Kofi Annan (1938 -2018), l’ONU en deuil

2018/08/28 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est co-président d’honneur du Mouvement Québécois pour la Paix

Célébrer la mémoire de Kofi Annan, premier Secrétaire général noir de l’ONU, s’impose et les médias officiels ont fait connaître les panégyriques adressés par les Canadiennes Louise Fréchette et Louise Arbour à l’égard de ce grand homme qu’elles ont su seconder au cours de son mandat de 1997 à 2006.

Deux zones d’ombre altèrent hélas, à mon avis, les mérites de ce diplomate exceptionnel : en début de mandat, son recours à l’OTAN contre la Serbie à propos du Kosovo qu’une propagande orchestrée par les médias occidentaux a dépeint victime d’un génocide en devenir. Il est vrai que le massacre de Srebrenica venait d’avoir lieu en 1994 en ayant rendu impossibles des relations harmonieuses entre Bosnie-Herzégovine et Serbie. Mais un mandat diplomatique fort n’aurait-il pas pu aplanir les réels obstacles à la paix que vivaient au Kosovo et en la zone frontalière serbe les communautés chrétiennes orthodoxes et musulmanes de l’ancienne Yougoslavie? Fallait-il bombarder la Serbie, même si la Cour Pénale de La Haye a montré un Milosevic enfermé dans une intransigeance coupable, peu propice à négociation diplomatique? Une fois que l’OTAN entre en scène, de telles questions ne se posent hélas plus, ses obus destructeurs font loi…

En fin de vie, on ne peut pas dire que Kofi Annan s’est illustré dans sa mission de paix en Syrie. N’a-t-il pas suffi que récemment la CIA, l’OTAN et l’Arabie saoudite soient enfin accusés dans les médias de fomenter et financer des attaques terroristes envers ce pays, pour qu’avec l’aide de l’Iran et de la Russie, il commence à se relever de ses ruines? Les Artistes pour la Paix ont joué un minuscule rôle dans le renversement de situation médiatique où les gouvernements français et le guerrier Bernard-Henri Lévy, de triste réputation en Libye (mais le magazine le Point lui ouvre encore ses pages régulièrement!!!) furent confrontés à leur passé colonialiste en Syrie. Car nous avons reçu dès 2013 Mère Agnès-Mariam de la Croix[1] qui a su percer à jour le fanatisme des hordes de l’État islamique financées par des sources mystérieuses et moins mystérieuses, cf les rôles de plus en plus éclairés de ciment Lafarge et des Casques Blancs! S’il y a une seule cause de se réjouir que Donald Trump ait battu Hilary Clinton, ce serait bien le désengagement militaire des États-Unis en Syrie suite à son élection…

Kofi Annan, tout au long de son mandat, a été victime de racisme de la part de dirigeants mondiaux (tel Vladimir Poutine…). Le racisme persévère contre des continents entiers dont nos médias ignorent la lutte, par exemple, contre la domination nucléaire du complexe militaro-industriel-médiatique-académique[2] car l’Afrique et l’Amérique du Sud, avec les Caraïbes, sont des ZLAN ou zones libres d’armement nucléaire, le dit-on assez ?

Et c’est dans l’indifférence médiatique - on pourrait ironiser en parlant de blackout total  - que « l’UNESCO a célébré le 23 août la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition, afin de rendre hommage aux insurgés de la liberté haïtiens de 1791 : un tournant dans l’histoire humaine, dont l’impact fut considérable pour l’affirmation de l’universalité des droits humains, dont nous sommes tous redevables. Leur courage nous impose des devoirs», ajoute madame Irina Bokova, directrice générale de l’UNESCO. On aimerait que comme le fait Désautels le dimanche à la radio avec Léo Kalinda, le Réseau de l’information de Radio-Canada s’y intéresse davantage, plutôt que de gaspiller tant de soirs de grande écoute aux Kate, Diana et Meghan de la famille royale (dans le cas de Meghan, au moins, on brise les stéréotypes trop blancs…), quand ce n’est pas deux soirs très complaisants sur Eva Braun, la maîtresse de Hitler !

Gardons aujourd’hui en tête l’importance primordiale pour contrer le racisme millénaire d’avoir vu accéder au faîte de la renommée mondiale des modèles noirs, non seulement de généreux sportifs comme Kylian M’Bappé (19 ans!) ou P. K. Subban et des artistes rayonnantes comme la regrettée Aretha Franklin ou la si vivante Angélique Kidjo, mais aussi d’hommes de pouvoir tels Barack Obama et Kofi Annan, qui ont voulu agir pour la paix, malgré les nombreux désaccords qu’on puisse entretenir envers eux.

 


[1] Lire son témoignage lors de son séjour à Montréal en décembre 2013 pour sa conférence de presse à la CSN que j’ai eu l’honneur de présider http://www.artistespourlapaix.org/?p=3268.

[2] MIMAC ou Military-Industrial-Media-Academic Complex – Sur ce sujet, lire Jan Oberg du TFF (Transnational Foundation for Peace and Future Research), organisme créé en Suède en 1986.