays.
 

L’impact politique : l’exemple du Wisconsin et du Michigan

Historiquement, le Wisconsin et le Michigan étaient des États progressistes et des châteaux forts syndicaux. Mais ils font partie, depuis 2013 et 2015, du club des 28 États avec des législations antisyndicales « right-to-work ».

Dès 2011, le gouverneur Scott Walker, nouvellement élu, avait limité le droit à la négociation collective des syndicats du secteur public aux salaires – tout dépassement de l’indice du coût de la vie devant faire l’objet d’un référendum –, supprimé la perception automatique des cotisations syndicales et obligé la tenue d’un vote syndical tous les ans pour valider la « légitimité » des accréditations.

Résultat : le Wisconsin Education Association Council, membre de la NEA, a perdu 60% de ses membres, qui sont passés de 100 000 à 36 000. Au Michigan, les effectifs de la Michigan Education Association sont passés de 113 147 à 90 609 membres, soit une perte de 20%.

Traditionnellement, les syndicats états-uniens ont été d’importants contributeurs aux caisses électorales du Parti Démocrate. Selon le Center for Union Facts, les syndicats auraient versé, entre 2012 et 2015, environ 530 millions $ au Parti démocrate et à des groupes de gauche.

La dernière élection présidentielle a permis de mesurer les effets de la déconfiture syndicale. Donald Trump a remporté ces deux États et leurs 26 grands électeurs, avec de très minces majorités, 47,9% à 46,9% dans le cas du Wisconsin et de 47,6% contre 47,3% dans celui du Michigan.

Pas étonnant que, lors de la publication de l’arrêt Janus, Trump se soit exclamé dans un tweet: « Grosse perte pour les caisses des Démocrates ! »
 

Des leçons pour le Québec

En 2011, Stephanie Bloomingdale, la secrétaire-trésorière pour le Wisconsin de la grande centrale syndicale américaine AFL-CIO, qui a mené une lutte épique pour la destitution du gouverneur Scott Walker, était venue au Québec, à l’invitation du SPQ Libre. Son message aux syndicalistes québécois était que le mouvement syndical du Wisconsin avait fait l’erreur impardonnable de ne pas se mobiliser pour bloquer l’élection du candidat républicain Scott Walker au poste de gouverneur de l’État, lors des élections de novembre 2010. « Les élections, ça compte ! », avait-elle proclamé.

À méditer par ceux qui voudraient enregistrer un vote « stratégique » pour la CAQ afin de se débarrasser des libéraux.