Lise Payette (1931-2018)

2018/09/06 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est Artiste pour la paix féministe

Lise Payette mérite à coup sûr cette appellation  mère du Québec moderne que lui a décernée Ariane Émond, sa complice féministe de la Vie en Rose, et ce sans vouloir diminuer Janette Bertrand ni Simonne Monet-Chartrand, ses « sœurs aînées ». Détermination, audace, tempérament à toute épreuve et surtout une franchise en toutes circonstances de ses vies artistique et politique devraient lui accorder des funérailles nationales.


Une vie privée

Née dans le milieu « modeste » (comme la novlangue désigne la condition ouvrière) de Saint-Henri si bien décrit dans Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy, Lise Ouimet s’éduque elle-même et épouse le radio-canadien André Payette, dont elle a trois enfants : Dominique aux mêmes préoccupations sociales internationales et professeure à l’Université Laval, Sylvie qui reprend le flambeau de scénariste d’émissions populaires et Daniel, avocat spécialisé en droit des auteurs, des artistes et des entreprises culturelles. En 1956-1957, son métier de journaliste l’exile un temps en Abitibi, où elle travaille au journal local La Frontière et à la station radiophonique CKRN, en devenant aussi relationniste pour le syndicat des Métallurgistes unis d'Amérique.

De 1958 à 1964, elle suit son mari à Paris, tout en collaborant au mensuel Châtelaine et au quotidien Le Nouveau Journal. L’infidélité d’André et trois avortements[1] la mettent en face de son désir d’indépendance qu’elle affirmera par son travail à une émission quotidienne qu’elle avait elle-même proposée à Martine De Barsy, Interdit aux hommes. Elle y tisse des amitiés avec d'autres féministes, telles Pauline Julien, Lise Gauvin et Mélina Mercouri.

De retour à Montréal, commence une série d’émissions qui la mettent en contact avec d’innombrables artistes, en particulier « les populaires », jusqu’alors méprisés à titres de vedettes du canal 10 et des journaux jaunes de mon grand ami Péladeau! Ce sera l'émission Place aux femmes à la radio de Radio-Canada de 1965 à 1972 avec le pianiste François Cousineau, puis de 1972 à 1975, l'émission télévisée Appelez-moi Lise en compagnie de Jacques Fauteux. La célébrité viendra de son audace, par exemple à lancer « le concours du plus bel homme du Canada », qui chaque St-Valentin contribue avec finesse à indiquer la voie à suivre à des concours de poupounes désormais ridiculisés : elle devient la porte-parole du mouvement féministe québécois, sans s’aliéner les beaux et moins beaux hommes que son humour intelligent sait mettre de son côté.

Ses contacts artistiques la désignent présidente du comité organisateur des Fêtes nationales sur le mont Royal en 1975, dont l’immense succès pave la voie au célèbre 1X5 qui mettra en vedettes en 1976 Robert Charlebois, Yvon Deschamps, Jean-Pierre Ferland, Claude Léveillée et Gilles Vigneault, acclamés par 300 000 spectateurs. Ils reviendront applaudir Pauline JulienClaude Gauthier et Raymond Lévesque le lendemain, Jean Lapointe, Louise Forestier et Plume Latraverse le surlendemain, ainsi que les groupes Harmonium, Beau Dommage, Contraction et Octobre réunis avec Richard Séguin et Raoul Duguay le 26 juin.


Une vie au service public

Lise prépare alors son entrée politique, triomphalement élue quatre mois plus tard avec le gouvernement du Parti Québécois de René Lévesque, promettant à ses commettants de Laurier-Dorion d’être « la plus achalante des députés »! Elle sera plus que cela, tour à tour ministre d'État au Développement social et à la Condition féminine et ministre des Consommateurs, Coopératives et Institutions financières, qui fait ses preuves en instaurant la Société d’Assurances Automobiles du Québec. Le régime no-fault épargne à d’innombrables automobilistes québécois, présents et futurs, sommes, démarches et pertes de temps incalculables, mais en se mettant à dos pas mal d’avocats vivotant de ces causes lucratives. On lui aussi doit la devise Je me souviens sur les plaques d'immatriculation, qui remplace l'ancien slogan La belle province.

