Kinder Morgan : M. Trudeau, acceptez le verdict!

2018/08/31 | Par Pierre Jasmin

Le gouvernement a versé hier 4.5 milliards de $ pour l’achat d’un vieux pipeline qui fuit (voir l’article du 11 juin d’Entrée libre, à la fin), au grand contentement de 99% des actionnaires texans de Kinder Morgan : il s’agit d’argent prélevé par le gouvernement Trudeau de nos impôts pour contenter ses amies pétrolières.

Or, la Cour d’appel fédérale a décidé le même jour de suspendre les travaux d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain, en blâmant le gouvernement fédéral de ne pas avoir assez consulté les Premières Nations ni les groupes environnementaux. L’Office National de l’Énergie reçoit aussi le blâme de la Cour de ne pas avoir suffisamment envisagé les conséquences néfastes possibles de l’expansion du pipeline qui triplerait son débit, donc le nombre de tankers chargés de son exportation opérant dans l’étroit détroit entre Vancouver et l’île de Vancouver. Ces accusations avaient déjà été portées dans l’article cité : merci aux jeunes du journal communautaire de Sherbrooke, ENTRÉE LIBRE, qui l’ont accueilli, comme  L’AUT’JOURNAL l’avait fait pour une première version[1].

Les deuxième et troisième paragraphes de cet article sont encore d’actualité criante, d’autant plus qu’entretemps les coûts de l’expansion ont augmenté de 7.4 à 9.3 milliards de $, additionnels aux 4.5 milliards versés hier[2]. Mais il existe une porte de sortie honorable pour que M. Trudeau ne perde pas entièrement la face (et surtout pour que les contribuables canadiens ne perdent pas 9.3 milliards de $ additionnels!) : c’est de ne pas porter la cause en Cour Suprême et de stopper l’expansion. Qu’il dénonce plutôt la décision des Conservateurs de M. Harper qui avaient vendu aux Chinois Nexen, une entreprise d’extraction de pétrole des sables bitumineux, avec une clause FIPA s’engageant à construire un pipeline. Cette information non reprise par les médias officiels canadiens fut publiée par l’aut’journal, citant Bruce Livesey du Guardian[3] et le professeur Dorval Brunelle nous informant d’une solution onusienne pour échapper à ce genre d’obligations contractuelles concoctées par des multinationales : il s’agit de l’ECOSOC (ONU)[4].

Cette page couverture du numéro (dont le thème principal était le cannabis) avait soulevé l’inquiétude de certains craignant une poursuite en libelle. Hier, le sérieux député NPD Nathan Cullen a fait rire la Chambre des Communes en posant la question si les Libéraux avaient fumé de l’herbe avant leur décision d’acheter le pipeline TransMountain!

Voici l’article d’Entrée libre qui a publié son numéro de juin à 16 000 exemplaires exposés en des présentoirs à Sherbrooke jusqu’à la mi-septembre :

 

11 juin 2018 | Pierre Jasmin  Catégorie : Environnement

Le déficit d’attention de Trudeau serait-il dû à l’abus de mari?

On peut se poser sérieusement (!) la question lorsqu’on l’a d’abord vu en décembre 2015 défendre à Paris la position du manifeste de l’Élan global rédigé par les Artistes pour la Paix et auteurs Camil Bouchard, Dominic Champagne, Jérôme Dupras pour Les Cowboys Fringants, Karel Mayrand, Gabriel Nadeau-Dubois, Éric Pineault, Annie Roy et Laure Waridel, mais qu’ensuite en 2018, les mêmes + quarante groupes citoyens doivent le supplier de retirer son appui à l’extension du pipeline Kinder Morgan.

Et pourtant, que lui coûterait de respecter la demande très raisonnable du gouvernement de Colombie-Britannique qui n’exige même pas l’arrêt de l’acheminement actuel des 300 000 barils par jour par Kinder Morgan! À l’arrogant ultimatum du 31 mai de cette dernière, les APLP ont suggéré à Trudeau la réponse suivante: non merci, ne faites pas de dépense supplémentaire pour accroître le débit de votre pipeline, car cela viendrait en contravention:

- avec l’intérêt local de toutes les terres traversées par votre pipeline et des 16 000 hectares (sic) d’eau, gérées (re-sic!) par le port de Vancouver (Wikipedia): les pétroliers risquent l’accident fatal dans l’insécurité actuelle d’un encombrement, pourtant trois fois moindre que celui projeté, du détroit entre l’île de Vancouver et la ville. Et on ne parle même pas des préoccupations autochtones et de leurs manifestations hebdomadaires afin de protéger l’eau, l’air et la terre de déversements ou des augmentations des émissions de carbone…

- avec l’intérêt des plus jeunes générations: laissez-les profiter de la production de pétrole étalée sur davantage d’années, à moins, bien entendu, qu’elles soient amenées à réclamer son arrêt par considération pour

- l’intérêt planétaire: l’exploitation des sables bitumineux est le plus grand facteur localisé d’accroissement mondial de la pollution extrême et du réchauffement climatique; or, les cinq grands producteurs de pétrole des sables bitumineux (CNRL, Suncor Energy, Cenovus Energy, Imperial Oil et Husky Energy), selon le rapport de l’Institut albertain Parkland, n’ont pas modifié leurs plans de production d’un iota, afin de réduire leurs émissions en vue de respecter les objectifs canadiens énoncés à Paris.

Comment concilier ces objectifs avec la réaction aberrante de Trudeau, prêt à indemniser la compagnie du Texas pour le retard à mettre en œuvre son dangereux pipeline? Quand on sait comment les compagnies pétrolières achètent les juges pour réduire les peines encourues lors de désastres environnementaux, tel le naufrage de l’Exxon Valdez?

Heureusement, le chef néodémocrate Jagmeet Singh est sorti le 23 mai de son ambivalence léthargique due à l’opposition des deux gouvernements provinciaux NPD (Colombie-Britannique et Alberta) pour enfin se brancher et réclamer que les subventions de milliards de $ pour les exploitants d’énergies fossiles soient levées et que les indemnisations de Trudeau à Kinder Morgan soient plutôt converties en subventions à des énergies vertes du futur. On aurait gagné à écouter un mois et demi plus tôt la courageuse chef du Parti Vert, Elizabeth May…

 

Le pipeline Kinder Morgan

Construit en 1953 sans aucune consultation publique ou environnementale, Kinder Morgan a vu sa vocation changer en 2006 alors que la compagnie a commencé à acheminer du dilbit (bitume dilué), forme particulièrement nocive de pétrole en cas de déversement accidentel. Les sables bitumineux produisent une substance ressemblant à de la boue constituée d’hydrocarbures et d’impuretés, appelée «bitume». L’Encyclopédie canadienne explique que le bitume contient plus de carbone que d’hydrogène, et beaucoup plus d’impuretés, tels azote, soufre et métaux lourds. Non seulement la technique d’extraction des sables bitumineux exige de libérer d’énormes quantités de gaz à effet de serre, mais même le produit final – lorsqu’il est brûlé – produit et libère plus de dioxyde de carbone que tous les autres combustibles fossiles.

 

[2] « Kinder Morgan a longtemps affirmé qu'il en coûterait 7,4 milliards pour construire un deuxième oléoduc, parallèle au premier, afin de tripler sa capacité, mais les documents financiers affirment maintenant que la société s'attend à ce que cette opération coûte 9,3 milliards », a révélé Mia Robson à la Presse Canadienne le 7 août dernier.