Notre avenir à tous

2018/09/14 | Par Pierre Jasmin

Sculpteur espagnol, aussi musicien death metal, Issac Cordal est né en 1974.
Il a créé à Berlin cette œuvre intitulée  Politiciens discutant du réchauffement climatique

L’œuvre ci-dessus reflète hélas l’impression figée dans le temps et dans le plus stagnant immobilisme qu’ont laissée, lors du débat des chefs, le chef de la CAQ François Legault et dans une moindre mesure le chef libéral Philippe Couillard, tandis que Manon Massé de Québec Solidaire et Jean-François Lisée du Parti Québécois émergeaient avec courage et détermination de l’exercice.

Vous trouvez cette affirmation radicale? À ma défense, je venais de passer deux heures et demie en compagnie du cinéaste Michel Jetté et de sa conjointe Louise Sabourin, de Lucie Perras, d’Isabelle et Patrick de GREENPEACE, de Louise Morand, de Marc Brüllemans de Vigilance hydrocarbure Québec collaborateur de notre si estimée collègue Lucie Sauvé, directrice à l’UQAM du Centre de recherche en éducation et formation relatives à l'environnement et à l'écocitoyenneté, de Sally Livingston du Conseil des canadiens et de Normand Beaudet qui a longtemps travaillé au Centre de Ressources pour la Non-Violence, mais aussi candidat NPD avant la vague orange et maintenant candidat pour QS.

Une foule sensible à notre message, en particulier lorsqu’il a été livré avec éloquence et passion par André Bélisle de l’AQLPA, était en grande partie constituée de manifestants du monde communautaire si éprouvé par les coupures néo-libérales affectant les personnes handicapées et démunies, les personnes immigrantes, les femmes victimes de violence, en particulier les autochtones déracinées : ce n’est pas un hasard si Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador depuis 1992, a écrit la préface du livre Parler vrai de Manon Massé paru aux éditions Écosociété. La foule comprenait aussi des militants de la Centrale des Syndicats du Québec ainsi que le Syndicat Canadien de la Fonction Publique en colère contre Québecor (TVA) : leur chef Marc Ranger est venu signer la DUC[i], comme l’ont fait Jean-François Lisée du PQ, ainsi que Vincent Marissal et Manon Massé de Québec Solidaire.

Car L’URGENCE CLIMATIQUE est trop grave pour ne pas rassembler une action concertée au fédéral, premier concerné, mais aussi au municipal et au provincial. Justement, les élections du 1er octobre révèlent combien les jeunes de 18 à 40 ans sont  d’abord préoccupés de l’environnement. Et c’est pourquoi ils accorderaient sans doute la victoire du débat à Manon Massé, comme l’a fait mon fils de 18 ans qui s’apprête à voter pour la première fois de son existence.

Mais est-ce tenir compte de l’immense pas en avant que Lisée a fait franchir au PQ, que des vieux comme moi sont à même de constater? Rappelons-nous le ministre dinosaure climato-sceptique et anti-immigrants Jacques Brassard, rappelons-nous la cimenterie mégapolluante de Port-Daniel et l’exploration pétrolière voulue par le PQ de 2012 sur Anticosti, brillamment attaquée par Couillard lors du débat et par Christian Simard de Nature Québec : « 92 millions de $ de dépenses publiques gaspillées sans une goutte de pétrole! » Alors que Dominic Champagne, APLP2012, créait son documentaire éclairant au point que l’UNESCO est maintenant intéressée à en faire un site protégé.