L’ordre national du mérite qui lui sera accordé en 2001 souligne que :

Son mandat l'amène à travailler pour l'obtention de meilleurs services de garde et de garderies, pour la création de centres d'aide aux femmes en difficulté et pour l'augmentation des fonds à consacrer pour les femmes chefs de famille monoparentale. Elle met sur pied un bureau de la condition féminine dans douze   ministères, dont le ministère du Travail, et elle travaille à la reconnaissance du statut de travailleuses pour les femmes collaboratrices de leur mari.

Car on lui confie des mandats successifs corsés, comme la refonte du Code civil du Québec qui permettra aux femmes mariées de ne pas porter le nom de leurs maris. Elle crée aussi la Société de développement coopératif.  Manon Massé, seule femme chef de parti aux élections du 1er octobre prochain, la salue comme une bâtisseuse, une nécessaire entêtée.


Une vie engagée

Lise Payette boude les élections en 1981 pour entreprendre une carrière de scénariste de téléromans à succès afin de faire changer les mentalités : on retient  Des dames de cœur avec Andrée Boucher, Nathalie Gascon et le détestable Jean-Paul Belleau, macho magistralement interprété par le comédien Gilbert Sicotte, puis sa quotidienne qu’elle coscénarise avec sa fille Sylvie, Marilyn, immortalisée par Louisette Dussault. Ses revenus lui permettent de fonder la respectable société de production télévisuelle Point de mire.

L’ordre national du Québec rappelle que :

Lors de la remise des Gémeaux 1998, Lise Payette recevait le Grand Prix de l'Académie, un honneur pour récompenser l'ensemble de sa carrière. En l'an 2000, elle recevait la toute première Médaille d'honneur remise, tous les dix ans seulement, par le Mouvement national des Québécois et des Québécoises.

Chroniqueuse dans le Journal de Montréal de 2004 à 2007, puis dans le journal Le Devoir de 2007 à 2016, nommée en juin 2009 docteure honoris causa de la Faculté des sciences humaines de l’Université du Québec à Montréal, elle participe en 2013, à l’incitation de sa petite-fille Flavie et du grandement sous-estimé réalisateur Jean-Claude Lord, au film Un peu plus haut, un peu plus loin, - selon cette chanson de Ginette Reno qui avait fait exploser l’applaudimètre en 1975 sur le Mont-Royal.

En 2015, Lise Payette rédige pour Québec-Amériques le Manifeste des femmes, pour passer de la colère au pouvoir et en 2017, lors du Sommet du 75e anniversaire du droit de vote des femmes qu’elle coorganise en y laissant ses dernières énergies, affirme : « Je le dis avec conviction : nous sommes capables de tout ». Son sourire narquois semble s’adresser à tant de chicanes, qui ont suivi sa trop grande générosité en amitiés (Claude Jutra) et ses convictions féministes sans compromis : la crise des Yvette orchestrée par la campagne du NON en 1980 et les caricatures sur réseaux sociaux de ses attaques contre les religions toutes misogynes, se trouvaient hélas en priorité lorsqu’on googlait ce matin du 6 septembre le nom de cette légende québécoise.

Mais Léa Clermont-Dion (à la cause respectable) sera sûrement d’accord avec Martine Desjardins, directrice du Mouvement National des Québécoises et Québécois (auparavant étudiante contestatrice en 2012) et avec la première première ministre du Québec, Pauline Marois, que c’est sans aucun doute grâce à Lise Payette si le Québec est devenu l’état-modèle dans le monde pour une égalité plus grande des femmes et si tant de femmes se présentent aux prochaines élections.

 

[1] Relaté dans son livre Des femmes d’honneur chez Libre expression : une vie privée (1931-1968). Ce premier sera suivi d’une vie publique (1968-1976) et d’une vie engagée (1976-2000).