Bref, si Sylvain Gaudreault est resté le roc de l’écologie, en particulier dans le dossier de la centrale nucléaire Gentilly 2, il est bon de revoir «l’électrisant » Daniel Breton, ministre de l’environnement autrefois « démissionné » par son propre parti, qui se présente dans St-Hyacinthe. Ils illustrent le fil conducteur écologique du PQ si bien défendu lors du débat par Lisée, à qui il faut en outre donner le crédit de sa main tendue à Québec Solidaire. Une fusion aurait empêché les luttes fratricides Lisée-Marissal dans Rosemont et Catherine Dorion-Diane Lavallée dans Taschereau. On réentendra parler sans doute au lendemain du 1er octobre du futur de cette union, même si on ne peut s’empêcher de songer qu’elle dominerait les sondages présentement, si la fusion des candidatEs des deux partis avait eu lieu.

Voilà donc mes réflexions du 13 septembre 2018. Elles émergent aussi de deux semaines intenses de déclarations mondiales que je résume en 2e partie et du début de trente-deux ans de militantisme écologiste dont je rappellerai certaines étapes en 3e et 4e parties, si vous avez la patience de me suivre.    

 

II- DEBOUT POUR LE CLIMAT

Les lecteurs de l’Aut’Journal ont peut-être lu la semaine dernière mon article relayant le cri de détresse écologique de 200 personnalités, dont l’actrice Juliette Binoche et la chanteuse Diane Dufresne[ii]. On écoutera dans sa foulée le témoignage d’Aurélien Barrau[iii], astrophysicien spécialisé en physique des astroparticules et des trous noirs qui travaille au Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble (LPSC), également professeur à l'université Grenoble-Alpes.

Radio-Canada et l’Agence France-Presse ont relayé que plusieurs manifestations organisées à travers le monde samedi le 8 septembre ont exigé des gouvernements qu'ils agissent sérieusement contre le dérèglement climatique, en pleine préparation du sommet sur le climat, COP24. De Melbourne à Manille, en passant par Bangkok, où se tient une réunion de préparation de la 24e Conférence des parties, les rassemblements ont commencé en Asie et fini à San Francisco, où se tenait à partir du 12 septembre le Sommet mondial des villes et entreprises pour le climat, organisé par le gouverneur de Californie en réponse à la politique anti-écologique de Trump.

Ce mouvement, baptisé « Rise for Climate » (Debout pour le climat), organisé à travers une centaine de pays, a vu une certaine mobilisation à Manille, aux Philippines très dépendantes des centrales à charbon, avec 800 manifestants, et à Paris avec plusieurs milliers de Parisiens, choqués par la démission dramatique du ministre de l’Environnement français, Nicolas Hulot.

Chez nous, deux cents personnes se sont rassemblées au Vieux-Port de Montréal devant le Centre des sciences pour manifester ce même 8 septembre : Pierre Jasmin et le cinéaste Michel Jetté sur la photo.   

Enfin, le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, nous informe sérieusement (c’est le slogan du PQ!), à partir des données scientifiques générales à sa disposition par l’UNESCO, que notre planète pourra difficilement se remettre de notre probable inaction des DEUX prochaines années : ouragans, inondations, canicules, fonte de l’Arctique et de l’Antarctique, disparition de micro-pays dans l’Océan pacifique et Bangladesh inondé, disparition des glaciers procurant l’eau potable en Afrique du Nord-Est, en Inde et au Pakistan pourraient entraîner des conflits majeurs, voire des guerres meurtrières. On sait qu’une partie de la solution se trouve à Ottawa, car partis conservateur et libéral se disputent la palme de l’inconscience face à la contribution du pétrole des sables bitumineux dans cette dégradation climatique, même suite au jugement salvateur du 28 août de la Cour d’Appel du Canada qui empêche au moins pour le moment l’expansion dangereuse du pipeline Transmountain[iv].

 

III- LE RAPPORT BRUNDTLAND

En 1987, l’ONU produisait un document majeur alertant pour la première fois la planète entière de l’imminence d’un crash planétaire, si on n’agissait pas. Notons que ce sont des traducteurs québécois qui ont senti l’importance primordiale de traduire ce document réclamant un développement viable intitulé Notre avenir à tous. Sa mise en œuvre avait été pilotée par une personnalité politique de premier plan en Norvège où elle avait été tour à tour ministre de l’Environnement et première ministre, madame Gro Brundtland, devenue par la suite présidente de l’Organisation Mondiale de la Santé.

Un directeur d’école verte Brundtland de la Rive-Sud et Pierre Jasmin
encadrent Gro Brundtland en visite-éclair à Montréal le 7 septembre 2017

En 1990, la Déclaration de Vancouver issue du colloque de l’UNESCO « La science et la culture pour le XXIe siècle : un programme de survie », contenait une communication importante de Pierre Dansereau. On parlait donc déjà de survie il y a bientôt trente ans. Nos gouvernements n’ont pas agi, même si Richard Séguin en 1991 signait le spectacle de l’an 1 des Artistes pour la Paix au Spectrum rempli, devant les chefs des principaux syndicats, dont Lorraine Pagé de la CEQ. Le discours écologique de Dansereau y fera sa plus grande émule en la personne de la regrettée Monique Fitz-Back, enseignante, pionnière et syndicaliste, cofondatrice des Établissements verts Brundtland (EVB).

 

IV- LISE PAYETTE EN 1991

La journée de parution de mon dernier article dans l’Aut’Journal[v], André Bélisle de l’AQLPA me rappelait que c’était Lise Payette, alors en marge des partis politiques, qui anima le documentaire Les quatre cavaliers de l'Apocalypse, film avant-gardiste par ses témoignages sur la dégradation de l'environnement. Réalisé par Jean-François Mercier en 1991, ce documentaire d’une heure et demie qui peut être vu en ligne, grâce à l’Office National du Film, dénonçait quatre principales menaces pour l'environnement :

- les déchets domestiques, une plaie mondiale, en illustrant l’avant-gardisme de Victoriaville qui la première instaure la collecte de recyclage mais aussi la honte de la carrière Miron à Montréal qui sera transfigurée des années plus tard avec la TOHU;

- les déchets toxiques, que dénoncent le docteur Albert Nantel et Claude Béland, alors à la tête des Caisses populaires Desjardins : 30 000 produits chimiques d’utilisation courante, les organochlorés et la dioxyne de l’industrie papetière, la catastrophe des pneus qui brûlent à St Basile et à St-Amable avec le trop petit nombre d’inspecteurs à l’Environnement (ministère qui reçoit moins de 1% des budgets provincial ET fédéral), la pollution extrême des mines à Rouyn-Noranda et la vision de Guy Chartrand et Lise Roy qui avec le grand écologiste René Dumont, possédant maison à Windsor, dénoncent la pollution carbonique en vantant le financement des transports en commun;

- la contamination des cours d'eau, à laquelle s’attaque un nouveau budget de 4 milliards de $ (50% des Québécois boivent alors de l’eau embouteillée, souvent importée). Le film rappelle ici comme en d’autres points les succès de la Suède et même de la Tamise à Londres, en dépit de Margaret Thatcher qui voulait tout privatiser;

- et la destruction des ressources. Huit ans avant l’erreur boréale du grand Richard Desjardins, le film retrace une Québécoise docteure en génie forestier en Suède, France Goulet, qui vante la gestion écologique des forêts suédoises assurant leur rendement optimal. Le mot de la fin est accordé à Harvey Mead, auteur de la préface du rapport Brundtland: on s’est développés au détriment des pays pauvres et des générations futures qui nous haïssent à bon droit. Pourquoi donc ne pas sauver le Québec et la planète!?!

Mon article sur Lise Payette, hâtivement rédigé suite à la nouvelle de sa mort (tombée de l’Aut’Journal obligeait), mérite d’être complété en mentionnant que c’était sous son égide en 1975, que le Mont-Royal envahi par 300 000 Québécois avait entonné une nouvelle chanson du tandem créatif Gilles Vigneault/Gaston Rochon intitulée Gens du pays.